Traduction : SOTT

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Pour la plupart des gens dans les pays occidentaux d'aujourd'hui, le terrorisme est devenu synonyme d'actes de violence spectaculaires à grande échelle par de petits groupes contre une population civile et, notamment au cours des 15 dernières années, principalement au nom d'une religion en particulier - l'islam. Historiquement parlant (et je veux dire jusqu'au jour présent) il n'y a pas de justification à cette perception et elle ne peut venir que d'une offensive de propagande publique prolongée de la part de ceux qui ont intérêt à la créer et à la perpétuer.

Les archives historiques montrent très clairement que les États, ou ceux qui agissent au nom de l'État, sont responsables de la grande majorité des actes terroristes à grande échelle contre les civils. Si nous faisons une pause pour y réfléchir un moment, cela semble naturel. La classe dirigeante dans toute nation, qu'il s'agisse d'une monarchie, d'une démocratie ou d'une dictature, est naturellement opposée au peuple qu'elle dirige parce que la classe dirigeante jouit de privilèges que le peuple n'a pas. En effet, la classe dirigeante ne jouit de ces privilèges que grâce à cette division fabriquée, à savoir : les « possédants » possèdent parce que les « non-possédants » ne possèdent pas.

Bien que la division entre « ceux qui ont » et « ceux qui n'ont pas » en termes de richesse et de privilèges soit manifeste pour la plupart, beaucoup de gens ont du mal à réaliser que l'existence même d'une riche élite corrompue suppose l'existence de deux définitions et applications très différentes de la moralité, et même de la loi.

Les citoyens mènent leur vie selon un code moral et attendent de leurs dirigeants qu'ils suivent les mêmes standards, à la fois dans leur propre vie et au niveau de leurs relations à l'international en tant que représentants du peuple. Mais ce sens basique de moralité ou de conscience auquel adhère le peuple représente, plus souvent qu'à son tour, une entrave aux objectifs égoïstes de l'élite. Fondamentalement, dans notre monde moderne, l'élite ne serait pas l'élite si elle suivait le même code moral que la majorité de la population. C'est une autre raison pour laquelle la population civile est considérée comme une menace pour l'ordre établi, et pourquoi l'élite doit non seulement mentir à la population sur ses vraies intentions, mais doit aussi tenter de pervertir la compréhension générale de la « moralité » (et de la réalité), afin qu'elle ressemble plus étroitement à la vision du monde déviante de l'élite.

Cette analyse de nos structures sociales et politiques modernes peut paraître infecte à nombre de gens, mais un coup d'œil rapide autour du monde d'aujourd'hui ou un bref coup d'œil sur les deux derniers millénaires, montrent qu'il s'agit de la triste vérité.

Ce déséquilibre mène souvent à la corruption (de toutes sortes) parmi l'élite dirigeante, et il est difficile de trouver des exemples où le peuple n'en a pas souffert. Lorsque cette corruption devient extrême (comme cela est souvent le cas), une forme de révolte populaire est inévitable. Lorsque ce genre d'insurrection se produit, l'ordre établi répond en attaquant les civils qui représentent une menace à leur suprématie. L'histoire est remplie d'exemples de ce genre. Puisque le terrorisme est aujourd'hui très souvent défini comme une agression contre la population civile, il est raisonnable de déclarer que c'est l'État qui, historiquement, a eu à la fois le motif et l'occasion d'exécuter la plupart des actes terroristes.

Cependant, les acteurs de l'État n'ont pas manqué de reconnaître que les mouvements subversifs représentent très souvent la voix de la « majorité silencieuse » des gens ordinaires et qu'en conséquence, ils peuvent engranger rapidement un soutien populaire étendu. Parallèlement, l'État ne peut détruire ces mouvements en « décapitant » les chefs, parce que cela risquerait d'en faire des héros populaires et perpétuerait parmi la population les idéaux anti-Establishment que défendaient les insurgés. C'est particulièrement vrai dans les pays dits démocratiques dont les dirigeants souhaitent maintenir une image « démocratique » à la fois intérieurement et internationalement.

Le but de la contre-rébellion ou « contre-insurrection » sponsorisée par l'État est de renverser les rebelles et les idéaux qu'ils défendent (très souvent, la justice sociale et l'égalité, le droit aux terres, etc.) et de les dépeindre avec succès auprès de la population (et du monde) comme des scélérats égoïstes fondamentalement illégaux et immoraux qui doivent être traités sévèrement. En poursuivant ce but, les divisions idéologiques autrement bénignes qui existent au sein de la plupart des populations peuvent être attisées et exacerbées afin de faire éclater tout mouvement de soutien populaire à la rébellion et d'aligner un pourcentage significatif de la population sur l'État et contre les rebelles. Si cette entreprise réussit, la politique d'État terroriste qui, à l'origine, est responsable de la formation d'un noyau de rebelles, peut alors passer à la vitesse supérieure en étant présentée comme une défense légitime contre le « terrorisme » des rebelles. Gagner la bataille de l'information publique - définir la nature et les raisons du conflit - est donc un élément-clé dans la détermination du résultat. Toutefois, avec les ressources de l'État de son côté, la classe dirigeante ou l'État sont nettement avantagés sur ce point.

Aventures impériales britanniques

La situation est légèrement différente dans le cas de la fondation d'un empire. Dans sa quête impériale, une force d'invasion trouvera qu'il est difficile de convaincre avec succès la population-hôte qu'elle n'est rien d'autre qu'une force d'invasion, et provoquer des divisions requerra des méthodes plus drastiques qu'une simple propagande. Dans le cas où une force d'invasion réussit à présenter ses objectifs comme bienveillants - par ex, répandre la « liberté » (ou plus récemment, la « liberté et la démocratie ») - l'entourloupe est rapidement dévoilée lorsque les effets de la « pacification » sont mis en place. Au final, les attributions d'une armée colonisatrice ne peuvent que provoquer la colère de la population locale et la retourner contre ses envahisseurs. Cela engendre la formation d'un mouvement de résistance local constitué de et/ou soutenu par la population locale. Pour faire face à ce type d'insurrection, l'envahisseur doit non seulement essayer de convaincre la population locale que les insurgés ne sont pas dignes d'un soutien populaire, mais aussi convaincre ses concitoyens là-bas, « au pays » qu'il est charitable d'exproprier quelqu'un de son pays. Convaincre les indigènes semble difficile, car la population à coloniser sera plus encline à s'unir contre un envahisseur étranger manifeste et moins encline à succomber aux efforts pour la diviser suivant des lignes idéologiques, politiques et sociales existantes. Cela dit, l'avantage dans le cas de la colonisation est que l'élite sociale locale (si elle existe) peut souvent être achetée avec des promesses de maintien ou d'amélioration de sa position post-colonisation. En ce qui concerne les citoyens là-bas, « au pays », on peut habituellement compter sur la coopération des médias pour répandre de la désinformation et des mensonges flagrants, sans parler du patriotisme et de la stimulation des inclinations racistes latentes (ou pas si latentes) et faire ainsi en sorte que le peuple rationalise même les pires excès militaires en terre étrangère.

La version officielle de l'effet et de l'héritage de l'Empire britannique telle qu'il est mentionné dans la plupart des livres d'Histoire montre une image de philanthropie sur tout le globe. La réalité des méthodes utilisées par les Britanniques pour établir et maintenir leur « emprise outre-mer » est toutefois une leçon de vrai terrorisme. Étant donné que les origines de l'Empire britannique remontent au moins à 500 ans, les données solides sur ces méthodes sont rares pour la majorité de cette période. Certains détails sont toutefois disponibles. Nous pouvons, par exemple, écarter le mythe populaire de la « Grande famine » irlandaise de 1845, où 1 à 2 millions de civils irlandais moururent et 2 millions furent forcés d'émigrer pour survivre. L'histoire nous dit que cette extermination massive fut causée par une maladie de la pomme de terre qui dura plusieurs années, rendant la récolte impossible. Par suite, nous dit-on, des millions de personnes moururent de faim. Peu de place est cependant laissée à une explication du contexte ou de l'arrière-plan historique.

La « Grande famine » irlandaise

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En 1845, la Grande-Bretagne occupait l'Irlande et essayait de soumettre son peuple sans grands succès, et ce depuis 600 ans. Le peuple irlandais avait la fâcheuse habitude de rejeter sans cesse le joug de la servitude d'un maître étranger. La réponse britannique à ces vagues successives « d'insurrection des natifs du pays » représentait la réponse typique d'une élite dirigeante à l'insolence populaire : meurtres de masse, emprisonnement, torture, déportation de la population vers d'autres colonies pour y travailler comme esclaves et adoption de lois extrêmement préjudiciables à l'Irlandais natif furent misent en place pour écraser tout soulèvement. Dans les années 1600, toutefois, avec les révoltes périodiques qui continuaient, ces mesures ne produisaient toujours pas l'effet désiré.

