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© Le Monde.frDe gauche à droite, Jeff Jarvis, Lawrence Lessig, Suzanne Crawford (ex-Icann), Jérémie Zimmerman (La Quadrature du Net), Jean-François Julliard (RSF).
"[Lorsque j'ai proposé d'organiser un sommet réunissant les acteurs d'Internet] certains m'ont dit : 'ils vont croire que tu veux les contrôler'. Cela n'a pas de sens, mais je pense que c'est important pour vous d'être écoutés. Il ne faut pas que tout soit joué d'avance, il faut laisser un peu de vie aussi." Dans son discours d'ouverture de l'e-G8, Nicolas Sarkozy avait promis d'écouter le message que les participants - principalement des représentants d'entreprises Web - auraient à dire. Pourtant, tout semble joué d'avance, s'alarme un collectif d'associations qui a improvisé mercredi 25 mai un contre-débat et lancé une pétition en ligne.

La cause principale de leur colère : la révélation par le New York Times de l'existence d'un document de conclusions du sommet, rédigé avant même son début. Selon le quotidien américain, le texte, qui devrait être officiellement présenté mercredi soir, demande au G8 d'adopter des mesures strictes contre la pédopornographie en ligne et le téléchargement illégal, tout en soutenant un Internet "ouvert" dont le développement serait l'apanage du secteur privé et non des Etats.

DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME

Outre ce sentiment que tout est joué d'avance, les participants du débat ont aussi critiqué la surreprésentation des grandes entreprises à l'e-G8, au détriment de la société civile. "Le président Sarkozy ne s'est adressé qu'aux responsables de grandes entreprises, en leur disant : 'vous êtes Internet, et vous avez des responsabilités'", déplore Jérémie Zimmermann, porte-parole du collectif la Quadrature du Net. "Réunir les plus grandes entreprises et leur demander ce que sera le futur d'Internet ne me semble pas très français", regrette aussi Lawrence Lessig, professeur de droit à Harvard, et spécialiste du droit d'auteur, qui s'inquiète des conséquences de ce choix : "Aux Etats-Unis, nous n'avons presque pas de connexion à très haut débit, parce que les seules personnes qu'a écoutées le gouvernement, se sont les responsables d'entreprises."

"Pas un mot n'a été dit sur ceux qui souffrent à cause d'Internet, les blogueurs qui sont en prison, simplement parce qu'ils ont utilisé Internet", s'inquiète de son côté l'organisation de défense de la liberté d'expression Reporters sans frontières (RSF). "Si nous devons faire une seule recommandation pour le G8, c'est d'inscrire le droit d'accéder à Internet parmi les droits fondamentaux. Avant de penser à réguler, à défendre le droit d'auteur, il faut faire en sorte que les gens aient un libre accès à Internet", résume Jean-Francois Juliard, secrétaire général de RSF. A Nicolas Sarkozy, qui rappelait mardi que la propriété intellectuelle est inscrite dans la déclaration des droits de l'homme, RSF oppose l'article 19 de cette même déclaration, qui stipule que chacun a le droit "de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit".

Mais aujourd'hui, la liberté de se connecter est un préambule de cette liberté d'expression, résume l'universitaire Jeff Jarvis, qui avait interpellé mardi Nicolas Sarkozy en lui demandant de prêter le serment d'Hippocrate vis-à-vis d'Internet : "D'abord, ne pas faire de mal." Si le constat est partagé par la plupart de nombreuses associations et membres de la société civile, la méthode pour y parvenir reste encore floue. "Les gouvernements ont force de loi, et les entreprises ont le 'kill switch'" (bouton qui permet de couper un service), résume, fataliste, Jeff Jarvis.