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© InconnuSaturne dévorant un de ses fils (1819-1823), Francisco Goya
Alors même que l'encre de la loi scélérate, dite loi sur le Renseignement, n'est pas encore sèche, le gouvernement instrumentalise l'attaque du train Thalys Amsterdam-Paris pour promulguer de nouvelles mesures liberticides. Lesquelles promettent d'être aussi inefficaces que les précédentes. Autopsie d'une imposture.

Aveux d'impuissance

« Comme l'homme maîtrisé dans le Thalys, les derniers auteurs d'attentats en France avaient tous été fichés à un moment par les services de renseignement avant de passer à l'acte », affirmait l'AFP, le 27 août. Dans le même article, l'agence cite, « sous couvert d'anonymat, un commissaire proche des services de renseignement : "Clairement, on se pose la question de ce qu'on peut faire de plus, mais là on n'est pas loin d'être à la limite de ce que l'on peut faire." » Même son de cloche, humour noir en plus, dans cette confession rapportée par Didier Hassoux dans Le Canard Enchaîné du 26 août ; « "Je ne sais pas ce qu'on peut faire de plus", soupire un ponte du renseignement, "Prier peut-être ?" ». Et aussi, entre autres propos édifiants cités par l'hebdomadaire : « Il n'est pas le seul à faire cet aveu d'impuissance. Un de ces collègues, plus défaitiste encore, prédit même "un prochain 11 septembre à la française où les services seront de simples spectateurs. Mais je ne veux affoler personne..." »

Fuite en avant

Depuis les attentats de janvier, le plan Vigipirate mobilise près de 20 000 hommes, selon le ministère de l'Intérieur. La moitié d'entre eux sont des militaires, soit, comme le rappelait Le Monde (avril 2015) [ici], « plus de militaires mobilisés sur le territoire français que partout ailleurs à l'étranger, où ils sont 9 500 ». Un dispositif qui n'a pas empêché l'attaque du train Thalys Amsterdam-Paris par un seul individu (déjouée par miracle grâce à l'intervention rocambolesque de passagers)... Adepte du « On en rajoute une couche, surtout quand ça ne marche pas », le gouvernement français, dans la foulée d'une réunion des « ministres européens des affaires intérieures », samedi 29 août, vient d'annoncer « une batterie de mesures pour renforcer la sécurité des trains » [ici] : multiplication des patrouilles armées dans les gares et dans les trains, contrôle des bagages sur les Thalys et les TGV (de quelques uns à ceux de tous les passagers d'un même train)... Gageons qu'une nouvelle « batterie de mesures » du même acabit seraient prises si demain, par malheur, un attentat venait à être commis sur une piste cyclable, un des 30 000 rond-points de l'hexagone ou dans un champs de tournesols. « Citoyens dormez tranquille, la police veille ! »

De bonnes raisons d'avoir peur

Inefficacité des lois « anti terroristes », inanité du plan Vigipirate, impuissance et/ou incompétence des services de renseignement... il y a effectivement de quoi avoir peur. Et ce d'autant plus qu'on peut légitimement redouter le pire du côté de ceux qui sont censés assurer la protection de la population. On se souvient de l'épidémie de congés maladie dans plusieurs compagnies de CRS pour protester contre le surmenage lié au plan Vigipirate [ici]. En avril 2015, le site spécialisé Zone militaire titrait ainsi un article pour le moins alarmant consacré au « moral des troupes » : « Vigipirate : Les CRS n'en peuvent plus... Que dire des militaires alors ? » [ici]. Alors même que le « niveau d'alerte » effectif monte encore d'un cran, qui peut garantir que parmi tant d'hommes usés physiquement, moralement et psychologiquement il n'y en aura pas un, un jour, qui « pétera un plomb » ? Et comme si la menace d'un tel drame ne suffisait pas, le premier syndicat de police, Alliance (marqué à droite), à la suite de l'attentat déjoué du Thalys, revendique que « la réglementation du port et du transport de l'arme de service [soit] élargie , simplifiée afin d'assurer au policier de bonnes conditions d'intervention ». « Bref, comme raille Le Canard Enchaîné (26 août), les flics armés pourraient agir hors service et hors mandat dans tous les trains, métros et bus de France... au risque que cela tourne au Far West ? »

