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© InconnuLe DDT continue à faire des ravages
Interdit en 1971 en France, le DDT pourrait en partie expliquer l'épidémie actuelle de cancers du sein. Chez les femmes fortement exposées in utero au cours des années 1960, le risque serait presque quadruplé, révèle une étude publiée mardi 16 juin dans le Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism.

Le phénomène n'est pas sans évoquer le Distilbène, médicament utilisé jusque dans les années 1970 afin d'éviter les fausses couches. Quatre décennies plus tard, il continue à provoquer, chez les enfants exposés in utero mais aussi chez leurs propres enfants, plusieurs maladies liées aux perturbateurs endocriniens, dont des malformations génitales et des cancers du sein.

Or il en est de même avec l'insecticide DDT, révèle l'étude publiée par Barbara Cohn, de l'institut de santé publique de Berkeley (Californie), et ses collègues. Particularité de ces travaux, ce sont les premiers à analyser le risque de cet insecticide sur une aussi longue période. Pour cela, les chercheurs ont recouru à la cohorte CHDS (Child Health and Development Study), regroupant près de 21.000 grossesses survenues entre 1959 et 1967, période faste du DDT.

Sur près de 9.300 femmes nées dans cette cohorte, les chercheurs ont identifié 118 cas de cancer du sein diagnostiqués avant l'âge de 52 ans. Ils les ont comparés à 354 femmes contrôles, également des enfants de la cohorte CHDS, analysant notamment leur exposition in utero au DDT, mesurée par une prise de sang lors de l'entrée de leurs mères dans l'étude.

Un risque multiplié par 3,7

Le constat est sans appel: il existe un lien très net entre l'exposition in utero au DDT et le risque de cancer du sein. Chez les 25% de femmes dont les mères en étaient les plus imprégnées au cours de la grossesse, le risque de cancer du sein est multiplié par 3,7, après avoir écarté d'autres facteurs favorisant la maladie. Fait évocateur, les formes hormonodépendantes de ce cancer sont les plus fréquentes dans ce groupe de femmes.
« Cette étude lancée [en 1959] est la première à prouver de manière directe que l'exposition aux produits chimiques chez les femmes enceintes peut avoir des conséquences à vie sur le cancer du sein de leurs filles», commente Barbara Cohn, co-auteure de l'étude. «Ces produits présents dans l'environnement ont longtemps été suspectés de favoriser [cette maladie], mais jusqu'à présent, très peu d'études menées chez l'homme permettait de soutenir cette idée », poursuit-elle.
En France comme dans tous les pays industrialisés, l'incidence de cancer du sein, tout comme celle du cancer de la prostate (également hormonodépendant), a fortement augmenté ces dernières décennies. Selon l'Institut national du cancer (Inca), elle est passée de 56,3 cas pour 100.000 femmes en 1980 à 97,8 cas pour 100.000 en 2005, avant de redescendre à 88 cas pour 100.000 femmes en 2012.

Contrairement au Distilbène, dont le risque sanitaire se restreint aux familles exposées, l'exposition au DDT se poursuit. Outre le fait qu'il soit encore utilisé en Afrique et en Asie dans la lutte contre le paludisme, il persiste fortement dans l'environnement des pays industrialisés. Un nouvel exemple vient d'en être donné ce mardi 16 juin, avec la publication d'un rapport de Greenpeace sur les pommes.

L'association y publie des résultats d'analyses de vergers de pommes de 12 pays européens. Et ses résultats sont frappants : parmi les 53 pesticides identifiés, retrouvés dans 75% des échantillons de sol et d'eau, le DDT est le deuxième plus fréquent, derrière le fongicide boscalid. On le retrouve ainsi dans 26% des échantillons, à des concentrations allant jusqu'à 0,4 mg/kg dans le sol!

Outre le DDT, six autres pesticides identifiés par Greenpeace « ne sont pas autorisés par l'Union européenne à l'heure actuelle, et leur utilisation est soumise à l'autorisation exceptionnelle des États membres. La présence de ces résidus peut être due à une ancienne utilisation de ces produits », constate l'association.

En conclusion de son rapport, aussitôt dénoncé comme «bidon» par l'Association nationale pommes poires (ANPP), Greenpeace appelle les autorités à « mettre progressivement fin à l'utilisation des pesticides chimiques de synthèse dans l'agriculture ».

« Il faut interdire en priorité les pesticides cancérogènes, mutagènes et neurotoxiques, ainsi que ceux qui perturbent le système endocrinien ou sont toxiques pour la reproduction », juge-t-elle. Une interdiction certes nécessaire, mais hélas pas suffisante.