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John Alva Keel, 79 ans - un ami, fortéen et farouche défenseur de ses théories, écrivain et journaliste de profession - est mort. Un admirateur du Mothman [l'homme-phalène - NdT] et des anomalies qui nous entourent, comme le « name game », nous a quittés.

En 1994, John A. Keel fit une rare apparition à la fête d'anniversaire tenue en son honneur, avec quelques de ses amis les plus proches. Sur la photo : J. Antonio Huneeus, Keel, et Loren Coleman.

Keel, qui vécut la majeure partie de sa vie à New York City, est décédé vendredi 3 juillet 2009, à l'Hôpital Mont Sinaï à New York City, après quelques mois passés dans une maison de repos près de son appartement d'Upper West Side. Né Alva John Kiehle dans le nord de New York, le 25 mars 1930, John A. Keel commença à écrire très tôt. Keel publia sa première histoire dans un magazine de magie à l'âge de 12 ans.

Keel devint ensuite scénariste pour la radio et la télévision, et reporter freelance pour des journaux. Il déménagea ensuite à Greenwich Village et écrivit pour divers magazines masculins ou spécialisés.

Jadoo fut le premier livre de Keel. Sorti en 1957, il sera rapidement publié sous forme de feuilleton dans un magazine d'aventures masculin. Dans ce livre de poche, il relate son voyage de découverte en Inde, où il était parti enquêter sur les prétendues activités des fakirs et hommes saints qui réalisent le tour de la corde indien et qui survivent après avoir été enterrés vivants. Dans Jadoo, Keel parle aussi de la traque d'un Yéti, un Abominable Homme des Neiges, dans les jungles d'Asie.

L'analyse non fictionnelle de John A. Keel sur les rebondissements très réels de la vie est exposée dans son roman The Fickle Finger of Fate [Le doigt volage du destin - NdT]. C'est un livre rare, et peu se rendent compte que Keel en est l'auteur.

Admirateur précoce de Charles Fort (1874-1932), tout en continuant à écrire sur des sujets ordinaires, il commença à rédiger des articles pour la revue anglaise Flying Saucer Review (FSR) [Soucoupe volante magazine - NdT] ainsi qu'une longue série de chroniques pour Saga.

Influencé par le fortéen Ivan T. Sanderson et l'ufologue Aimé Michel, John Keel commença début 1966 à enquêter à plein temps sur les phénomènes aériens, paranormaux, ou impliquant des monstres. Sur une période de quatre ans, Keel interviewa des milliers de personnes dans plus de 20 États des États-Unis, surtout dans la Vallée de la Rivière Ohio. Au cours de son enquête, il passa en revue plus de 2000 livres et des milliers de magazines, bulletins et journaux. Keel s'abonna également à plusieurs services de coupures de presse, qui, durant la « vague » OVNI de 1966-1967, publièrent jusqu'à 150 coupures par jour. En dehors de FSR, Keel écrivait pour plusieurs magazines dont Saga. Il y publia un article en 1967 intitulé Agents de la Terreur OVNI, en référence aux Men in Black. Il écrivit également l'un des premiers articles sur le Mothman dans FSR, au cours de la même période.

Comme d'autres chercheurs contemporains des années 60, comme J. Allen Hynek et Jacques Vallée, Keel espérait au départ valider l'hypothèse prédominante de visites par des OVNIs « matériels ». Cependant, après un an d'enquête, Keel réalisa que l'hypothèse extraterrestre ne tenait pas. D'ailleurs, Hynek comme Vallée en arriveront à la même conclusion. Les analyses de Keel s'étendent aussi à la cryptozoologie.

J'ai connu Keel par des amis communs, Brad Steiger et Ivan Sanderson. J'ai travaillé en étroite collaboration avec lui, lui apportant du matériel encore non publié pour son livre, Strange Creatures from Time and Space (1970), qui influencera plus tard mes livres et les deux premiers ouvrages de Jerome Clark, The Unidentified (1975) et Creatures from the Outer Edge (1978).

