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Alors que "des travaux précédents ont souligné le rôle des ressources dont disposent les élites, de la propagande et de l'accès au pouvoir d'Etat pour expliquer pourquoi les systèmes d'inégalités sociales émergent et sont endurés par ceux qui sont sans pouvoir", une étude publiée dans la revue Political Psychology (1) montre que les sans pouvoir ont aussi tendance à contribuer au maintien de ces systèmes.

"En plus des facteurs qui vont du haut vers le bas ("top down") tels que la coercition et la manipulation de la part des élites", nous identifions un processus socio-psychologique de légitimation qui va du bas vers le haut ("bottom up")", disent la psychologue sociale Jojanneke van der Toorn de l'Université Leiden et ses collègues (1) des universités Stanford, New York, Duke et Harvard.

Leur étude porte en particulier sur le rôle joué par la justification du système qui peut "être définie comme la motivation à défendre, renforcer et justifier les institutions et arrangements sociaux, économiques et politiques". Des études précédentes ont montré que les groupes désavantagés avaient une tendance accrue à justifier le système qui les affecte.

Parce que le manque de pouvoir implique un manque de contrôle et un sentiment de dépendre des autres pour l'accès aux ressources valorisées, expliquent les chercheurs, il est susceptible de favoriser le support au statu quo comme partie intégrante des processus d'adaptation et de réduction d'une dissonance cognitive (état de tension résultant de pensées, idées et croyances contradictoires). Les gens peuvent alors endosser la stratification sociale comme étant une méthode appropriée pou organiser la société et rationaliser la position de chaque individus ou groupes dans la hiérarchie.

Ils ont mené une série de 5 études pour vérifier l'hypothèse que "l'expérience subjective d'être sans pouvoir, qui accompagne souvent l'état objectif de désavantage, favorise la justification du système en ce qu'elle motive les individus à percevoir le système et ses représentants comme relativement légitimes".
- L'étude 1 a montré avec un échantillon national représentatif des salariés américains que plus ces derniers dépendaient financièrement de leur emploi, plus ils avaient tendance à percevoir positivement la légitimité de leur superviseur.

- L'étude 2 a montré qu'un sentiment général d'être sans pouvoir augmentait la probabilité d'avoir une perception positive du système économique et de légitimer les inégalités. Le sentiment d'être sans pouvoir augmentait la probabilité d'être d'accord avec des affirmations telles que : "La plupart des gens qui ne reçoivent pas d'avancement dans notre société ne devraient pas blâmer le système ; ils n'ont qu'eux-mêmes à blâmer".

- Dans les études 3 et 4, stimuler un sentiment d'être sans pouvoir chez des participants augmentait la tendance à la justification du système social en ce qui concerne les disparités de races, de classes sociales et de sexes même lorsqu'ils se faisaient présenter des explications remettant en question le système.

- L'étude 5 a montré que l'expérience d'être sans pouvoir augmentait la légitimation des autorités gouvernementales.
Ces résultats suggèrent, soulignent les chercheurs, que les hiérarchies, une fois formées, peuvent s'auto-renforcer par des processus psychologiques de justification idéologique du système chez les personnes en situation de désavantage, ce qui rend les efforts de changement des systèmes d'inégalité encore plus difficiles.


Commentaire : Et le même processus nourrit lui aussi, dans le sens opposé mais de façon tout aussi illusoire, le sentiment d'« exeptionnalisme » conféré par l'argent et le pouvoir. Une élite qui en vient à croire que si elle occupe la place qui est la sienne à un moment donné, cela ne peut être que juste et mérité.

"Dans une certaine mesure au moins, les sans-pouvoir sont complices (après le fait) de leur propre assujettissement dans la mesure où ils légitimisent plutôt que de critiquer et de contester les structures d'inégalité qui les affectent", écrivent-ils.
De façon plus optimiste (du point de vue du changement social), disent-ils, l'analyse empirique des relations de pouvoir peut aider à préciser "les aspects d'impuissance doivent être surmontés dans le développement d'une protestation réussie".