Une autre tactique fut donc développée pour asservir les Irlandais par la loi, dont les plus significatives furent les lois « Tithing » et plus tard les « lois pénales » qui empêchaient toute personne irlandaise de : posséder ou louer des terres, voter, avoir un poste politique, vivre en ville ou à moins de cinq miles d'une ville, obtenir une éducation ou se lancer dans une profession. Dans le même laps de temps, les seigneurs anglais (la plupart absents) s'étaient vu attribuer de vastes étendues de terre irlandaise qu'ils utilisaient pour élever du bétail et faire pousser des récoltes profitables (pas des pommes de terre) qui étaient exportées pour le marché anglais et pour nourrir les troupes britanniques lors d'aventures impériales dans des pays plus éloignés, comme lors de la « première guerre anglo-afghane ». Les Irlandais étaient donc forcés de faire pousser la seule culture disponible pour eux, la pomme de terre, sur le moindre lopin de terrain aride qu'ils pouvaient trouver. Par suite, entre 1728 et la famine dévastatrice de 1845-50, il y eut 28 famines artificielles en Irlande qui coûtèrent la vie à un demi-million d'Irlandais. Sur toute cette période, l'Irlande avait produit assez de nourriture pour nourrir plus de deux fois sa population, mais presque tout était exporté, à la force des armes, par les Anglais. Dans son livre, The Great Hunger: Ireland: 1845-1849 (La Grande Famine : Irlande : 1845-1849) l'historien et biographe britannique Cecil Woodham-Smith cite un membre du gouvernement anglais de l'époque :
« Les péniches quittent Clommel une fois par semaine à destination de cet endroit, en convoi, avec les fournitures destinées à l'export qui, mardi dernier, consistaient en 2 canons, 50 cavaliers et 80 fantassins les escortant sur les rives de la Suir aussi loin que Carrick. » Un jour, à l'apogée de la « famine », partirent du port de Cork : 147 ballots de bacon, 120 barriques et 135 barils de porc, 5 barriques de jambons, 149 barriques de diverses provisions, 1 996 sacs et 950 barils d'avoine ; 300 sacs de farine ; 300 têtes de bétail ; 239 moutons ; 9 398 tonnelets de beurre et 542 boîtes d'œufs.
Nicolas Cummins, un « Justicier de la Paix » anglais (un type de magistrat) de l'époque donne ce compte-rendu de ce qu'il a vu :
« Je suis entré dans certains des taudis... et les scènes qui se présentaient étaient telles qu'aucune langue ou plume ne peut en traduire la plus petite idée. Dans le premier, six squelettes affamés et horribles, morts selon toute apparence, étaient regroupés dans un coin sur de la paille souillée, leurs pieds couvrant ce qui semblait être une couverture de cheval en haillons, leurs jambes pitoyables pendantes, nues au-dessus des genoux. Je me suis approché avec horreur et un faible gémissement m'a fait réaliser qu'ils étaient vivants - ils avaient la fièvre, quatre enfants, une femme et ce qui autrefois avait été un homme... en quelques minutes je fus entouré par au moins 200 de ces fantômes, des spectres effrayants que nul mot ne peut décrire. »
Dans les Sessional Papers de 1856 de la Chambre des Communes anglaise, Vol.29 part 5, page 243, nous lisons :
« Ceux qui mouraient de faim vivaient de carcasses de bétail malade, de chiens et chevaux morts, mais principalement d'herbes dans les champs, de tête d'orties, de moutarde sauvage et de cresson ; à certains endroits, des cadavres ont même été trouvés avec de l'herbe dans la bouche. »
En mars 1846, Lord John Russell, le chef du parti « libéral » de l'opposition - les Whigs (l'aïeul idéologique de Tony Blair) - et futur Premier ministre britannique quelques mois plus tard, commenta la situation :
« Nous avons fait [de l'Irlande] le pays le plus dégradé et le plus misérable du monde... le monde entier crie au scandale ; mais nous sommes également insensibles à notre ignominie et aux résultats de notre mauvaise gouvernance. »
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Une fresque à Belfast commémorant la ‘famine’ irlandaise.
John Mitchel, journaliste et avocat-conseil irlandais, semble avoir perçu l'objectif britannique dans sa création d'une « famine » lorsqu'il écrivit dans son livre The History of Ireland : « Un pauvre sans terre, affamé, ne peut se permettre de penser à l'honneur de son pays et ne se soucie pas du drapeau national. » Quant à la question très débattue de savoir si le génocide efficace commis contre un quart de la population irlandaise fut le résultat indirect d'une politique d'avidité britannique ou d'une action politique/militaire consciente destinée à régler une fois pour toutes la « question irlandaise », nous n'avons qu'à lire les mots qui apparaissent dans une lettre envoyée en 1601 par le Lord Députy d'Irlande, Sir Arthur Chichester, à Lord Burghley, conseiller en chef de la reine Elizabeth :
« J'ai souvent dit et écrit, c'est la Famine qui doit les consumer (les Irlandais) ; nos épées et autres tentatives ne fonctionnent pas aussi rapidement que nous l'espérions, pour les renverser. »
Toute dissidence potentielle parmi le peuple anglais sur le traitement inhumain des Irlandais avait été depuis longtemps contenue au moyen de campagnes de propagande gouvernementales racistes. Le magazine humoristique populaire Punch publia le portrait suivant de l'Irlandais en 1862 :
« Des explorateurs aventureux peuvent rencontrer une créature, manifestement un croisement entre le gorille et le nègre, dans certains bas-fonds de Londres et de Liverpool. Cette créature vient de l'Irlande, d'où elle a été forcée d'émigrer ; elle appartient en fait à une tribu de sauvages irlandais : l'espèce la plus basse des brutes irlandaises. Lorsque l'on converse avec cette race, elle parle une sorte de baragouin. C'est, qui plus est, un animal qui grimpe et on peut le voir parfois en train de monter sur une échelle avec une hotte de briques. La brute irlandaise reste généralement à l'intérieur des limites de sa propre colonie, sauf quand elle en sort pour obtenir sa subsistance. Parfois cependant, elle sort en état d'excitation et attaque des hommes civilisés qui avaient provoqué sa furie. »

L'Inde et l'autorité britannique


Environ à la même époque où les Irlandais étaient la cible d'une campagne de terreur britannique, une histoire similaire se développait dans l'Inde « britannique ».

De sa création en 1757 jusqu'à sa dissolution finale en 1858, la « Compagnie des Indes » britannique (un groupe de marchands londoniens de la classe dirigeante et agissant au nom de la Reine) pilla les ressources (y compris la population) du continent indien au nom de la Reine et du pays (et du profit personnel). Faisant du commerce principalement dans le coton, la soie, la teinture indigo, le salpêtre et le thé, et ayant introduit de l'opium illégal en Chine, la Compagnie généra des revenus importants et en vint à diriger de grandes régions de l'Inde, exerçant un pouvoir militaire et assumant les fonctions administratives au nom de la couronne britannique. En mai 1857, le racisme endémique que subissaient les recrues indiennes (appelées « Spahis ») dans l'armée de la Compagnie des Indes Orientales de la part de leurs maîtres britanniques avait atteint un point de non-retour. Les révoltes éclatèrent dans tout le pays sous la direction de chefs indiens et furent supprimées avec une brutalité enthousiaste par les forces armées britanniques. Après le siège de Delhi, une lettre publiée dans le Bombay Telegraph et reproduite dans la presse britannique témoignait de l'étendue et de la nature des massacres perpétrés par les Britanniques :
« .... Tous les gens de la ville trouvés à l'intérieur des murs de la ville de Delhi lorsque nos troupes entrèrent furent tués sur place à la baïonnette et le nombre fut considérable, comme vous pouvez le supposer, quand je vous dis que dans certaines maisons quarante cinquante personnes se cachaient. Ce n'étaient pas des mutins mais des résidents de la ville qui faisaient confiance à notre règle modérée bien connue pour le pardon. Je suis content de dire qu'ils furent déçus. »
Une autre lettre brève du général Montgomery au capitaine Hodson montre l'approbation du haut commandement de l'armée britannique concernant le massacre de sang-froid des Delhites :
« Honneur à vous pour avoir attrapé le roi et tué ses fils. J'espère que vous en capturerez beaucoup d'autres ! »
En tant que chef de cavalerie et officier de renseignement, Hodson contribua à imposer la capitulation de Delhi et captura personnellement le dernier empereur mughal de l'Inde, Bahadur Shah Zafar, avec ses fils qui campaient juste en dehors de Delhi près de la tombe d'un ancien empereur mughal. Ayant demandé et obtenu la reddition de Zafar, ses trois fils furent placés par Hodson sur un chariot tiré par des bœufs et emmenés vers la ville. Alors qu'ils s'approchaient de la porte de la ville, Hodson ordonna aux trois princes de descendre du chariot et de se déshabiller. Il les tua ensuite avant de les dépouiller de leurs sceaux, brassards en turquoise et épées ornées de bijoux. Leurs corps furent jetés devant un poste de police et laissés là pour que tout le monde les vît.

Edward Vibart, un officier de 19 ans, coucha par écrit son expérience du châtiment infligé aux habitants de la ville pour leur révolte :
« C'était littéralement des meurtres... J'ai vu de nombreuses scènes sanglantes et terribles récemment, mais une comme celle dont j'ai été témoin hier, je prie de n'en jamais revoir. Les femmes furent toutes épargnées mais leurs cris en voyant leurs maris et fils massacrés furent les plus douloureux... Dieu sait que je ne ressens pas de pitié, mais quand un vieil homme grisonnant barbu est traîné et tué juste devant vos yeux, dur doit être le cœur de l'homme qui peut regarder avec indifférence... »
Outre les massacres de masse d'hommes, femmes et enfants indiens, certains rebelles furent « explosés au canon », un procédé au cours duquel les gens sont attachés à la bouche d'un canon et déchiquetés.

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Indiens ‘éclatés au canon’
Le niveau et la sauvagerie des punitions infligées par les Britanniques furent considérés comme largement appropriés et justifiés par le peuple britannique resté au pays, qui avait été choqué par le déluge de reportages de la presse sur les atrocités perpétrées par des Indiens contre des Européens et des chrétiens. Le problème toutefois, était que la plupart des reportages sur les atrocités indiennes étaient faux et avaient été délibérément répandus par le gouvernement britannique et le commandement militaire pour justifier la répression des Indiens rebelles.

Les journaux britanniques imprimèrent divers comptes-rendus de « témoins oculaires » du viol de femmes et de filles anglaises qui s'avérèrent plus tard être faux. Un de ces comptes-rendus publiés par The Times, concernant un incident où 48 jeunes Anglaises, certaines âgées de 10 ans, avaient été violées par des rebelles indiens à Delhi, fut décrit comme de la fausse propagande par Karl Marx, qui souligna que l'histoire était écrite par un pasteur à Bangalore loin des événements de la révolte. En outre, le peuple britannique était depuis de nombreuses années sujet à une propagande raciste incessante qui joua un rôle majeur dans la diffusion et le maintien de l'Empire britannique. La révolte indienne fut, pour le peuple britannique, un simple exemple de plus de l'ingratitude des « malheureux barbares » que les Britanniques essayaient bénévolement de civiliser.