« Créatures étranges de l'espace et du temps »

L'impact de Keel est considérable. Par exemple, c'est le livre Strange Creatures from Time and Space qui éveilla l'intérêt de Craig Woolheater pour le Bigfoot et le poussa finalement à créer Cryptomundo.

Qu'on l'aime ou le déteste, John Keel était populaire, et il fut l'un des auteurs fortéens les plus lus et les plus influents de la fin du XXe siècle. Bien que sa propre réflexion à propos des phénomènes aériens, des monstres et autres anomalies ait évolué au cours des années 60, Keel est resté l'un des chercheurs les plus originaux et controversés en ufologie.

C'est le second livre de Keel, UFOs : Operation Trojan Horse (1970), qui alerta le grand public sur le fait que de nombreux aspects des témoignages contemporains d'OVNIs - y compris les rencontres avec des humanoïdes - offraient souvent des parallèles avec certaines rencontres relatées dans le folklore ancien et les mythes religieux. Keel affirmait également qu'il y a un lien direct entre les OVNIs et les phénomènes élémentaux. Keel m'a affirmé qu'il ne se considérait pas lui-même comme « ufologue », mais comme « démonologue ».

« L'ufologie est juste un autre nom donné à la démonologie », me dit John Keel une semaine avant l'attaque du 11 septembre sur le World Trade Center, qui se déroula à quelques miles seulement de son domicile.

... citation du Mothman and Other Curious Encounters, page 114, (NY : Paraview, 2002).

Comme Keel l'a lui-même écrit : « J'ai abandonné l'hypothèse extraterrestre en 1967 lorsque mon propre champ d'investigation a révélé des similitudes incroyables entre les phénomènes psychiques et les OVNIs... Les objets et apparitions ne viennent probablement pas d'une autre planète et pourraient même ne pas être des constructions matérielles permanentes. Il est plus probable que nous voyons ce que nous désirons voir et interprétons de telles visions selon nos croyances contemporaines. »

Dans UFOs : Operation Trojan Horse (1970), Keel affirma qu'un source intelligente non-humaine ou spirituelle a mis en scène des événements entiers sur une longue période de temps afin de propager et renforcer certains systèmes de croyance erronés (rejoignant là Vallée). Keel émit l'hypothèse qu'en fin de compte, toutes les anomalies - comme les fées, les mystérieux dirigeables de 1897, les avions fantômes des années 30, les hélicoptères, créatures, poltergeists, boules de lumière et OVNIs mystérieux - camouflent le véritable phénomène.

Ce fut à cette époque que Keel entretint une correspondance active et soutenue avec d'autres chercheurs de part le monde. Par exemple, moi-même - Loren Coleman - fus introduite à mon ami de longue date Jerry Clark par John Keel, via des courriers. Ces échanges entre Keel et ses collègues écrivains et chercheurs, malgré les désaccords intellectuels et les différentes voies prises par nombre d'entre nous, ont cimenté 40 ans d'amitiés solides au sein d'un petit groupe d'écrivains fortéens dévoués.

Dans Our Haunted Planet (1971), Keel invente le terme « ultraterrestre » pour parler des occupants des OVNIs. Il y expose la possibilité rarement envisagée selon laquelle les « visiteurs » aliens sur Terre ne seraient pas du tout des visiteurs, mais une civilisation terrestre avancée, d'origine humaine ou non-humaine. Concernant le but ultime du phénomène, la seule position de Keel fut de dire que l'intelligence OVNI semble s'intéresser de longue date à l'interaction avec le genre humain.

L'historien-ufologue Jerome Clark écrit à propos de Keel : « [Il fut] un théoricien radical qui croit que les OVNIs sont "ultraterrestres" plutôt qu'extraterrestres. Il veut dire par-là qu'ils sont un phénomène de forme changeante, d'un autre ordre d'existence. Ces ultraterrestres sont essentiellement hostiles, ou du moins méprisants envers les êtres humains, et les manipulent de diverses façons, par exemple en mettant en scène des "miracles" qui inspirent des croyances religieuses infondées. Les ultraterrestres et leurs sous-fifres peuvent se manifester en tant que monstres, gens de l'espace, fantômes et même entités paranormales.» (The UFO Encyclopedia, Volume 1 : UFOs in the 1980s, page 148, NY : Agogee, 1990).


