Le président tchadien explique dans une interview accordée à Euronews les raisons de l'implication de son pays dans cette guerre contre le djihadisme. Une question de survie.
Véhicules de l'armée tchadienne déployés au Cameroun pour lutter contre Boko Haram.
© Stephane Yas/AFP PhotoVéhicules de l'armée tchadienne déployés au Cameroun pour lutter contre Boko Haram.
Monsieur le président, quelle est l'ampleur de la menace Boko Haram actuellement pour le Tchad?

Jusqu'en 2013, les actions de Boko Haram visaient le Nigeria. A partir de fin 2013, Boko Haram a commencé a étendre ses actions au-delà, en particulier au Cameroun et au Niger. Et Boko Haram a fini évidemment aussi par s'attaquer au Tchad. C'est une organisation extrêmement dangereuse, qui a eu le temps de s'organiser, de recruter des jeunes qui n'ont pas de travail. Elle a aussi des liens très étroits avec Daech et avec AQMI. Boko Haram a décidé d'asphyxier le Tchad en coupant l'axe unique qui nous rattachait au port de Douala, au Cameroun, menaçant ainsi nos intérêts vitaux. C'est un danger potentiel pour toute la sous-région. Aucun de nos pays ne peut s'en sortir seul face à cette nébuleuse, d'où la nécessité de mettre en commun nos moyens, maigres bien sûr, en ayant foi en notre capacité de parvenir à réduire sa nuisance.

Quels sont les objectifs précis de cette action militaire. S'agit-il de détruire Boko Haram ou de la maintenir éloignée de vos frontières ?

C'est de détruire Boko Haram. Par tous les moyens.

Votre pays a participé en 2013 à l'Opération Serval au Mali et en 2014 à l'Opération Barkhane au Sahel, contre les groupes intégristes. La France vous fournit des renseignements sur Boko Haram, comme d'autres pays aussi. Désireriez-vous une implication plus poussée de la part de l'Europe et des États-Unis ?


Non. Je crois qu'il faut bien comprendre que cela fait 60 ans - depuis pratiquement les indépendances des pays africains - que nous devrions être capables de nous prendre en charge, de gérer nos crises et de faire face à des mouvements terroristes en unissant nos efforts, les efforts africains.

Début mars, Boko Haram a juré fidélité à l'autoproclamé État Islamique (EI). Cette allégeance en fait-elle un groupe terroriste plus dangereux ?
Idriss Deby, président du Tchad
© InconnuIdriss Deby, président du Tchad
Notre action a cassé la puissance militaire de Boko Haram. Nous avons désorganisé son état-major. Boko Haram n'est pas, comme on le dit, une organisation locale au niveau de l'Afrique, au niveau du Nigeria, mais une organisation qui a des liens avec d'autres organisations terroristes de par le monde, en particulier l'EI. Voilà son visage réel. Il faut se demander qui est derrière Boko Haram...

Nous n'avons pas beaucoup d'informations sur le nombre de combattants de Boko Haram, ni sur ses sources de financement. On sait que le groupe obtient de l'argent via les kidnappings et les vols. Mais pensez-vous qu'il en reçoive aussi de pays étrangers ?

Boko Haram est soutenu, Boko Haram est financé, Boko Haram a reçu du matériel, y compris du matériel blindé sur le terrain. De qui ? Je ne le sais pas. Mais ces soutiens sont puissants, c'est une certitude.

Mais vous êtes convaincu que Boko Haram reçoit un financement extérieur ?

Comment pouvez-vous imaginer qu'une organisation terroriste arrive à conquérir aujourd'hui un tiers d'un grand pays comme le Nigeria avec une armée organisée, avec des blindés, avec des modes d'action qui ressemblent à ceux d'une armée régulière ? On ne fabrique pas de blindés au Nigeria, on ne fabrique pas d'armes. Donc, tout ça n'est pas tombé du ciel, et tout cela ne vient pas non plus des populations pauvres et paysannes.

On a vu que des groupes proches de l'EI sont aussi opérationnels en Libye. Cela pourrait-il ouvrir un nouveau front dans le Nord, à la frontière ?

En 2011, quand l'Occident et l'Otan ont déclenché leurs opérations militaires en Libye, j'avais mis en garde. Je n'avais pas un amour particulier pour Kadhafi, mais on n'a pas pris la précaution de gérer l'après-Kadhafi de telle sorte que les armes ne sortent pas de la Libye. Or, ce pays était super équipé du point de vue militaire, super armé. Donc, depuis l'assassinat de Kadhafi, nous sommes sur le pied de guerre, au Nord comme à nos autres frontières. Les armes circulent en Libye, l'EI s'y développe. Il y a réellement une menace physique sur les pays africains au sud du Sahara.