À titre d'exemple de l'efficacité des efforts de l'élite britannique pour infuser sa propre moralité dans l'esprit de la population britannique, il est instructif de considérer les mots du célèbre auteur anglais Charles Dickens, qui dit à l'époque :
« J'aimerais bien avoir été commandant en chef là-bas [en Inde] ! Je m'adresserais à ce caractère oriental, à qui l'on doit parler puissamment, avec l'affiche suivante, qui devrait être traduite vigoureusement dans tous les dialectes indigènes, « Moi, L'Inimitable, tenant ce poste et croyant fermement que je le tiens par la permission du Ciel et non par la nomination de Satan, j'ai l'honneur de vous informer, vous de l'aristocratie indienne, qu'il est dans mon intention, avec tout possible évitement de cruauté inutile et avec toute rapidité miséricordieuse, d'exterminer la Race de la face de la Terre, qui a défiguré la Terre avec les récentes atrocités abominables. »
À la suite de la révolte indienne de 1858, le terme « cipaye », nom anciennement donné aux recrues indiennes de l'armée britannique, devint un terme humiliant chez les Britanniques et fut souvent utilisé pour designer les nationalistes et les mouvements nationalistes au sein de l'Empire, surtout en Irlande. Le nombre total d'Indiens tués par les Britanniques durant la révolte est difficile à évaluer, mais des estimations basses suggèrent au moins « de nombreuses centaines de milliers » de morts. Les estimations hautes vont jusqu'à des millions, avec beaucoup de millions déportés. Pas plus de 2000 soldats britanniques perdirent leur vie.

Après l'écrasement de la révolte, le gouvernement britannique décida qu'un changement de garde (ne serait-ce que nominatif) pourrait être un bon moyen de stopper d'autres soulèvements nationaux en Inde. La Compagnie des Indes Orientales fut donc nationalisée sous la « loi du Gouvernement de l'Inde de 1858 » et la Couronne britannique assuma l'administration directe du pays sous la forme du « Raj britannique ». La liberté et une terre à eux étaient toutefois encore loin pour les Indiens, et en quelques années, l'ombre de la mort serait à nouveau projetée sur le sous-continent entier.

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Un dessin du magazine Punch de 1857 montrant Lord Canning disant : « Eh bien, ils ne l’éclateront pas avec de méchants canons, mais il doit promettre d’être un bon petit cipaye. »
En 1876, une sécheresse détruisit la majorité des récoltes du plateau du Deccan. Les sécheresses périodiques en Inde étaient un fait commun depuis longtemps, mais après 100 ans d'occupation des terres par les Britanniques dans le but de faire pousser des arbres pour le bois de charpente et de remplacer les pois chiches par du coton (ce qui était bien plus profitable), les sécheresses en Inde signifiaient le désastre pour la population. Les Britanniques avaient aussi aboli le système traditionnel de réserves de céréales individuelles et collectives, ce qui rendait la population indienne entièrement dépendante du gouvernement britannique pour fournir les rations en périodes de famine.

Comme cela avait été le cas avec les sécheresses auparavant (et comme cela le serait après), en 1876, il y eut un net surplus de riz et de blé dans le pays, mais le vice-roi, Lord Lytton, insista sur le fait que rien ne devait empêcher l'exportation vers l'Angleterre. En effet, durant tout l'automne de 1876, alors que les récoltes s'amenuisaient et que les gens mouraient de faim, Lytton était absorbé par les préparatifs des festivités qui célèbreraient le couronnement de la reine Victoria comme « Impératrice des Indes ». La célébration comprenait une fête étalée sur un week-end pour 68 000 officiels ; ce fut à l'époque le repas le plus colossal et coûteux de l'histoire mondiale. Un journaliste anglais estimera par la suite que 100 000 des sujets de la nouvelle reine-impératrice moururent de faim à Madras et Mysore au cours de sa cérémonie de couronnement.

En 1877 et 1878, à l'apogée de la famine, les marchands de céréales britanniques exportèrent 320 000 tonnes de blé - un record. Alors que les paysans commençaient à mourir de faim, des officiels reçurent l'ordre de « décourager l'aide humanitaire par tous les moyens possibles. » La loi sur les Contributions anti-charitables de 1877 prohibait, « sous peine d'emprisonnement, les dons de secours privés qui interféraient potentiellement avec la fixation des prix des céréales sur le marché. » Le seul travail humanitaire permis dans la plupart des quartiers était des travaux pénibles, qui étaient refusés à tous ceux qui se trouvaient en état avancé de famine. Dans les camps de travail, on donnait aux travailleurs moins de nourriture qu'aux détenus des camps de concentration nazis. En 1877, la mortalité mensuelle dans les camps égalait un taux de mortalité annuel de 94 %.

Alors que des millions de personnes mouraient, le gouvernement impérial lança « une campagne militarisée pour collecter les arriérés des taxes accumulées durant la sécheresse. » L'argent, qui ruinait ceux qui auraient autrement pu survivre, fut utilisé par l'élite britannique pour financer sa guerre en Afghanistan. Environ 7 millions d'Indiens moururent de faim par suite de la famine orchestrée par les Britanniques en 1876. Une autre fausse famine fut provoquée par les Britanniques en 1900, causant la mort d'un million de personnes ; et au pic de la Deuxième Guerre mondiale, la « famine » frappa la région du Bengale, tuant 3 millions de personnes tandis que les Britanniques stockaient et exportaient la nourriture indienne. En réponse à une requête urgente du Secrétaire d'État pour les Indes Leo Amery et du général Wevell de libérer des stocks de nourriture pour l'Inde, Winston Churchill répondit par un télégramme dans lequel il demandait : « si la nourriture est si rare, pourquoi Gandhi n'est-il pas déjà mort ? »

Le général Rawlison, commandant en chef militaire aux Indes en 1920, commente :
« Vous pouvez dire ce que vous voulez sur le fait de ne pas tenir les Indes par l'épée, mais vous les tenez par l'épée depuis 100 ans, et lorsque vous abandonnerez l'épée, vous serez mis à la porte. Vous devez gardez l'épée prête, et en cas de troubles ou de révolte, utilisez-là sans pitié. Montagu appelle cela du terrorisme, c'en est donc, et pour traiter les indigènes de toutes classes, vous devez utiliser le terrorisme, que vous l'aimiez ou non. » [la mise en gras est de mon fait]
Ce n'est qu'un petit aperçu du terrorisme perpétré par l'élite britannique dans ses efforts sur des siècles pour venir à bout de l'insurrection populaire en Irlande et aux Indes. De nombreux autres exemples pris aux 18e et 19e siècles, dans de nombreuses régions de l'Empire britannique, pourraient également souligner ce point, mais comme je l'ai noté, les données solides sont rares, et nous devons examiner le 20e siècle et les « Troubles » en Irlande du Nord pour avoir des preuves détaillées du terrorisme d'État contre une population civile.

Les « Troubles » en Irlande du Nord

Comme déjà mentionné, la gouvernance britannique en Irlande remonte à 800 ans. Durant toutes ces années, des vagues successives de planteurs anglais et écossais furent établies dans la province nordique de l'Ulster. La discrimination « naturelle » que les Irlandais subissaient aux mains des Anglais simplement parce qu'ils n'étaient « pas Anglais » était déjà suffisamment néfaste, mais la Réforme et la rupture de l'Église d'Angleterre avec Rome empirèrent significativement leur situation, les Irlandais étant de confession catholique. À la fin des années 1700, un groupe de ministres protestants particulièrement zélés s'étaient établis dans la province nordique de l'Ulster et prirent soin d'enflammer le sentiment anti-catholique local en déclarant que le gouvernement anglais planifiait de vendre ses sujets anglais loyaux en Irlande à la « papauté ». Des fermes catholiques irlandaises furent attaquées et brûlées et des milliers de personnes furent tuées par des groupes de milice protestante comme les 'peep-o-day boys', ainsi nommés parce qu'ils attaquaient tôt le matin. Ces groupes furent plus tard incorporés dans « l'Ordre d'Orange » protestant quasi-maçonnique et sectaire, qui jouerait un rôle si destructeur en Irlande du Nord dans la dernière partie du 20e siècle.

Après un soulèvement national héroïque en 1916 et une guérilla prolongée contre les Anglais menée par Michael Collins, une indépendance partielle fut accordée à l'Irlande sous le « Governement of Ireland Act » de 1920. Sous les fortes sollicitations et menaces des fanatiques protestants dans le Nord du pays (qui s'appelaient « loyalistes »), les termes de l'accord stipulaient que 6 comtés de la province d'Ulster (sur un total de 9 dans cette province et de 32 au total en Irlande) resteraient dans le Royaume-Uni. Une frontière fut dûment érigée pour s'assurer que les sujets protestants loyaux fussent en majorité et, de cette manière, le « petit État » d'Irlande du Nord fut créé. Les catholiques qui vivaient dans les confins du nouveau « petit État » et aspiraient à une unification de l'Irlande étaient appelés « Républicains ».

Un parlement (Stormont) fut établi dans l'Irlande du Nord nouvellement formée, avec une Chambre des Communes et un Sénat ainsi qu'une force de police (The Royal Ulster Constabulary - RUC) constituée presque entièrement de protestants. Durant les 50 années suivantes, avec le soutien total de l'élite britannique, les citoyens protestants d'Irlande du Nord jouiraient de droits qui seraient systématiquement refusés à la population catholique. L'influence de « l'Ordre d'Orange » quasi-maçonnique et sectaire sur la gouvernance de l'Irlande du Nord était étendue. Les six Premiers ministres d'Irlande du Nord furent tous des membres de l'Ordre d'Orange, comme tous les ministres du cabinet, sauf trois, jusqu'en 1969. Trois des ministres quittèrent l'Ordre plus tard, un parce que sa fille épousa un catholique, un autre pour devenir ministre des Relations de la Communauté en 1970, et le troisième fut expulsé pour avoir assisté à une cérémonie religieuse catholique. Sur les 95 Premiers ministres de Stormont qui ne devinrent pas ministres du cabinet, 87 appartenaient à l'Ordre d'Orange. Chaque sénateur syndicaliste, à une exception près, entre 1921 et 1969, appartenait à l'Ordre d'Orange. Un de ces sénateurs, James Gyle, fut suspendu de l'Ordre pendant sept ans pour avoir rendu visite au Premier ministre nationaliste Joe Devlin sur son lit de mort.

En 1968, inspirés par le « Mouvement des Droits Civiques » afro-américain aux États-Unis, des catholiques irlandais d'Irlande du Nord avaient commencé à exiger publiquement des droits égaux, dont un accès aux logements publics, l'abolition de la discrimination à l'emploi et des améliorations des infrastructures éducatives et communautaires dans les zones catholiques. « L'Association des Droits Civiques » organisa un défilé dans la ville de Derry le 5 octobre de cette année. Le défilé fut interdit par le ministre des Affaires intérieures, mais il eut néanmoins lieu. Sous les caméras de la télévision, la force de police protestante, la RUC, attaqua les manifestants et mit à terre à coups de matraque hommes, femmes et enfants. Lorsque le groupe d'étudiants « The People's Democracy » commença un défilé de trois jours pour les droits civiques le 1er janvier 1969, de Belfast à Derry, les manifestants furent continuellement harcelés par des loyalistes le long de la route. Lorsque les manifestants approchèrent de Derry le 4 janvier, ils furent pris dans une embuscade par des loyalistes et des membres des forces de police portant des bâtons cloutés, des barres de fer, des bouteilles et des chaînes.

