C'est le cas notamment, en France, du Pr Olivier Houdé, directeur du laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant du CNRS - La Sorbonne, et auteur du livre « Apprendre à résister » (éd. Le Pommier).
S'intéressant à la génération qui a grandi avec les jeux vidéo et les téléphones portables, il affirme que, si ces enfants ont gagné des aptitudes cérébrales en termes de vitesse et d'automatismes, c'est au détriment parfois du raisonnement et de la maîtrise de soi.
Éduquer le cerveau
« Le cerveau reste le même », déclarait-il récemment, « mais ce sont les circuits utilisés qui changent. Face aux écrans, et du coup dans la vie, les natifs du numérique ont une sorte de TGV cérébral, qui va de l'œil jusqu'au pouce sur l'écran. Ils utilisent surtout une zone du cerveau, le cortex préfrontal, pour améliorer cette rapidité de décision, en lien avec les émotions. Mais cela se fait au détriment d'une autre fonction de cette zone, plus lente, de prise de recul, de synthèse personnelle et de résistance cognitive. »Aussi le chercheur en appelle-t-il à une éducation qui apprendrait à nos enfants à résister: « Eduquer le cerveau, c'est lui apprendre à résister à sa propre déraison », affirme-t-il. « Un vrai défi pour les sciences cognitives et pour la société d'aujourd'hui. ». Le virtuel est donc clairement suspecté de nous atteindre dans le fonctionnement le plus intime de notre être.
Un nouvel « opium du peuple »
Il suffit d'ailleurs d'observer autour de soi les modifications comportementales qu'il entraîne: incapacité de maintenir une conversation ou de rester concentré sur un document ; facilité «brutale» à se déconnecter d'un échange relationnel comme on se débranche d'une machine, etc.
Le philosophe et artiste Hervé Fischer, qui signe l'un des essais les plus intéressants du moment sur « La Pensée magique du Net » (éd. François Bourin), considère lui aussi que si les jeunes sont « les plus vulnérables » à l'aliénation rendue possible par le Net, car ils mesurent leur existence à leur occurrence sur les réseaux sociaux, cela concerne aussi les adultes :
« On peut avoir le sentiment qu'on a une vie sociale parce qu'on a des centaines d'amis sur le Net, ou qu'on est très actif et entreprenant parce qu'on échange sans cesse des commentaires et des informations numériques », explique-t-il. « Le retour au réel est alors encore plus difficile. On vit une pseudo-réalisation de soi, virtuelle elle aussi, et la "descente" de ce nouvel "opium du peuple" peut faire très mal à ceux qui ont une existence déjà frustrante sur bien des points.»Cette existence qui se mesure et s'expérimente désormais à travers un profil numérique alerte aussi, en Grande-Bretagne, la grande spécialiste de la maladie d'Alzheimer, le Pr Susan Greenfield, qui parle de « changement cérébral » comme on parle de « changement climatique ».
Elle s'inquiète des modifications identitaires provoquées par un usage intensif d'internet :
« C'est presque comme si un événement n'existe pas tant qu'il n'a pas été posté sur Facebook, Bebo ou YouTube », écrivait-elle récemment dans le Daily Mail. « Ajoutez à cela l'énorme quantité d'informations personnelles désormais consignées sur internet - dates de naissances, de mariages, numéros de téléphone, de comptes bancaires, photos de vacances - et il devient difficile de repérer avec précision les limites de notre individualité. Une seule chose est certaine : ces limites sont en train de s'affaiblir. »Etre là
Mais on peut aussi se demander: pourquoi un tel impact? Pour Hervé Fischer, si internet est aussi « addictif », c'est parce que la société « écranique » réveille nos plus grandes mythologies, dont le rêve de retourner en un seul clic à la matrice collective, et de se perdre alors dans le sentiment océanique d'appartenir à la communauté humaine. « Ce qui compte, c'est d'être là », explique le philosophe. « On poste un tweet et ça y est, on se sent exister. »
Versants positifs de cette « nouvelle religion »? « 24 heures sur 24, les individus de plus en plus solitaires peuvent quand ils le veulent se relier aux autres », observe Hervé Fischer. Et, tout aussi réjouissant, chacun peut gagner en « conscience augmentée », notamment en se promenant de liens en liens pour approfondir ses connaissances.