Commentaire : Dans les livres, nous voyons à longueur de temps que les miracles et les apparitions sont pris comme « preuves » d'une sorte de contact divin. Les gens semblent ne pas appréhender une chose pourtant très simple : si vous croyez parce que vous tenez une preuve, vous ne choisissez pas par libre arbitre ! Vous croyez parce que vous n'avez pas le choix de ne pas croire. Quel genre d'énergie une telle chose cache-t-elle, derrière les belles apparences, les guérisons miraculeuses, l'harmonie des sphères, ou les réactions profondément émotionnelles de témoins ? Vous rappelez-vous les mots d'Ann Haywood, cités dans le Tome un ?

« Une nuit, la Dame me fit remonter le temps. Elle m'emmena dans un pays étranger ; les gens y étaient vêtus à l'ancienne mode. La Dame, elle, avait revêtu l'apparence d'une belle femme en robe bleue. Elle accomplit pour eux des miracles... »

Ann Haywood, « l'hôte » humain de l'entité décrite ci-dessus (ce cas est à bien des égards étonnamment similaire à celui de Betty Andreasson Luca), fut apparemment « punie » pour avoir fait cette révélation aux médias.

« Soudain, le visage d'Ann devint gris comme la cendre, et elle demanda à prendre congé. Un cri de douleur jaillit des toilettes où elle avait pris refuge. Quand Ann en sortit, elle reniflait en se tenant l'abdomen. La Dame l'avait sauvagement attaquée pour avoir révélé que, tout au long de l'Histoire, des créatures comme la Dame avaient revêtu l'apparence de saints. Elles avaient alors tiré parti de la crédulité des humains pour les égarer et les induire en erreur, de manière à leur faire croire à des miracles. Ann supplia le journaliste de supprimer ce passage de l'interview. (Osborn, 1982)»

J'ai récemment lu un ouvrage sur les miracles à travers les âges, et en particulier les apparitions de la Vierge, dont, entre autres, le « miracle de Fatima ». Il y a une chose que j'ai observée de manière répétée : le « processus de demande ». De telles entités demandent que quelque chose soit fait - des prières, la construction d'une église, l'expiation, ou que sais-je - et les témoins, bouleversés par la nature miraculeuse de l'apparition, se consacrent sur le champ à la réalisation de ce vœu. Dans certains cas, un « accord » a lieu par lequel l'entité (d'ordinaire la Vierge, divers saints ou membres de la « Sainte Famille ») offre une forme de compensation à l'observance requise. Dans un cas, c'est la victoire lors d'une bataille, dans un autre, une bonne moisson, la pluie, ou Dieu sait quoi.

Ce que tant de gens ne réalisent pas, c'est que répondre à un ordre quel qu'il soit, à une « demande » - que ce soit prier, construire une église, orner son bouclier d'un emblème, ou même ériger un monument en empilant trois pierres au bord de la route - revient à accepter la domination ! On a tacitement consenti à « servir » celui qui a formulé la demande ou donné l'ordre. Un lien psychique est immédiatement établi, et l'on « entre dans la danse ». Le piège, c'est lorsque les demandes ou les « ordres » sont ou bien formulés en des termes qui les font paraître utiles ou bénéfiques, ou bien amenés par la manipulation ou en faisant appel à la pitié.

Laura Knight-Jadczyk, L'Onde, tome deux


Après des années passées à écrire les morceaux de l'histoire dans divers articles et d'autres livres, Keel publia en 1975 The Mothman Prophecies, un rapport de son enquête de 1966-1967 sur les observations de l'homme-phalène, une « chose étrange ailée » signalée dans la région de Point Pleasant, en Virginie-Occidentale.