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Fresques de la ‘Bataille de Bogside’ dans la zone de Bogside à Derry en Irlande du Nord.
Lorsque ce qui restait du défilé, meurtri, atteignit Derry, des combats éclatèrent entre la RUC et les jeunes catholiques. La nuit suivante, le 5 janvier, une force de la RUC envahit la zone résidentielle de Bogside, à Derry, cassant les fenêtres des maisons et tabassant les malheureux qui se trouvaient dehors. Les résidents de Bogside recoururent à l'érection de barricades, et sur le pignon d'une maison de St Columb's street, on peignit la célèbre fresque « vous entrez maintenant dans le Derry libre ». La communauté catholique d'Irlande du Nord réalisa rapidement qu'elle devait se protéger. En avril de cette année, au cours d'une autre incursion de la RUC, le résident de Bogside Samuel Devenny fut gravement battu avec des bâtons par des membres de la RUC lorsqu'ils entrèrent chez lui. Ses filles adolescentes furent aussi battues au cours de l'agression. Devenny mourut plus tard des suites de ses blessures.

Le mouvement des droits civiques décida de réduire l'échelle de ses activités pour calmer la situation, mais la décision du Premier ministre entrant James Chichester-Clark selon laquelle les défilés annuels de l'Ordre d'Orange en été seraient autorisés (passant délibérément dans les zones catholiques pour affirmer la suprématie protestante) fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase pour la communauté catholique. De sérieuses émeutes éclatèrent à Belfast, à Derry et ailleurs lorsque la RUC tua deux catholiques impliqués dans une manifestation contre un défilé de l'Ordre d'Orange. Lorsque les combats éclatèrent entre le groupe protestant sectaire « the Apprentice Boys » (qui avait mis sur pied un défilé proche de la zone de Bogside) et de jeunes catholiques, la RUC répondit par une invasion à grande échelle de Bogside. La bataille dura 48 heures, durant lesquelles la RUC inonda toute la zone des 50 rues avec du gaz CS, causant de graves problèmes respiratoires aux résidents. Les résidents répondirent en lançant des cocktails Molotov et des pierres. Réalisant qu'il avait perdu le contrôle de la situation, le gouvernement loyaliste d'Irlande du Nord appela le gouvernement britannique, et pour la première fois en presque 50 ans, des soldats britanniques furent déployés dans les rues de l'Ulster.

Pendant ce temps, l'IRA était critiquée pour son échec à protéger la population catholique d'Irlande du Nord. La réalité, toutefois, est que cette organisation n'était pas en position de le faire. En 1960, après une campagne de faible ampleur contre la RUC, le leadership de l'IRA avait décidé d'abandonner la lutte armée en faveur d'une action politique. Maintenant, avec la sévérité croissante des attaques contre les catholiques, plusieurs membres supérieurs prirent la décision de réaffirmer une action militaire pour protéger leur communauté et renverser le gouvernement sectaire d'Irlande du Nord.

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Une fresque commémorant les victimes du massacre de Ballymurphy à Belfast
La communauté catholique accueillit d'abord favorablement l'apparition de troupes britanniques dans leurs rues comme tampon à la violence loyaliste et de la RUC. Les attaques loyalistes et de la RUC continuèrent cependant, et alors que l'IRA intensifiait sa campagne d'attaques contre la RUC, un nouveau gouvernement conservateur mené par Edward Heath en juin 1970 donna des ordres afin que toute émeute des catholiques fût réprimée avec une « force maximale » par les troupes britanniques. En juillet, lorsque des troupes attaquèrent une maison sur Falls Road à Belfast, une émeute éclata et reçut en réponse une invasion de la zone par 3 000 soldats britanniques, des véhicules armés et des hélicoptères, et l'imposition d'un couvre-feu. Du 3 au 5 juillet, une zone couvrant 50 rues fut fermée et les soldats saccagèrent et démolirent de nombreuses maisons. Quatre résidents furent abattus et un mourut écrasé par un véhicule blindé. Pour couronner le tout, deux ministres protestants radieux furent emmenés par l'armée faire un tour de la zone démolie. L'élite britannique avait ainsi clarifié à la population irlandaise le rôle précis que jouerait l'armée britannique.

Tandis que les abus de l'armée britannique et de la RUC contre la population catholique continuaient, les rangs de l'IRA augmentaient. Dans une tentative désespérée de contenir la situation et de réaffirmer la suprématie loyaliste, le Premier ministre Chichester Clark opta pour réintroduire l'internement. Lors de raids à l'aube du 9 août 1971, la Branche Spéciale de la RUC (étroitement alliée et contrôlée par le MI5 britannique) lança « l'opération Demetrius » avec l'armée britannique. Le premier jour, 342 personnes, dont peu étaient membres de l'IRA, furent arrêtées. Lorsque les troupes britanniques entrèrent dans la zone de Ballymurphy à Belfast le matin du 11, ils abattirent six civils :
  • Frank Quinn, 19 ans, abattu par un sniper de l'armée britannique alors qu'il portait secours au Père Hugh Mullan.
  • Hugh Mullan, 38 ans, un prêtre catholique, abattu par un sniper alors qu'il portait secours à un homme blessé.
  • Joan Connolly, 50 ans, tuée par plusieurs balles dans la tête et le corps alors qu'elle portait assistance à un garçon blessé. Ses blessures étaient si étendues que son mari eut du mal à identifier son corps.
  • Daniel Teggart, 44 ans, abattu d'une balle dans la tête alors qu'il passait devant une base de l'armée.
  • Noel Phillips, 20 ans, abattu alors qu'il se trouvait en face d'une base de l'armée.
  • Joseph Murphy, 41 ans, abattu alors qu'il se trouvait en face d'une base de l'armée.
Quatre autres furent abattus le 11 août :
  • Edward Doherty, 28 ans, abattu alors qu'il marchait sur Whiterock Road.
  • John Laverty, 20 ans, et Jospeh Corr, 43 ans, furent tués à des endroits distincts au sommet de Whiterock Road. John reçut deux balles, une dans le dos et une à l'arrière de la jambe. M. Corr reçut plusieurs balles et mourut de ses blessures le 27 août.
  • John McKerr, 49 ans, fut abattu alors qu'il se trouvait en dehors de l'église locale. Il mourut le 20 août des suites de ses blessures
  • Paddy McCarthy, 44 ans, fut défié par un groupe de soldats alors qu'il essayait d'évacuer des enfants de la zone. Un soldat plaça une arme vide dans sa bouche et pressa la détente. Le résultat fut que Paddy eut une crise cardiaque et mourut peu de temps après.
Dans toute autre société développée de l'époque, une telle brutalité aurait été largement condamnée par la communauté internationale. Mais en Irlande du Nord, tout catholique tué par l'armée britannique ou la RUC était automatiquement étiqueté « terroriste suspect » et, le plus souvent, accusé de porter une arme ou de tirer sur des soldats. Selon l'ancien soldat SAS Paul Bruce, il était courant pour les soldats britanniques stationnés outre-mer de voler et de cacher des munitions qu'ils gardaient pour les utiliser contre les « paddies » (terme péjoratif pour Irlandais - NdT) lors de leurs tours de service en Irlande du Nord.

Au cours des quatre années et demie d'internement, presque 2 000 personnes furent arrêtées et emprisonnées sans charge ni procès. 95 % étaient des catholiques irlandais, et beaucoup furent sujets à la torture ou à des « techniques d'interrogatoire poussé ». Le résultat de l'internement, qui fut perçu comme une attaque contre toute la communauté catholique irlandaise, fut un accroissement supplémentaire des rangs de l'IRA.

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Un soldat britannique brutalise un jeune catholique lors du ‘Dimanche sanglant’
Lorsque 20 000 catholiques s'engagèrent dans un défilé pacifique à Derry le dimanche 30 janvier 1972, des parachutistes britanniques ouvrirent le feu sur les manifestants et abattirent 42 civils non armés. 14 moururent, y compris six enfants. Deux mois plus tard, au grand dam des Unionistes, le Parlement de Stormont d'Irlande du Nord fut suspendu et aboli complètement un an plus tard, laissant la place à une gouvernance directe imposée par Londres.

Bloody Sunday', nom donné à la tuerie du 30 janvier 1972, fut peut-être le moment décisif qui assura que les « troubles » en Irlande du Nord continueraient pendant encore 25 ans. Le problème, toutefois, est qu'il est inconcevable que, comme le prétend le rapport officiel sur le massacre, les troupes aient « perdu le contrôle ». Les soldats, en particulier les soldats d'élite comme les membres du régiment de parachutistes britanniques et les SAS, exécutent les ordres à la lettre parce qu'ils sont entraînés pour le faire. Ils sont entraînés activement pour ne pas penser ou agir de leur propre initiative. Ils reçoivent les ordres de leurs officiers supérieurs, qui en retour reçoivent des ordres de « fonctionnaires civils » et d'autres politiciens de l'élite du gouvernement britannique. La seule conclusion est donc que le massacre du Bloody Sunday faisait partie d'un plan délibéré des autorités britanniques pour s'assurer que la guerre en Irlande du Nord non seulement continuerait, mais s'aggraverait. Mais dans quel but ?

Dans son livre, The Kitson Experiment, Roger Faligot affirme :
« Avec une grande expérience des guerres coloniales en Afrique et en Asie, |Kitson] conçut des plans visant à écraser, contrôler, canaliser et avorter les mouvements sociaux que les autorités considéraient comme un risque important susceptible de mener à un soulèvement social. Pour la première fois, des méthodes qui avaient été utilisées contre les Malais, les nationalistes kenyans, les combattants algériens ou les Vietcong allaient être adoptées à une large échelle en Europe occidentale. Le général britannique Frank Kitson se vit offrir l'Irlande comme terrain d'essai pour ses théories. Le contrôle des populations, la guerre psychologique, l'utilisation d'unités spéciales et l'expansion globale des services de renseignement ; le développement d'une nouvelle technologie assurant l'endiguement, voire la destruction, de toute expression de désobéissance civile d'opposition politique, syndicaliste, nationaliste, féministe ou écologique, y compris la guérilla urbaine, constituent les divers éléments de ces théories.