Désormais, c'est certain, grâce à la Toile, on ne pourra plus dire « qu'on ne savait pas ». Le Figaro
Diminution de la matière grise
Selon les neuroscientifiques Kep Kee Loh et Dr. Ryota Kanai, de l'Université de Sussex, l'usage simultané de téléphones mobiles, ordinateurs et tablettes changerait la structure de nos cerveaux.
Les chercheurs ont constaté une diminution de la densité de la matière grise du cerveau parmi des personnes qui utilisent habituellement et simultanément plusieurs appareils par rapport à des personnes utilisant un seul appareil occasionnellement (publication : « Plos One », septembre 2014).
L'interview de Michael Stora
Selon vous, quel impact majeur ont les nouvelles technologies sur notre psychisme ?
Je dirais tout ce qui relève du temps. Compressé par l'usage immédiat des smartphones et autres ordinateurs mobiles, celui-ci ne permet plus ni élaboration de la pensée ni digestion des événements. Et l'impatience s'en trouve exacerbée. Ainsi, nous recevons de plus en plus de patients qui demandent à être pris en charge « en urgence ».
Or, de par notre métier, nous avons appris qu'en réalité - et hors risque suicidaire - il n'y en a pas. Chacun est donc confronté à sa capacité à supporter le manque (quand arrivera la réponse à ce mail, ce texto?) et se retrouve pris dans la problématique très régressive du nourrisson qui attend le sein.
En quoi notre capacité de penser s'en trouve-t-elle affectée ?
Les formats des contenus deviennent si courts, le flux d'informations si incessant que réfléchir devient impossible car cela demande du temps. Regardez Twitter : son usager ne devient plus qu'un médiateur, il partage rapidement un lien, s'exprime au minimum, on est dans la violence du « sans transition »... Il est évident que l'être humain ne peut traiter tant d'informations et l'on observe déjà que la dimension analytique s'efface au profit d'une dimension synthétique. Cela semble assez logique: la Toile a été créée par des ingénieurs adeptes d'une pensée binaire, structurée sur le 0 ou le 1 et sans autres ouvertures.
Il faudrait vraiment que les sciences humaines soient invitées à participer davantage à ces entreprises, cela permettrait de sortir d'un fonctionnement en boucle où l'on vous repropose sans cesse le même type de produits à consommer par exemple.
Mais beaucoup parviennent aussi à s'exprimer grâce à Internet ?
C'est vrai, si l'on regarde Facebook par exemple, le nombre de personnes occupées à remplir leur jauge narcissique est très élevé. Mais il y a de moins en moins de créativité sur la Toile. Auparavant, un certain second degré, qui a pu donner naissance à des sites comme viedemerde.com par exemple, dont la dimension auto-thérapeutique est certaine, dominait. Mais aujourd'hui, la réelle création de soi a disparu. Il s'agit d'être sans arrêt dans la norme, ou dans une version fortement idéalisée de soi.
A force de gommer « ce qui fâche », les mauvais côtés de la vie, les efforts ou les frustrations inévitables, on est alors dans un exhibitionnisme de soi très stérile et régressif qui révèle seulement l'immense besoin de chacun d'être valorisé. L'usager souhaite être « liké » (quelqu'un a répondu au message laissé sur Facebook) pour ce qu'il est, pas pour ce qu'il construit, comme le petit enfant à qui l'on répète « qu'il est beau! » sans même qu'il ait produit de dessin.
Internet rend-il exhibitionniste?
Je pense que la Toile ne fait que révéler ce que nous sommes profondément. Regardez comme les internautes qui « commentent » en France sont critiques et râleurs, exactement comme on imagine les Français... Et c'est vrai j'ai été surpris de constater cet exhibitionnisme fou dans notre pays. Avec les « blacklists », la violence de la désinhibition et des critiques qui laissent peu de possibilité d'échanger, une certaine froideur narcissique l'emporte.
Ce que l'on observe, c'est qu'il y a plus d'humains enrôlés dans l'expérience du Web, mais moins d'humanité.
Cela fait parti de l'évolution, on n'en dit que des côtés négatifs ici.
