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Après le scandale du Médiator, le dossier de l'aspartame révèle que les experts chargés des études sanitaires sont liés à des entreprises du secteur agro-industriel. La récente réforme du médicament s'appliquera-t-elle au secteur alimentaire ?

l est des études qui n'ont de scientifique que le nom. Celle réalisée au début des années 70 par le groupe pharmaceutique Searle, pour déterminer la dose journalière admissible (DJA) de l'aspartame, en est une illustration parfaite. A l'époque, Jacqueline Verrett est toxicologue à la Food and Drug Administration (FDA) et fait partie de la Commission chargée de vérifier l'authenticité des recherches menées par Searle. Elle détaillera alors au Sénat américain les pratiques irrationnelles du laboratoire : « les tumeurs [développées par les cobayes suite à une exposition à l'aspartame ] étaient enlevées et les animaux étaient remis dans l'étude, et des animaux enregistrés dans un premier temps comme morts, étaient à nouveau vivants dans un enregistrement ultérieur ». D'après elle, « au moins une de ces aberrations auraient suffi à annuler cette étude. » Pourtant, en 1977, la FDA homologue l'aspartame et fixe la DJA à 40 mg/jour et par kilo de poids corporel... l'équivalent d'une trentaine de canettes de soda pour un adulte de 60 kg. La double casquette de Donald Rumsfeld, alors dirigeant de Searl et secrétaire général de la Maison Blanche aura-t-elle influencé l'agence sanitaire américaine ? Quoi qu'il en soit, l'Europe s'est rapidement alignée sur la position américaine, en reprenant cette même DJA en 1984.

Conflits d'intérêts au sein de l'EFSA

Mais depuis, de nombreuses études scientifiques - autrement dit publiées dans des revues scientifiques reconnues - ont démontré le caractère cancérigène de l'aspartame, et notamment, la vulnérabilité particulière des fœtus exposés à l'édulcorant. (voir article lié). Et malgré les alertes régulièrement lancées par les scientifiques et la société civile, en particulier par le Réseau Environnement Santé (RES), l'Autorité européenne de sécurité sanitaire (Efsa) a longtemps refusé de ré-évaluer cette fameuse DJA. En février dernier, les experts de la commission additifs alimentaires de l'Efsa ont d'ailleurs catégoriquement réfuté les conclusions de deux études portant sur la vulnérabilité du fœtus à l'aspartame. Le panel déclarait alors qu'il ne « voyait pas de raison de reconsidérer les évaluations de sécurité sur l'aspartame, ou d'autres édulcorants autorisés dans l'Union européenne.» Evaluation dont l'agence reconnaît pourtant avoir perdu toute trace...
Cette obstination de l'agence européenne, Marie-Monique Robin l'a en partie décryptée dans son documentaire « Notre poison quotidien », sorti en mars 2011. (voir article lié).
Elle découvre alors que parmi les experts membres de la commission additifs alimentaires, plusieurs entretiennent des liens obscurs avec l'industrie agro-alimentaire ou ses lobbies. L'ONG Corporate Europe Observatory a récemment fait part du même constat. D'après son enquête publiée le 15 juin dernier, sur ces vingt experts, onze seraient en situation de conflit d'intérêt, non pas selon les règles établies par l'EFSA, mais au sens de la définition établie par l'OCDE. Quatre d'entre eux auraient même omis de signifier à l'EFSA leurs contacts avec des agro-industriels.

Le cas de Dominique Parent-Massin est particulièrement emblématique. Professeur à l'université de Brest, l'experte en toxicologie jongle habilement entre les agences sanitaires et le secteur industriel. Sous contrat avec Coca-Cola en 1999, aujourd'hui membre du comité scientifique d'Ajinomoto, le géant japonais de l'aspartame, elle fait néanmoins partie de la commission additifs alimentaires de l'Efsa, et a présidé celle de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments de 2000 à 2003. Après avoir récemment déclaré à l'Efsa ces liens avec Coca-Cola et Ajinomoto, elle aurait néanmoins été exclue des discussions portant sur l'aspartame.

La réforme du médicament profitera-t-elle à la sécurité alimentaire ?

Les mesures prises par le ministre de la Santé Xavier Bertrand, dans le cadre de la réforme du médicament le 23 juin dernier, pourraient d'ailleurs déteindre sur le fonctionnement de l'agence sanitaire française, l'Anses, notamment sur la question de l'indépendance des experts. Le ministre a effectivement annoncé la mise en place d'un Sunshine Act à la française, imposant « la publication, sous la responsabilité de chaque industriel, de toutes les conventions et rétributions passées entre les laboratoires, les médecins, les experts, les sociétés savantes, les associations de patients et les organes de presse spécialisés. » « Ces mesures doivent être appliquées au secteur de l'alimentation », demande le député Gérad Bapt, qui a par ailleurs présidé la mission parlementaire de l'Assemblée nationale sur le Médiator et la pharmacovigilance.

Déjà en avril dernier, le conseil d'administration de l'Anses avait saisi le comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts et le conseil scientifique de l'agence « sur les règles déontologiques et les principes méthodologiques de l'expertise. » Pour l'heure, la réponse se fait toujours attendre.