Seule l'Irlande a jusqu'à présent servi de terrain à une expérience totale, où toutes les techniques de guerre spéciales sont pleinement utilisées. [...] L'Irlande avait le malheureux privilège de servir de laboratoire militaire, avec son peuple comme cobaye. Parce qu'ils parlent anglais, sont blancs et font partie intégrante de l'Europe, les Irlandais fournissent un ennemi interne modèle. Leur histoire et culture les distinguent de la Grande-Bretagne et de l'Europe, et c'est à cause de cela qu'on les autorise à mourir en silence : ils sont à la fois un ennemi éloigné - des étrangers - et à la fois nos propres ombres. Une occasion sans précédent est donc présente pour expérimenter les techniques de contrôle politico-militaire de tous les peuples. »
Le général de brigade Frank Kitson arriva en Irlande du Nord en 1970, alors que la révolte était déjà en cours. En décembre 1971, dans les casernes de l'armée britannique de Lisburn (16 km au sud de Belfast), les officiers responsables des « forces de sécurité » en Irlande du Nord considéraient leurs options. Le plan avancé fut de lancer une politique d'isolement de l'IRA au sein de la communauté nationaliste, avec une répression directe de l'organisation, dans le cadre de la gouvernance directe de Londres, un programme de réformes sur le logement et l'emploi et des opportunités égales pour les communautés catholiques et protestantes. Kitson, qui était en poste dans les casernes, ne fut pas impressionné et déclara que la situation avait évolué au point que d'autres méthodes seraient nécessaires.

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Le général Frank Kitson – psychopathe-en-chef des forces terrestres britanniques
Il s'ingénia à mettre en place les fruits de sa recherche sur la « guerre spéciale » qu'il avait peaufinée en des lieux comme le Kenya et Chypre. Le cœur de la théorie de Kitson sur la manière de détruire un mouvement de résistance populaire comprenait : des opérations secrètes, tortures, provocations, manipulation ou faux groupes de résistance dissidents qui agissent pour discréditer les vraies forces de libération ; opérations psychologiques (gestion de la perception), le tout articulé autour deux objectifs : la reconquête de la population, et l'isolation, suivie de la destruction de la résistance. Il développa en particulier des plans visant à provoquer une sécession dans les rangs de l'IRA ; initier un faux mouvement de la paix ; assurer des arrestations sélectives de membres de l'IRA plutôt qu'un internement de masse ; mettre sur pied des « pseudo-gangs » (principalement en utilisant des SAS et autres unités spéciales) qui s'occuperaient d'infiltrer l'IRA et les groupes militants loyalistes, et aussi perpétrer des assassinats aveugles pour terroriser la population. Selon Kitson, pour gagner la guerre psychologique, il était crucial que la responsabilité des mesures paramilitaires utilisées par les forces de l'État retombât sur leur ennemi, ou du moins que l'opinion publique en fût convaincue.

Bien que les suggestions de Kitson aient pu, sur le moment, sembler quelque peu tirées par les cheveux pour le commandement militaire britannique, pléthore de preuves suggèrent que, en quelques années, ses idées furent totalement mises en place en Irlande du Nord et que ses théories atteignirent non seulement les cercles supérieurs de l'armée britannique et l'establishment politique, mais aussi les centres de recherche, les cercles de réflexion et les lobbies au sein de l'OTAN et des États-Unis, et furent utilisées plus tard pour orchestrer et soutenir la « guerre globale contre le terrorisme ».

Mais d'abord, quelques exemples tirés d'Irlande du Nord :

Dans son livre The Nemisis File, l'ancien soldat du SAS Paul Bruce raconte son expérience de mission secrète en Irlande du Nord au début des années 1970. Attaché au même régiment et caserne que Frank Kiston, il eut pour tâche d'assassiner des membres soupçonnés d'appartenir à l'IRA qui avaient été capturés. Bruce et d'autres membres de son régiment prenaient rendez-vous avec d'autres membres du SAS pour la saisie des prisonniers et conduisaient ensuite les suspects à des endroits éloignés et, en utilisant un silencieux, les tuaient à bout portant avant de jeter leurs corps dans des fosses préparées à l'avance. Après avoir mené plusieurs de ces opérations cruelles, Bruce et son équipe d'assassins furent informés par leurs supérieurs que la description de leur emploi avait changé :
« Les galonnés voulaient encourager une vraie guerre sectaire sans limites entre les catholiques et les protestants afin que l'armée pût rester à l'écart et regarder les deux bords se déchirer l'un l'autre. Ils estimaient qu'au bout de quelques semaines, les deux bords voudraient une trêve et ensuite, les politiciens pourraient remettre tout en place. » [le soulignement est de moi]
Le job de Bruce et de ses camarades serait de « s'assurer que la guerre commence des deux côtés et continue. » On lui dit que son équipe « ira dans des zones catholiques de Belfast la nuit et tirera sur toute personne qu'elle verra dans la rue. L'idée est de tuer des catholiques, de provoquer chez [l'IRA] une réaction violente contre les protestants. »

Bruce déclare que cela ne le réjouissait guère :
« On nous disait que les victimes que nous allions exécuter étaient des tueurs connus de l'IRA [...] maintenant nous recevons l'ordre de sortir dans la rue et de tuer des gens totalement innocents, juste des jeunes sur lesquels nous tombons. »
Malgré ses craintes, Bruce et ses camarades suivirent les ordres. Il raconte :
« Deux jours plus tard, nous nettoyions et huilions nos armes automatiques et tenions notre chargeur prêt pour notre premier « milk run », le nom que nous donnions toujours à ces opérations. Nous nous nous rendîmes dans la zone de Falls road, et nous venions de quitter la rue principale depuis quelques minutes lorsque nous vîmes un type qui marchait vers nous sur le trottoir de notre côté. Je vit Don se redresser. Alors que nous conduisions lentement en dépassant l'homme, Don leva son pistolet mitrailleur, mit le canon à la fenêtre ouverte et lâcha une courte rafale d'environ cinq ou six coups, tirant à seulement quelques pieds de lui. Je vis l'homme s'effondrer au sol d'un coup. Je regardais derrière. Il n'avait pas bougé. »
Bruce continue à détailler plusieurs fusillades en voiture de personnes innocentes, opérations auxquelles il participa sur une période de 12 mois. Il faisait partie d'un des nombreux escadrons de la mort SAS constitués de deux ou quatre hommes qui opéraient en Irlande du Nord dans les années 70, 80 et 90.

Le SAS avait déjà œuvré au service de l'Empire à Chypre, au Yémen et en Malaisie, et avait développé une réputation d'assassins sans pitié parmi les groupes de résistance. Leur présence en Irlande du Nord était cependant un secret bien gardé, pour des raisons évidentes. L'IRA avait cependant rapidement pris conscience de leur présence dans la « province difficile ». Le chef d'État-major de l'IRA à l'époque, Sean Mac Stiofan, raconte dans ses mémoires :
« Nous avions reçu des rapports des services de renseignement dès mai 1971 indiquant que les célèbres SAS britanniques opéraient à couvert à Belfast. Au cours de l'été et de l'automne de 1972, il fut clairement établi que des escadrons en civil étaient impliqués dans des tirs ou des meurtres à Ballymurphy, Andersonstown, Leeson Street, New Lodge et Falls Road. Leurs véhicules étaient souvent repérés par la vitesse avec laquelle ils passaient les checkpoints britanniques. Fin août, des volontaires étaient en service à Greencastle, une zone catholique au nord de Belfast où plusieurs fusillades avaient récemment visé des gens à partir de voitures. Durant la nuit, ils arrêtèrent une voiture avec trois hommes dedans et en sortirent un. Les autres repartirent, tirant un coup de feu alors qu'ils s'éloignaient. L'homme arrêté avait un pistolet automatique de l'armée dans un étui d'aisselle. Interrogé sur son identité, il dit qu'il s'appelait Peter Holmes et qu'il était membre du SAS stationné à la caserne Palace. Il fut désarmé et s'assit au bord de la route jusqu'à ce qu'une patrouille militaire britannique arrive et que les volontaires le lui remirent. »
Les déclarations de Bruce et Mac Stiofan se trouvèrent corroborées lorsque, le 23 octobre 1972, un Britannique de 31 ans, David Seaman, appela des journalistes pour une conférence de presse impromptue à Dublin. Seaman révéla que jusqu'à ce jour, il avait été membre du Special Air Service (SAS), qui, affirmait-il, était actif en Irlande du Nord depuis début 1971. Seaman déclara que les SAS avaient été impliqués dans des attentats à la bombe au hasard pour détruire la crédibilité de l'IRA. Il déclara qu'il ne souhaitait plus en faire partie et qu'il était prêt à « tout dire » sur les activités des SAS. Il déclara qu'il retournerait en Irlande du Nord pour collecter des données et qu'il reviendrait après. Deux mois plus tard, on retrouva son corps dans un fossé dans le comté d'Armagh.

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Une fresque décrivant la compréhension étendue de la réalité du terrorisme d’État au sein de la communauté catholique irlandaise de l’Irlande du Nord.
Rien qu'en 1972, 125 civils furent tués dans ce qu'on répertorie comme des « meurtres sectaires ». Plus de 90 % des victimes étaient des catholiques. Dans certains cas, les corps furent retrouvés mutilés, ce qui est entièrement en accord avec la théorie de la stratégie de contre-insurrection d'État de Kitson, qui préconise des « assassinats aveugles pour terroriser la population. » Tout au long des années 1970, 1980, et au début des années 1990, des meurtres aveugles se produisaient presque quotidiennement en Irlande du Nord. À l'occasion, de véritables massacres eurent lieu.

Par exemple, le 5 janvier 1976, près du village de Kingsmill, au sud du comté d'Armagh, 10 protestants qui se rendaient à leur travail furent embarqués dans un minibus et abattus par un groupe appelé « Force d'Action Républicaine d'Armagh Sud ». Ce groupe sortait apparemment de nulle part et n'était pas réputé être rattaché à une brigade officielle de l'IRA. Aussi mystérieusement qu'il était apparu, il disparut par la suite. On supposa que ces meurtres avaient été commis en représailles du meurtre de six catholiques la nuit d'avant et où, vers 18 heures, trois hommes masqués avaient fait irruption dans une maison catholique de Whitecross et avaient tué trois frères. Les voisins avaient déclaré qu'il y avait deux checkpoints militaires - un à chaque extrémité de la rue - lorsque l'attaque avait eu lieu.