On parle trop peu du type d'information que véhiculent les sites de news, qui sont quand même très souvent anxiogènes et négatifs.
On ne parle pas assez d'effets positif. Mais c'est excusable, dire ce qu'il ne faut pas faire est plus facile et fait partie intégrante du conditionnement que nous avons vécu et que nous vivons encore plutôt que d'encourager vers ce qui peut être fait pour que les "choses aillent mieux", tout du moins dans notre vie (donc les voir avec un œil opportuniste plutôt que fataliste)
Je suis un geek, parfois un nerd, je suis dans ma 30aine, j'ai encore de bonnes barrières morale et fait parti de ceux qui lisent les articles de SoTT en entier, je fais aussi parti de ceux qui sont admiratif aux nouveaux "youtubers" certains se concentrent dans le divertissement, et d'autres (Poisson Fécond, Minute Papppillon) font des vidéos plus critiques, plus pertinentes, plus utiles… le divertissement à une certaine dose est bien, mais la tendance est au déni et au divertissement plutôt qu'à la construction, à la création et à la réalisation
Grâce à Internet :
- regrouper des gens qui n'oserait même pas se regarder - beh oui on peut critiquer les sites de rencontres, mais ils ne crééent pas que des isolements et des exigences sociales, ils crééent aussi des couples ;
- réaliser des projets à plusieurs et projets d'ordre mondial - comme les botnets, comme la communauté GNU/Linux, comme les Wiki ;
- retrouver des amis via Facebook qui est son but originel - et non une collecte globale, ça c'est un effet de bord du "j'en veux toujours plus" ;
- ici en écrivant ce que j'écris, en plus de m'adresser à TOUT les lecteurs, en plus d'extérioriser une pensée, en plus de parler (oui je me dicte intérieurement ce que j'écris) d'un sujet dont je ne peux pas parler avec mes proches car ça ne les intéresse pas ou qu'ils coupent court à la discussion car "inutile", d'une certaine manière je m'épanoui, et créé de nouvelle possibilité : qui dit que cet article ne va pas servir à qqch de constructif pour quelqu'un ?
- amplifier l'effet de groupe et de manifestation
- rendre autonome des personnes qui /va savoir pourquoi/ n'ont plus confiance dans le corps médical/pharmaceutique ;
- les sites de co-voiturage, co-location, co-création, … voient tout leur intérêt, il n'est pas limité par le bouche à oreille, la pub n'est pas indispensable ;
- il est possible de remettre en cause des très vieux conditionnements — pour ça, SoTT est d'une aide précieuse (ça n'est pas ironique) ;
- pour faire une comparaison avec l'avion, on peut enfin se libérer de ses frontières (mentales, géographiques) et s'exprimer sans limites physiques
D'ailleurs c'est comme tout, c'est une question de dose : à voir tout ce qu'on veut quand on veut et sans efforts, on peut avoir tendance à devenir capricieux, d'ailleurs comme dans tout les domaines trop de pouvoir mène la folie (et pas que des grandeurs)
Je me suis senti à un moment concerné par cet article. Ce qui m'a aidé à me recentrer ? Jouer ! Et oui ! Avec des jeux pertinents on s'oblige à rester concentré sur le jeu vidéo.
Un jeu pertinent, pour moi c'est un jeu :
- mêlant action, réflexion ;
- qui demande des réflexes ;
- qui propose des choix cornéliens, c'est très important, ça fait toute la différence, ça pousse à réfléchir et pas à choisir dans la précipitation
- pas excessivement violent ;
Des jeux comme ça, j'en connais pas des masses, je pense à Fallout, à Deus Ex
Pour résumer ce commentaire, j'appréhende que les réfractaires à la technologie soient conservateur et pousse la société à une évolution proche de la nature, mais tellement proche qu'on en reviendrait à travailler pour les besoins et non plus pour se réaliser.
C'est ce que j'ai compris du film Interstellar : comment prétendre évoluer si c'est pour un "retour aux sources" plutôt que d'apprendre à se canaliser dans la transcendance (film qui m'a aussi inspiré) de notre humanité ?
Au final, tout est une question d'équilibre, d'intention et d'harmonie de soi vers les changements que vie notre monde (au sens sociétal comme physique)