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Bon, je me jette à l'eau... avec votre épée dans les reins !

La multitude de vos réactions, souvent émouvantes face au gel de mon site devant la censure des éditeurs et de médias au courant de mon enquête, m'incite à franchir le Rubicon, sans vouloir me comparer à César.

La défense des enfants victimes de viols en France - 15.000 dans les douze derniers mois selon les chiffres officiels mais occultés - prime avant tout.

Je vous livre tel quel le prologue de mon manuscrit, soit un équivalent de synopsis adressé déjà à près de vingt éditeurs, sans succès jusqu'ici en France, en Suisse et au Québec.

Ces bonnes feuilles permettront qui sait la réaction salutaire d'un éditeur pour publier le contenu de cette investigation.

Je n'envisage pas sa publication sur internet, évoquée par nombre d'entre vous, à cause des risques induis même si je n'ai rien inventé, ni suggéré.

Le nouveau titre: « Les Dracula d'Outreau », correspond aux dernières révélations sanglantes de mon enquête, jusque là prévue comme « Outreau: l'épouvantable imposture ».

Avec toutes mes amitiés

JT/

Les Dracula d'Outreau

(Jacques Thomet- Copyright 23 septembre 2012)

Le sang d'enfants violés puis massacrés par des adultes a coulé à Outreau. Cette révélation de mon enquête reste méconnue à l'heure de mettre sous presse. Il s'agit d'une affaire d'Etat, car les auteurs présumés de ces assassinats font partie des individus accusés ou libérés dans les procès pour pédophilie en 2004 et 2005 dans le Nord. Tous les acquittés avaient été reçus à l'Elysée en 2006.

Selon la vérité officielle toujours en cours en 2012 avant ce coup de tonnerre, Outreau est devenue une « erreur judiciaire », même si les verdicts ont condamné quatre adultes et acquitté treize autres, dont un notaire et un prêtre, tous accusés à Outreau de viols contre dix-huit enfants. En réalité, cette affaire constitue une épouvantable imposture. La justice a été bafouée et continue de l'être pour des mineurs victimes de viols en France.

Nous reviendrons sur le faux leitmotiv d'une présumée « erreur » commise par la magistrature, avec à sa tête le juge d'instruction Fabrice Burgaud, voué aux gémonies et menacé de mort pour avoir fait son travail.

La vérité cachée vient enfin de sortir de son puits. A maintes reprises, selon cinq des enfants sodomisés à Outreau, des mineurs ont été assassinés, une fois violés en groupe, devant la caméra de nouveaux Dracula français.

L'un de ces petits, devenu majeur, vient d'affirmer, devant la police française, avoir été contraint, sous les menaces de mort de trois des accusés, qui ont filmé le crime, de tuer une fillette dans l'appartement de ses parents, avant l'ouverture de l'enquête en 2001 contre le réseau pédophile de cette banlieue de Boulogne-sur-Mer. Il m'a confirmé les faits.

Quatre autres de ces enfants avaient déjà mentionné à l'époque, devant les autorités, l'existence de meurtres de bébés et de fillettes, confirmée par trois des accusés avant la volte-face de l'un d'eux. Une enquête disjointe sur ces crimes présumés avait été ouverte en 2002. Elle a fait l'objet d'un non-lieu, sans qu'aucun des enfants ni des adultes cités n'aient été ni entendus ni confrontés ! Or Interpol avait signalé à la même époque, dans la même région, la disparition de six enfants.

Ma propre investigation, à partir des trente mille pages du dossier judiciaire, confirme les révélations gravissimes faites par les enfants devant des policiers ou des experts psychologues sur de tels actes qui relèvent, s'ils sont confirmés, d'une autre cour d'assises.

Si une erreur judiciaire a été commise à Outreau, elle l'a été aux dépens de dix-huit enfants violés, sodomisés ou contraints à des fellations sur des adultes. Alors que leurs prédateurs présumés, dénoncés depuis plus de trois ans, avaient été dispersés dans le public, eux, bambins en proie aux pires sévices, furent relégués dans le box des accusés, maltraités et insultés pendant tout le procès par les défenseurs des accusés.