Vers 18 h 20 le même soir, trois hommes masqués étaient entrés dans une autre maison appartenant à des catholiques, à Ballydougan, à environ 32 km de Whitecross. Seize personnes, des membres d'une même famille, étaient dans la maison à ce moment-là. Joseph O'Dowd et ses neveux Barrry et Declan O'Dowd avaient été abattus. Tous les trois faisaient partie du parti social-démocrate et travailliste. La RUC conclut que l'arme utilisée était une mitraillette 9 mm, bien qu'un membre de la famille prétendît qu'un silencieux avait aussi été utilisé.

L'utilisation par l'élite britannique de « pseudo-gangs » en Irlande du Nord tombait dans trois catégories :

1) Des unités spéciales de l'Armée britannique comme les SAS, la Force Research Unit (FRU), la Military Reconnaissance Force (MRF) et la « 14 Intelligence Company ». Dans un article du Sunday Times paru en 1977, Devid Blundy décrit 12 incidents séparés impliquant de tels groupes, dont l'un impliquait des soldats de ces groupes spéciaux dans des attentats à la bombe qui seraient par la suite attribués à l'IRA. Ces groupes étaient aussi impliqués dans le recrutement de catholiques irlandais locaux (souvent de petits criminels) qui seraient contraints, d'une manière ou d'une autre, à travailler pour les Britanniques comme infiltrés ou simples « pigeons ». Il va sans dire que, pour les Britanniques, ces individus étaient quantité négligeable.

2) Le deuxième type de « pseudo-gang » utilisé par les Britanniques était les groupes paramilitaires protestants loyalistes, les descendants idéologiques des « peep-o-day boys » mentionnés précédemment. Ces groupes comprenaient la Ulster Volunteer Force (UVF), les Ulster Freedom Fighters (UFF) et l'Ulster Defence Association (UDA). De nombreuses enquêtes officielles menées ces dernières années ont détaillé l'ampleur de la collusion entre ces groupes, les forces de police protestantes, l'armée britannique et les groupes de renseignement. Les Britanniques les considéraient comme des alliés naturels dans leur lutte contre l'IRA et la population catholique, et très souvent comme des outils à manipuler au service de l'objectif principal britannique, qui était de poursuivre le conflit sans se soucier des conséquences négatives pour les deux communautés locales. Dans une affaire en 1981, l'officier des renseignements de la brigade Derry de l'UDA fut démasqué comme officier des renseignements militaires britanniques qui fournissait des noms de catholiques locaux à faire figurer sur une liste de personnes à abattre.

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Une fresque dépeignant la présence de l’armée britannique en Irlande du Nord, mais qui pourrait facilement venir d’Irak.
3) Le troisième type de pseudo-gang utilisé par l'élite britannique en Irlande du Nord était les groupes protestants loyalistes constitués de criminels locaux, créés et contrôlés depuis le départ par les Britanniques. Exemple notable de cette tactique : les Irish Freedom Fighters (IFF) (Combattants de la Liberté Irlandais) qui, après avoir effectué plusieurs attaques contre les catholiques, disparurent après avoir été accusés par l'IRA d'être un gang totalement inspiré par les Britanniques.

Il est clair que ces tactiques britanniques ne profitèrent ni aux catholiques irlandais ni aux protestants loyalistes. Des preuves indiquent que les groupes loyalistes se rendirent vite compte des efforts des Britanniques visant à fomenter une « guerre sectaire », puis à regarder le spectacle et à récolter les bénéfices. À de nombreuses occasions tout au long des « Trouble »', les groupes paramilitaires loyalistes avertirent leur communauté que les SAS opéraient sous le masque de groupes loyalistes déjà existants. En 1974, un groupe appelé l'Ulster Citizen Army (UCA) (Armée citoyenne de l'Ulster) envoya un communiqué à la presse affirmant que :
« Les Ulster Freedom Fighters (UFF) opèrent sous le contrôle des SAS. De nombreux meurtres sectaires ont été perpétrés par les SAS en utilisant le nom des UFF. En conséquence, l'UCA menace de lancer des actions de représailles contre les intérêts britanniques si cet état de choses ne cesse pas. »
Les chefs de l'UDA, Tommy Herron et Ernie Elliott, qui étaient responsables de la formation de l'UCA comme faction au sein de l'UDA, avaient pris des mesures en 1972 pour ouvrir des lignes de communication avec le commandement de l'IRA. En quelques mois, les deux hommes furent assassinés par un groupe qui portait tous les signes d'un pseudo-gang britannique. Le chef de l'UVF, Jim Hanna, était connu pour être en contact direct avec deux officiers des renseignements militaires britanniques. Lorsque Hanna prit contact avec Cathal Goulding et d'autres chefs de l'IRA officiels en 1973, il fut assassiné. Quelques semaines plus tard, l'UVF publia une déclaration affirmant que Hanna « avait été assassiné par l'armée britannique ». Le message était clair, les Britanniques essayant de présenter le conflit comme une « guerre inter-communautaire », quiconque, loyaliste ou républicain, déformait cette image était rapidement éliminé.

La motivation des groupes paramilitaires républicains et loyalistes était la protection et le bien-être de leurs communautés. Malgré l'image (surtout celle de l'IRA) qu'en donnait l'élite britannique, leurs rangs étaient constitués de personnes ordinaires, généralement des travailleurs (comme c'est le cas pour la majorité des mouvements de résistance) desquels ils tiraient leur soutien. En fait, beaucoup de choses auraient pu unir les classes ouvrières protestante et catholique d'Irlande du Nord dans les années 1970, 1980 et 1990, si les divisions politiques et religieuses avaient été mises de côté. Après tout, ce ne sont pas les croyances religieuses ni politiques qui mettent la nourriture sur la table. Bien que les catholiques fussent clairement discriminés, les deux communautés souffraient de la négligence de l'élite en termes de logement, d'emplois et d'infrastructures, et il était clair qu'il n'y aurait pas de gagnants en cas de conflit sectaire à grande échelle. De leur côté, le gouvernement britannique et l'élite dirigeante d'Irlande du Nord avaient tout à gagner d'une « guerre civile », ou du moins de l'apparence d'une guerre civile (aujourd'hui nous voyons un fort parallèle avec la prétendue « guerre civile » en Irak). La dernière chose que voulait le gouvernement britannique, c'était qu'un prolétariat unifié et politiquement et socialement conscient émerge dans une grande partie de son « Royaume-Uni ». En même temps, les divisions existant en Irlande du Nord étaient cruciales pour maintenir le terrain d'essai des troupes britanniques contre la « guérilla urbaine ». Pour leur part, les emplois de la grande majorité des politiciens protestants et de l'élite coloniale dirigeante d'Irlande du Nord dépendaient entièrement de la continuation du conflit. S'il n'y avait pas eu de « Troubles », les politiciens auraient dû partir et se chercher un vrai travail.

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Un des rares reportages des journaux qui révélaient finalement la collusion massive entre les services de sécurité de l’état britannique et les ‘parlementaires loyalistes’.
Traduction du texte de l'image :

Collusion avec le mal

Cette femme innocente a été tuée par un tueur en série loyaliste protégé par le RUC

Le chef du RUC, dont les officiers ont aidé les tueurs, a été adoubé. Ils ne risquent pas de sanction.
Cette présentation de la guerre comme « sectaire » était donc essentielle, et faisait effectivement partie de la politique officielle de « Criminalisation » et puis « d'Ulsterisation » du conflit - des stratégies décrites dans un article de stratégie britannique intitulé '« The Way Ahead ». La « Criminalisation » visait à refuser toute reconnaissance de la motivation et de la nature politiques du conflit, ou la suggestion qu'il s'agissait d'une lutte populaire pour se libérer du colonialisme britannique (ce qui était le cas). Le but de « l'Ulsterisation » était de donner l'impression au public britannique et mondial que la lutte en Irlande du Nord était prise dans un « conflit sectaire », avec les Britanniques jouant le rôle des « pacificateurs « frustrés. Les politiciens britanniques estimaient aussi que les troupes britanniques devraient être retirées, au final, parce que, en termes d'opinion publique britannique, l'impact politique négatif de la mort d'un soldat britannique était plus grand que celui de la mort d'un policier protestant nord-irlandais. Après tout, et à la grande irritation des loyalistes d'Irlande du Nord, le public britannique considérait généralement les deux communautés comme « irlandaises », et le public anglais avait depuis longtemps été programmé par l'élite anglaise à considérer les Irlandais (et tous les autres sujets coloniaux) comme une sous-espèce.

Ainsi, la guerre de propagande a-t-elle toujours constitué un élément principal dans la lutte entre les groupes de résistance populaire et l'élite. Dans leur guerre contre les rebelles irlandais au cours de la Première Guerre mondiale, les Britanniques diffusèrent un faux serment d'allégeance au Sinn Fein, le groupe politique associé à l'IRA. Le même faux serment d'allégeance fut republié plus tard par l'armée britannique dans divers journaux, dans les années 1970, en Irlande du Nord. Le « serment » soi-disant prêté par tous les catholiques déclarait :
« Ces voleurs et ces brutes protestants, ces incroyants de notre foi, seront conduits comme les porcs qu'ils sont dans la mer, par le feu, le couteau ou le poison jusqu'à ce que nous, de la foi catholique et partisans déclarés de tous les actions et principes du Sinn Fein, débarrassions notre pays de ces hérétiques [...] À tout prix, nous devons travailler et chercher, en utilisant toutes les méthodes de tromperie possibles pour atteindre notre but, qui est la destruction de tous les protestants et l'avancement du clergé et de la foi catholique jusqu'à ce que le Pape soit le dirigeant total du monde entier. Nous devons frapper à la moindre opportunité, en utilisant toutes nos méthodes pour causer une sensation de malaise dans les rangs protestants et dans leurs affaires. L'emploi de tout moyen sera béni par Sa Sainteté le Pape. Ainsi, nous, de l'Église et de la Foi Catholique Romaine, détruirons, avec des sourires d'action de grâce à notre Saint-Père le Pape, ceux qui ne se joindront pas à nous et n'accepteront pas nos croyances. »
Avec quelques changements, le texte ci-dessus pourrait être publié aujourd'hui et présenté comme l'une des nombreuses diatribes prétendument pondues par le département des relations publiques de soi-disant « organisations terroristes islamiques » comme « Al-Qaida ».

