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La crise grecque n'a que peu secoué les marchés boursiers occidentaux, les spéculateurs étant jusqu'à ce jour convaincus que les gouvernements prendraient les mesures nécessaires pour éviter qu'un éventuel défaut grecque sur la dette ne se répercute sur l'ensemble du marché. Seule une faible baisse a été enregistrée. Ce n'est pas le cas depuis plusieurs jours en Chine.

La bourse de Shanghai, qui est le plus grand centre financier pour l'ensemble de la Chine, a enregistré depuis plusieurs jours des baisses importants. Certains pessimistes y voient les prémisses d'un véritable effondrement, les mesures prises par les autorités chinoises en réaction n'ayant eu guère d'effets jusqu'à présent.

Le gouvernement avait demandé à la Banque chinoise de fournir une quantité illimitée de devises pour encourager les investisseurs à se procurer des actions, dans une démarche proche de celle pratiquée plusieurs fois par la Fed américaine (et fort critiqués à l'époque à Pékin) sous le nom de « quantitative easing ». Mais cela n'a pas permis de faire remonter la capitalisation boursière, qui avait perdu 3.000 milliards de dollars le mois précédent. Les deux index déterminants, Shanghai Composite Index et Shenzen Index n'ont depuis enregistré qu'une remontée insignifiante.

D'autres mesures plus techniques décidées par le gouvernement n'ont pas eu davantage d'effets, notamment l'injonction donnée au massif fonds de pension gouvernemental d'acheter et non de vendre. Sans effets non plus les déclarations de la presse officielle, notamment le Quotidien du Peuple (People's Daily) selon lesquelles le Parti communiste chinois (CCP) s'était déclaré confiant sur le fait que les marchés demeureraient stables et sains.

Nouvelles classes moyennes

La crainte non clairement avouée des autorités est que la crise ne s'étende à l'ensemble de l'économie, déjà très ébranlée depuis quelques mois. La croissance, selon les chiffres officiels (d'ailleurs peu fiables) ne devrait pas atteindre 7% dans l'année, voire ne pas dépasser 4%. La cause de cette véritable dépression a été attribuée à la décision prise les années précédentes par le Parti de pousser les nouvelles classes moyennes à entrer en bourse, afin d'améliorer leurs revenus. Il s'agissait de trouver une nouvelle source de croissance, alors que les investissements dans l'immobilier décidés après la crise de 2008/2009 se heurtait à un grand nombre de logements invendus et que le niveau excessif de l'endettement des collectivités locales générait une inquiétude générale.

L'espoir - un peu naïf vu avec le recul - du gouvernement était que se créerait une nouvelle classe moyenne d'actionnaires enrichis en Bourse - et peu enclins de ce fait à remettre en cause les grands choix politiques de l'État. Ceci au moment où les autorités avaient décidé d'ouvrir la Chine aux marchés financiers internationaux, jusqu'ici dénoncés comme prédateurs. Aujourd'hui, en résultat de cette politique, le marché boursier est dominé à 80% par de petits investisseurs, ayant remplacé les investisseurs institutionnels. Mais ces petits investisseurs ont emprunté massivement auprès des banques pour acheter des titres spéculatifs, ce qui rend l'ensemble de l'édifice particulièrement fragile.

Les bulles ainsi formées ayant éclaté en chaine ces dernières semaines, pour des raisons difficiles à expliciter en détail mais faciles à comprendre globalement, les nouvelles classes moyennes espérées par le gouvernement sont menacées. Si elles se trouvaient ruinées, les conséquences en seraient graves pour le gouvernement. L'ouverture au marché capitaliste voulue par lui s'avérant un échec, il serait obligé d'en revenir à une économie administrée à la croissance beaucoup plus lente. Mais celle-ci sera de plus en plus mal ressentie.

Le président XI, qui s'était rendu impopulaire par la vaste campagne anti-corruption que le parti avait engagé à son initiative, serait très fragilisé, ses opposants n'ayant pas renoncé à l'abattre. Mais bien plus largement se pose la question de savoir si le crash déjà amorcé à Shanghai ne s'étendra pas aux bourses de toute l'Asie, voire du monde entier, compte tenu de l'interpénétration des marchés financiers. A ce moment, les gouvernements occidentaux, incluant celui de Tokyo, se trouveraient devant de graves difficultés. Certains pays, déjà écrasés par le remboursement des dettes, comme Porto Rico, des États fédérés américains, la Grèce voire d'autres pays européens, entreraient en crise grave. Des émeutes pourraient se produire, que les gouvernements auraient beaucoup de mal à contenir.

Quelques réflexions

En fait, on verra peut-être dans les prochaines semaines que ces craintes étaient mal fondées, les bourses chinoises ayant retrouvé une activité normale après avoir absorbé le gros de la crise. Cependant l'épisode doit inspirer quelques réflexions :

- La course au modèle capitalistico-financier engagée par Pékin, afin de rivaliser avec Wall Street, ne va-t-elle pas tourner court? C'est ce qui s'était produit en Russie avant l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, lequel s'efforce aujourd'hui d'y remédier par un retour à une certaine « administration » de l'économie.

- La croissance de la Chine enregistrée ces dernières années n'avait pas reposé sur des bases solides. Elle résultait du fait que le pays s'étant transformé, ruinant à cette occasion de nombreuse industries européennes, en « usine du monde », notamment par l'emploi de masses salariales très sous-payés. Elle avait certes accumulé ce faisant au moins 1.000 milliards de fonds de réserve en bons d'état, mais ce genre d'épargne s'évapore très vite lorsqu'on compte sur lui pour jouer les pompiers dans une crise boursière un tant soi peu étendue.

- En Chine, le gouvernement se montre peu capable de mettre en place un nouveau modèle de croissance, reposant sur une forte consommation des particuliers. Ceci parce que les nouvelles classes moyennes ne constituent encore qu'une faible part de la population chinoise et surtout parce que ce modèle se révèlera de plus en plus incompatible avec des contraintes en matière d'énergie, de matières premières et d'environnement, dont la Chine ne cessera pas de voir le poids s'aggraver.

- Les espoirs de développement entretenus par certains pays s'étant ces dernières années tournés vers la Chine, au sein du Brics, risquent d'être déçus. Qu'adviendra-t-il notamment du grand projet de Nouvelle Route de la Soie? La Chine pourra-t-elle jouer le rôle espéré au sein de la nouvelle Banque Asiatique d' Investissements pour les Infrastructures IIAB).

- La Chine pourra-t-elle par ailleurs financer ses grands projets militaires et spatiaux? Certes, ceux-ci ne reposent pas sur des actions en bourse. Mais les crédits publics nécessaires doivent, en dernière instance, être couverts par l'impôt, autrement dit par la prospérité des épargnants.

- La guerre à grande échelle engagée par Washington contre la Chine, présentée comme le second ennemi héréditaire après la Russie, ne va-t-elle pas se révéler inutile? En ce cas, les États-Unis pourraient à nouveau retourner leur puissant appareil militaro-industriel contre la Russie.

- La crise en Chine incitera sans doute les nations asiatiques visées par le projet de Trans Pacific Partnership (TPP) sur lequel Barack Obama a décidé de pousser les feux, à jeter un œil beaucoup favorable sur ce Traité. Ceci devrait renforcer considérablement le poids de l'Amérique dans cette partie du monde et, par répercussion, favoriser une adoption rapide par l'Union européenne de l'équivalent pour l'Atlantique, le TTIP. Voir à ce sujet un article de Nile Bowie dans Counterpunch. (Sur le crash, voir China Daily du 7 juillet 2015.)