Keel avait correspondu avec Ivan T. Sanderson, tranquillement, pendant des mois, pour tenter de déterminer quelle sorte d'oiseau pouvait être impliqué dans les observations. Plus tard, lorsque Keel révéla plus en détails le récit des observations et phénomènes associés, d'autres éléments vinrent s'ajouter à l'ensemble.

En 2002, le livre fut adapté au cinéma par Mark Pellington, dans un film [La Prophétie des ombres - NdT] avec Richard Gere, Debra Messing, Laura Linney et Alan Bates.

Deux aspects de la personnalité de Keel sont joués par Gere et Bates. Le personnage de Bates est « Leek », « Keel » à l'envers, et le personnage de Gere est un journaliste, « John Klein », qui joue également sur le nom de Keel. Comme Keel était malade à l'époque, Sony/Screen Gems a réduit le calendrier de ses apparitions publiques à seulement quelques passages télévisés. J'ai aidé Keel en devenant le porte-parole du film dans 400 émissions radios, et j'apparais avec lui dans le documentaire de David Grabias, Search For The Mothman [À la recherche de l'homme-phalène - NdT], que l'on peut voir dans le DVD Deluxe de La prophétie des ombres.

Keel jouait souvent, avec une certaine ironie, sur le côté Men-In-Black, auxquels il s'intéressa beaucoup lors de ses recherches.

Au moment de la sortie du film, une rumeur circulait : Keel était mort. Le 14 janvier 2002, une histoire racontant que John A. Keel venait de mourir fit rapidement le tour du web.

J'ai rapidement mis terme à la rumeur en appelant Keel, confirmant ainsi qu'il était toujours vivant, même si Keel ajouta en plaisantant que tout le monde devait savoir que « ses funérailles [étaient] prévues pour samedi, et qu'il viendra en noir. » Keel m'a dit que cela lui était déjà arrivé une fois, en 1967.

Ces dernières années, les apparitions de Keel se firent rares et espacées. Mais son sens de l'humour ne l'a jamais quitté, comme cette fois où il assista tout de blanc vêtu au Mothman Festival, à Point Pleasant, pour le dévoilement d'une nouvelle réplique du Mothman.

Keel eut une crise cardiaque courant octobre 2006. Il se rendit lui-même à l'Hôpital Lenox de New York City le vendredi 13 octobre, et y subit avec succès une opération chirurgicale du cœur, le 16 octobre 2006. Keel passa ensuite de l'hôpital au centre de rééducation le 26 octobre 2006, comme me l'a racontera ensuite son ami proche, Doug Skinner, qui vit à New York. Skinner apporta une aide inestimable à Keel, et servit comme intermédiaire entre Keel et ses vieux amis.

L'impact de Keel ne peut être sous-estimée, surtout en termes de son analyse des patterns. L'influence de son travail sur les « fenêtres » (« points chauds » spécifiques combinant plusieurs phénomèmes), les « vagues » (apparitions cycliques desdits phénomènes), et le « phénomène du mercredi » (théorie selon laquelle un nombre disproportionné d'incidents OVNIs surviennent en ce jour particulier de la semaine) est profonde et a traversé le temps et l'espace. Des générations de lecteurs de littérature fortéenne réalisent rarement que les écrits de Keel sont souvent à l'origine des discussions sur le « name game », ou des hypothèses d'auteurs sur le fait qu'à tel endroit, sur une crête, un nombre élevé d'événements étranges se produisent après le 21 du mois, un mercredi, lors d'un mois à forte activité comme celui d'avril. Keel fut le premier à tenter d'analyser ces patterns.

L'influence culturelle populaire de Keel reste énorme. Nombre d'études universitaires seront nécessaires pour réaliser pleinement la portée de son travail auprès de la « subculture » qui respecte et joue sur le même terrain intellectuel.

Le 6 juillet 2009, alors que la nouvelle de la mort de Keel le vendredi précédent se répandait sur Internet, hommages et tristesse furent massivement partagés sur la Toile par ses partisans, fans et amis.

John A. Keel va nous manquer.