La relation incestueuse que nous remarquons actuellement entre les grands médias et la communauté du renseignement est une longue histoire. En Irlande du Nord, les médias étaient indispensables aux Britanniques pour « catapulter la propagande » tous azimuts et, en tant que tels, les propriétaires et éditeurs des grands organes de presse britanniques peuvent raisonnablement être accusés d'avoir du sang sur les mains. Dans un article publié dans The Guardian le 18 décembre 1981 et intitulé « How the Secret Service shaped the news » [Comment les services secrets ont façonné l'actualité], Richard Fletcher déclarait :
« Pendant 30 ans, le Service Intelligence Service (SIS - prédécesseur du MI6) dirigea un réseau mondial d'agences de presse qui, à son apogée, avait plus de 250 employés et, pendant 15 ans, agit en tant qu'agents uniques pour Reuters au Moyen-Orient. »
Dans son livre Internment!, le journaliste de Belfast John McGuffin donne un exemple de la propagande de l'armée britannique répandue par les médias :
« La politique claire de la plupart des journaux [britanniques] était que « notre armée » ne pouvait rien faire de mal. Le 19 août 1971, le Daily Mail, par exemple, publia en Une : « Army Shoots Deaf-mute Carrying Gun ». [L'armée tire sur un sourd-muet armé]. L'enquête sur le meurtre d'Eamonn McDivitt par les troupes britanniques démontra qu'à aucun moment il n'avait d'arme et que les soldats, qui témoignèrent anonymement, se contredisaient les uns les autres. Le Mail ne publia cependant aucune excuse ni rétractation. Quiconque est abattu par les soldats devait, par nécessité, être un tireur ou un terroriste fou. Et si cela ne convainc pas suffisamment les gens, il suffit de dire qu'il s'est fait tuer par l'IRA ou qu'il a été pris dans un « tir croisé ». John Chartres, du London Times, inventa même une autre catégorie : ainsi, Danny O'Hagan de New Lodge Road, abattu par l'armée le 31 juillet 1970, était-il l'« assistant d'un terroriste à la bombe ». Comme Eamonn McCann, du Sunday World basé à Dublin, le demanda avec tranchant, « Que font les assistants de terroristes à la bombe ? Ils gardent les manteaux ? »

Il y eut aussi l'histoire bizarre écrite par Joe Gorrod et Denzil Sullivan et publiée en première page du Daily Mirror britannique : « Red Assassin shot dead in Ulster » [Un assassin rouge abattu en Ulster]. Les lecteurs furent informés que « des soldats en patrouille qui avaient pourchassé et tué un sniper terroriste l'avaient identifié comme un Tchécoslovaque. Il portait un fusil AK-47 de fabrication russe, une des armes les plus mortelles jamais produites et une des favorites des assassins. » L'armée britannique admit finalement que c'était une invention qu'elle avait concoctée et relayée aux médias. Le 23 août 1972, un communiqué sur ITN evening TV News rapportait que trois fillettes âgées de huit ans avaient été utilisées « sans scrupules par l'IRA » pour pousser un landau contenant une énorme bombe vers un poste militaire derrière l'hôpital Royal Victoria à Belfast. Les « soldats chevaleresques furent choqués et refusèrent de tirer, même au risque de leur propre vie », entendirent les téléspectateurs britanniques. Le Bureau de Presse de l'armée britannique admit plus tard que toute l'histoire était inventée. ITN News n'informa toutefois pas le public britannique de ce fait.
La torture était, bien entendu, un élément essentiel de la gouvernance britannique en Irlande du Nord. Des milliers de catholiques furent brutalisés parce qu'on les soupçonnait d'être des membres de l'IRA, dans le cadre d'une politique de torture qui avait été ratifiée aux plus hauts niveaux au sein de l'establishment britannique. La torture contribua également à « transformer » des membres de l'IRA capturés en agents des renseignements britanniques. Dans un article de 2004 publié dans le Guardian britannique, le président du Sinn Féin, Gerry Adams, explique certaines des techniques utilisées par les Britanniques :
« Certains étaient dépouillés de leurs vêtements, ils étaient battus à coups de bâtons et de coups de poing dans les testicules et dans les reins et frappés entre les jambes. On plaçait des radiateurs et des fils électriques en dessous d'eux alors qu'ils étaient allongés sur des bancs. Les bras étaient tordus, les doigts étaient tordus, les côtes étaient frappées, des objets étaient introduits dans l'anus, ils étaient brûlés avec des allumettes et subissaient des jeux comme la roulette russe. Certains d'entre eux furent emportés en hélicoptère et poussés au-dehors, pensant qu'ils étaient hauts dans le ciel alors qu'ils n'étaient qu'à 1,50 -1,80 m du sol. Ils étaient tout le temps cagoulés, menottés et sujets à un bruit aigu incessant. Au cours de ce processus, certains d'entre eux furent photographiés nus.

Pendant quelque temps, nous fûmes photographiés en compagnie de jeunes soldats bruyants, exubérants. Je suis sûr que nous n'étions pas jolis à voir. Je suis aussi sûr qu'ils souriaient autant que les soldats sur les photos que nous avons vues récemment [d'Irak]. Nos photos n'ont jamais été publiées, mais quelque part, dans un musée régimentaire ou en haut d'une penderie ou au fond d'un tiroir, il y a des photos de moi et mes amis et de nos gardiens. »
Fausses bannières

Au cours de la longue guerre, l'IRA fut accusée d'attentats aveugles en Angleterre qui tuèrent de nombreux civils. En novembre 1974, des bombes explosèrent dans deux pubs de Birmingham ; 21 personnes furent tuées et 160 blessées. Les explosions furent attribuées à l'IRA, bien qu'elle niât être responsable et déclarât que sa politique n'était jamais d'attaquer des cibles non militaires sans avertissement suffisant pour éviter des pertes civiles. En termes de guerre de propagande, il semble évident qu'il serait entièrement contre-productif pour tout mouvement de résistance de causer de grandes pertes civiles et ainsi, de diminuer, un soutien public à leur cause. D'autre part, la stratégie de contre-insurrection de Kitson appelle précisément à « discréditer le mouvement de résistance aux yeux du public, par tous les moyens. » Dans le cas des attentats des pubs de Birmingham, les preuves pointent clairement vers une opération secrète britannique, pour deux raisons : 1) une majorité des 21 tués étaient des Irlandais vivant en Angleterre. 2) Quelques jours plus tard, Kenneth Littlejohn, qui, comme il avait été révélé deux ans, était impliqué dans des attentats commis par des agents britanniques à Dublin, fut arrêté par la police britannique.

La réaction aux attentats en Grande-Bretagne fut si violente, mêlant colère et hystérie dans tout le pays, que la police britannique piégea six catholiques irlandais qui vivaient dans la zone depuis les années 1960, et leur fit porter le chapeau pour les attentats. Connus comme les « Birmingham Six », les hommes passèrent 16 ans en prison avant d'être relâchés et déclarés non coupables. Après les attentats, la première loi d'une série de nouvelles législations anti-terroristes appelée « The Prevention of Terrorism Act » (PTA) [Loi sur la prévention du terrorisme] fut adoptée rapidement par le parlement britannique, et l'IRA fut officiellement interdite. Le PTA donna à la police britannique le pouvoir de prendre des mesures contre la dissension politique en général et de détenir, photographier et prendre les empreintes de suspects sans mandat. Le fait que les dispositions du PTA serviraient plus tard de fondement à la création et l'adoption du « Terrorism Act » plus étendu (2000) et du « Prevention of Terrorism Act » draconien de 2005, qui vise directement les citoyens britanniques, est une preuve solide étayant l'affirmation de Roger Faligot selon laquelle la guerre britannique contre l'IRA et les catholiques d'Irlande du Nord fut utilisée comme terrain d'essai pour un contrôle ultérieur de la population et pour la suppression de la dissension en Grande-Bretagne et en Europe.

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Conséquences de l’attentat non résolu d’Enniskillen
En décembre 1971, un mois avant le Bloody Sunday, une explosion détruisit le bar McGurk's, un pub catholique de Belfast, tuant 15 personnes et en blessant 17 autres. L'armée et la police prétendirent avoir découvert la preuve que la bombe qui avait causé l'explosion avait explosé dans le bar. Étant donné que McGurk's était un bar catholique, cela insinuait que ce devait être un dispositif de l'IRA qui s'était enclenché « accidentellement ». Des preuves légales prouvèrent ultérieurement que la bombe avait été clairement placée en dehors du pub et que le pseudo-gang loyaliste, la force paramilitaire protestante UVF qui était contrôlée par le renseignement britannique, était responsable de l'attentat.

Le 8 novembre 1987, une bombe explosa dans la ville d'Enniskillen, en Irlande du Nord, durant une cérémonie commémorant les morts de la Première Guerre mondiale. Onze personnes, la plupart des civils, furent tuées. L'attentat fut attribué à l'IRA, bien qu'elle niât toute implication. Le résultat assez prévisible fut une condamnation nationale et internationale du groupe. Lorsque nous considérons les résultats de l'attentat - un coup sérieux à la position morale et publique de l'IRA - il est clair que le coupable à pointer du doigt est Kitson et ses théories sur les moyens de gagner la guerre de propagande contre un groupe de résistance armée.

Prisonniers de conscience et grèves de la faim

Au cours d'une réunion avec le gouvernement britannique en 1972 pour discuter d'une trêve possible, des membres de la délégation de l'IRA négocièrent ce qui se résumait à un statut de « prisonnier de guerre » ou « Statut de catégorie spéciale » (SCS) pour les prisonniers de l'IRA en prison en Irlande du Nord. Cela signifiait que les prisonniers n'avaient pas à porter d'uniformes pénitentiaires ou à faire des travaux pénitentiaires, qu'ils étaient logés au sein de leurs factions paramilitaires et qu'ils étaient autorisés à recevoir des visites et des colis de nourriture. En 1976, toutefois, le nouveau Secrétaire d'État travailliste, Merlyn Rees, annonça l'annulation progressive du SCS. Quiconque accusé d'un crime lié au terrorisme après mars 1976 serait traité comme un criminel ordinaire et devrait porter un uniforme pénitentiaire, faire des travaux pénitentiaires et purger sa peine dans la nouvelle prison de Maze, dans ce qui devint connu comme les « H-blocks ».