État terroriste

« Qu'est-ce que le terrorisme ? » interrogeait Noam Chomsky, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, à New York (« Terrorisme, l'arme des puissants ») [ici]. « Dans les manuels militaires américains, on définit comme terreur l'utilisation calculée, à des fins politiques ou religieuses, de la violence, de la menace de violence, de l'intimidation, de la coercition ou de la peur. Le problème d'une telle définition, c'est qu'elle recouvre assez exactement ce que les États-Unis ont appelé la guerre de basse intensité, en revendiquant ce genre de pratique. » Au XXe siècle uniquement on compte pas moins d'une centaine d'interventions militaires étasunienne en sol étranger, auxquelles ont doit ajouter celles indirectes, en Amériques latine en particulier, sous forme d'entreprises de déstabilisation des gouvernements qui n'ont pas eu l'heur de plaire à l'Oncle Sam. Ou comment vaincre le terrorisme quand on est soit-même un État terroriste ?

Stakhanovisme guerrier

« Avec François Hollande, c'est une guerre par an. Au moins », écrivait Jean-Dominique Merchet dans l'Opinion, en septembre 2014 [ici]. « En janvier 2013, c'était l'intervention au Mali (opération Serval) et en décembre de la même année, celle en République centrafricaine (Sangaris). Entre temps, la France était prête à bombarder la Syrie, en septembre, mais le faux bond américain l'en empêcha [Auparavant, en 2011, on se souvient de l'intervention de Nicolas Sarkozy en Libye contre le colonel Kadhafi — avec l'appui du unanime du PS — avec pour résultat de transformer le pays en enfer et en base djihadiste]. Depuis, le président de la République joue les utilités aux côté des Étasuniens en Irak contre Daesh. Et l'auteur de l'article de conclure qu' « un tel stakhanovisme militaire est inédit dans l'histoire récente de notre pays. Plus la situation économique et l'image personnelle du chef de l'État se détériorent, plus la France s'en va-t-en-guerre ».

Guerre de diversion

« La guerre contre le terrorisme » menée par le gouvernement français actuel et par ceux qui l'ont précédé est le symptôme névrotique d'une ancienne puissance coloniale qui persiste à vouloir jouer dans la cour des grands, alors même qu'elle ne compte plus guère sur la scène internationale. Mais cette enflure martiale présente au moins l'inestimable intérêt pour les gouvernants, qu'ils soient de droite ou de « gauche », de jouer le rôle de diversion en France même. Quoi de mieux en effet qu'une bonne guerre, qui plus est une guerre sans fin, avec un ennemi cruel et insaisissable, pour tenter d'escamoter le désastre social, humain, moral, psychologique, culturel... d'une politique entièrement soumise aux diktats du capitalisme ultralibéral ? Et quoi d'étonnant alors à ce qu'un François Hollande joue les « stakhanoviste militaire » quand, après avoir tourné le dos sans vergogne à son électorat, il poursuit et amplifie la même politique que ses prédécesseurs ? Comme tout imposteur, il se doit d'en rajouter.

Démocratie ou barbarie

22 lois antiterroristes ont été promulguées en 20 ans [ici]. Pendant toutes ces années, chaque nouvel attentat, ou menace d'attentat, a été instrumentalisé par les gouvernements successifs et les médias dominants pour créer un consensus de la peur, afin qu'une population, savamment manipulée, consente à la destruction méthodique et systématique des libertés publiques. Toutes ces années, ont été le théâtre de la montée en puissance de l'islamophobie, un « ennemi intérieur » créé de toutes pièces, dernier avatar de l'antisémitisme de l'entre deux guerres. Dans quelle société vivrons-nous demain si le fatalisme l'emporte, si perdure la croyance dans les inepties criminelles d'imposteurs professionnels ?
« Le sujet idéal du règne totalitaire n'est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu », écrivait Annah Arendt dans son livre, « Les origines du totalitarisme », paru en 1951 [ici] , « mais l'homme pour qui la distinction entre fait et fiction (c'est-à-dire la réalité de l'expérience) et la distinction entre vrai et faux (c'est-à-dire les normes de la pensée) n'existent plus. »