Fin 1976, la nouvelle prison cellulaire était prête à recevoir ses premiers prisonniers. Le premier prisonnier condamné sous la nouvelle politique fut le volontaire de l'IRA Kieran Nugent. Lorsqu'il arriva à la prison de Maze et reçut l'ordre de porter un uniforme pénitentiaire, il refusa, disant qu'il n'était pas un criminel mais un prisonnier politique. Il fut enfermé dans sa cellule où il se drapa dans la couverture qui était sur le lit plutôt que de rester nu. En 1978, près de 300 prisonniers républicains refusèrent de porter des uniformes pénitentiaires dans le cadre de la « Blanket protest » [protestation de la couverture]. Les prisonniers commencèrent une campagne de non-obéissance aux gardiens de prison et furent battus en réaction. Ils avaient cinq exigences, basées sur leur conviction d'être des prisonniers politiques :
  • Le droit de ne pas porter d'uniforme pénitentiaire ;
  • Le droit de ne pas faire de travaux pénitentiaires ;
  • Le droit de libre association avec d'autres prisonniers ;
  • Le droit d'une visite, une lettre et un colis par semaine ;
  • Pleine restauration de la remise de peine perdue lors de la protestation.
Le 27 octobre 1980, plusieurs des prisonniers commencèrent une grève de la faim. Deux mois plus tard, en pleine guerre des nerfs entre les dirigeants de l'IRA et le gouvernement britannique, et alors qu'un des prisonniers, Sean McKenna, était entre la vie et la mort, le gouvernement sembla concéder l'essence des cinq exigences des prisonniers, avec un document de 30 pages détaillant une proposition d'accord. Avec le document en transit vers Belfast, la décision fut prise de sauver la vie de McKenna et de mettre fin à la grève au bout de 53 jours, le 18 décembre. En janvier 1981, il devint clair que l'accord ne serait pas honoré par les Britanniques. Le 4 février, les prisonniers émirent une déclaration disant que le gouvernement britannique avait échoué à résoudre la crise et déclarèrent leur intention de « faire la grève de la faim encore une fois ». La seconde grève de la faim commença le 1er mars, lorsque Bobby Sands, l'ancien officier commandant de l'IRA dans la prison, commença à refuser la nourriture. Contrairement à la première grève, les prisonniers s'y joignirent l'un après l'autre et à des intervalles échelonnés, ce qui, pensaient-ils, susciterait un soutien public maximal et exercerait une pression maximale sur le Premier ministre britannique, Margaret Thatcher.

Après cinq jours de grève de la faim, Frank Maguire, un membre républicain du Parlement britannique pour Fermanagh et South Tyrone mourut, ce qui provoqua une élection partielle. Le gréviste de la faim Bobby Sands se présenta comme candidat anti H-block contre le candidat du Parti unioniste d'Ulster Harry West. À la suite d'une campagne très médiatisée, l'élection eut lieu le 9 avril, et Sands fut élu à la Chambre des Communes britannique avec 30 492 votes contre 29 046 pour West.

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Le gréviste de la faim Bobby Sands en prison en 1973
La victoire de Sands aux élections fit espérer qu'un arrangement pourrait être négocié, mais le Premier ministre Margaret Thatcher refusa de faire des concessions aux grévistes de la faim, déclarant que « nous ne sommes pas préparés à envisager un statut de catégorie spéciale pour certains groupes de gens purgeant des peines pour crime. Un crime est un crime, ce n'est pas d'ordre politique. »

Les médias mondiaux débarquèrent à Belfast et plusieurs intermédiaires rendirent visite à Sands, dans la tentative de négocier un arrêt de la grève de la faim. Étaient présents Sile de Valera, petite-fille du premier président de l'Irlande libérée, John Magee, l'envoyé spécial du Pape Jean-Paul II, et des représentants de la Commission européenne des Droits de l'Homme. Même si Sands était proche de la mort, la position du gouvernement resta inchangée, le secrétaire d'État pour l'Irlande du Nord Humphrey Askins déclarant : « Si M. Sands persiste dans son vœu de se suicider, c'est son choix. Le gouvernement ne lui imposera pas de traitement médical. » Le 5 mai, Sands mourut à l'hôpital de la prison, au bout de 66 jours de grève de la faim, alors qu'il était membre élu de la Chambre des Communes britannique.

Durant les deux semaines qui suivirent la mort de Sands, trois autres grévistes moururent. Francis Hughes mourut le 12 mai, ce qui déclencha de nouvelles émeutes dans les zones nationalistes d'Irlande du Nord, en particulier Derry et Belfast. À la suite des morts de Raymond McCreesh et de Patsy O'Hara le 21 mai, le primat de Toute l'Irlande, Tomás Ó Fiaich, critiqua la gestion de la grève de la faim par le gouvernement britannique. Malgré cela, Margaret Thatcher refusa de négocier un accord, déclarant : « Confrontés à l'échec de leur cause discréditée, ces hommes de violence ont choisi ces derniers mois de jouer ce qui pourrait bien être leur dernière carte. »

Le 31 juillet, la grève de la faim commença à se briser, lorsque la mère de Paddy Quinn insista pour qu'une intervention médicale fût pratiquée pour sauver la vie de son fils. Le lendemain, Kevin Lynch mourut, suivi de Kieran Doherty le 2 août, Thomas McElwee le 8 août et Michael Dewine le 20 août. Le 6 septembre, la famille de Laurence McKeown devint la quatrième famille à intervenir, demandant un traitement médical pour Laurence ; le théologien Cathal Daly publia une déclaration appelant les prisonniers républicains à mettre fin à leur grève de la faim. Une semaine plus tard, James Prior remplaça Humphrey Askins comme Secrétaire d'État pour l'Irlande du Nord et rencontra les prisonniers pour tenter de mettre fin à la grève. Liam McCloskey mit fin à sa grève le 26 septembre après que sa famille ait déclaré qu'elle demanderait une intervention médicale s'il tombait dans le coma, et il devint clair que les familles des grévistes de la faim restants interviendraient aussi pour sauver leur vie. La grève fut interrompue le 3 octobre.

Les prisonniers restants publièrent une déclaration dans laquelle ils expliquaient leur position :
« Nos camarades ont donné plusieurs raisons à cette grève de la faim. L'une était parce que nous n'avions pas le choix, pas d'autre moyen d'assurer une solution de principes à cette protestation de quatre ans. Une autre, et d'importance fondamentale, était de faire avancer le droit à la liberté du peuple irlandais. Nous croyons que la lutte pour l'autodétermination et la liberté a été incommensurablement avancée par cette grève de la faim et donc, nous revendiquons une victoire politique massive. Grâce à leur abnégation, les grévistes de la faim ont politisé une très substantielle partie de la nation irlandaise et exposé la nature superficielle et sans scrupules du bloc partitionniste irlandais. Enfin, nous réaffirmons notre engagement dans l'obtention des cinq exigences, par n'importe quel moyen que nous estimons nécessaire et opportun. Nous n'excluons rien. Nous ne salirons sous aucune circonstance la mémoire de nos camarades morts en nous soumettant à un régime déshumanisant et dégradant. »
Comme le demande Roger Faligot dans son livre, The Kitson Experiment : « Sont-ce là les mots de criminels ? »

Tandis que cette guerre interminable se perpétuait jusque dans les années 1990, les effets de la stratégie de contre-insurrection de Kitson commencèrent à faire des ravages sur l'IRA. Avec les « pseudo-gangs », les infiltrés et les informateurs du gouvernement britannique, l'IRA avait de plus en plus de mal à suivre les activités de ses volontaires ou à déterminer précisément qui étaient ses volontaires. C'est le sort qui advient à toute organisation de résistance qui s'engage dans un mouvement de résistance prolongé sur plusieurs décennies contre un grand gouvernement. Il n'y a tout bonnement pas moyen d'empêcher les forces d'État d'infiltrer tôt ou tard le mouvement, de semer la suspicion et la discorde et de perturber les opérations.

En 2002, le journal écossais The Sunday Herald publia une série d'articles contenant les comptes-rendus de membres anciens et actifs de l'armée et du renseignement britanniques. Dans ces récits, ils affirmaient avoir travaillé au sein de l'IRA pendant des années en tant qu'agents doubles. Presque toutes les affirmations étaient centrées sur l'allégation selon laquelle le gouvernement britannique leur avait pertinemment permis d'exécuter des attentats à la bombe et des fusillades contre le personnel et les infrastructures militaires britanniques en Irlande du Nord. Une des plus intéressantes révélations était qu'un de ces agents avait, pour le compte du renseignement britannique, introduit l'idée de « l'attentat suicide par procuration » au sein de l'IRA, type d'attentat au cours duquel un membre du public était forcé de conduire un véhicule transportant une bombe vers une cible. Cette technique ne fut utilisée qu'à deux occasions en Irlande du Nord par des individus prétendant représenter l'IRA, avant d'être interdite par le conseil de l'armée de l'IRA. Si cela est vrai, alors nous pouvons conclure que, dans les années 1980,10 ans avant les premiers « attentats suicides palestiniens », le renseignement militaire britannique était un pionnier de la tactique de « l'attentat suicide » en Irlande du Nord. En outre, il y a des preuves écrasantes (dont une partie seulement a été présentée ici) indiquant que d'un point de vue historique, le « terrorisme » n'est pas une arme utilisée par quelque fanatique religieux ou politique illuminé, mais au contraire une stratégie soigneusement développée employée par l'élite et mise en œuvre par des acteurs d'État pour s'assurer que la volonté des populations ne soit jamais véritablement exercée.

Références :

The Blood Never Dried: A People's History of the British Empire, John Newsinger, Bookmarks 2000

The Kitson Experiment: Britain's Military Strategy in Ireland, Roger Faligot, Brandon 1983

Internment!, John McGuffin

The Nemesis File, Paul Bruce, John Blake Publishing 1996

British Counter-Insurgency, John Newsinger, Palgrave 2002

Eyewitness to Irish History Peter Berresford Ellis, John Wiley & Sons 2004

Churchill's Secret War: The British Empire and the Forgotten Indian Famine of World War II, Madhusree Mukerjee, Basic Book 2010