Malgré l'infamie d'un tel dispositif, du jamais vu dans l'histoire judiciaire française, douze enfants ont résisté jusqu'au bout, maintenant leurs accusations. Le saviez-vous ? L'Etat les a indemnisés après les avoir reconnus comme victimes.

En France, depuis l'affaire d'Outreau, et à cause d'elle, la prudence prévaut quand il s'agit de poursuivre les pédophiles. On écoute la parole des enfants violés, mais avec réticence. Ils sont souvent considérés comme des menteurs, même si quelques magistrats courageux ne courbent pas l'échine.

Ne souhaitant pas être taxés de «nouveaux Fabrice Burgaud » par les avocats de la défense, la plupart des juges hésitent désormais à croire les dires de ces mineurs quand ils accusent leurs proches d'inceste. Pis encore : les cas abondent de petites victimes retirées à leur mère pour être confiées à des foyers, voire au père qu'ils ont accusé. Dès 2003, l'ONU avait pourtant exposé ces dérapages français dans un rapport resté sans écho (cf. infra).

C'est cet état de fait préoccupant au pays des droits de l'Homme que cette enquête se propose d'exposer à partir de réalités recueillies sur le terrain. Journaliste puis rédacteur en chef à l'AFP pendant trente-deux ans, dont dix-huit à l'étranger, je ne connaissais aucun des protagonistes d'Outreau cités dans le dossier quand je m'y suis penché, sans le moindre a priori, à partir du 24 février 2011.

Lorsque l'enquête a débuté en 2001 dans le Pas-de Calais, je dirigeais les bureaux de l'AFP dans le nord de l'Amérique Latine, depuis Bogota. Moins de deux mois avant les assises de Saint-Omer, je venais, en mars 2004, de rencontrer dans la jungle un chef des FARC, Raul Reyes (abattu par l'armée colombienne en 2008) pour tenter de voir Ingrid Betancourt, alors otage de cette guérilla. J'ignorais donc tout de cette présumée affaire de pédophilie, et n'en avais suivi les péripéties que de loin, par la presse.

Un banal contact téléphonique avec un ami de quarante ans connu en coopération à l'île Maurice (1972) et devenu depuis président d'une cour d'assises, m'a interpellé. Début février 2011, il m'annonce la tenue d'un colloque à Paris, le 24 suivant, sur une « mystification » à Outreau. Vierge dans ce dossier, je décèle une faille dans les conclusions officielles à la lecture du livre publié en 2009 par Marie-Christine Gryson : « Outreau, la vérité abusée » (Hugo Doc). Je me rends donc à cette réunion à Paris.

Les interventions de spécialistes renommés vont poser des questions oubliées depuis le verdict d'Outreau : les petits enfants violés pouvaient-ils inventer leurs sévices ? Etaient-ils capables d'improviser l'existence d'attouchements, de fellations et de sodomies ? Comment imaginer que leurs révélations sur « sucer et se faire sucer », « subir des manières » avec un « bâton en plastique » (un godemiché) dans les fesses, ou encore voir couler sur eux « le pipi » d'un adulte, puissent sortir d'une imagination débridée ?

Encore incrédule, mais décidé à en avoir le cœur net, je me lance dans l'étude des 30.000 pages du dossier judiciaire d'Outreau (plus de 3.000 cotes), de tous les rapports officiels - commission parlementaire, Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), etc... Je m'entretiens avec procureurs, juges dont Fabrice Burgaud, avocats, députés dont Philippe Houillon, assistantes sociales, psychiatres, experts agréés à la cour d'appel, enfants victimes d'Outreau. Mon blog (www.jacquesthomet.com) reçoit des témoignages terrifiants sur les drames vécus par des mères de famille, dont les enfants ont été victimes d'inceste depuis le dernier verdict de 2005. Un bilan effrayant. Les éléments à charge contre des adultes non condamnés s'accumulent. Comment a-t-on pu aboutir à un tel état de fait ? Comment a-t-on pu mettre en cause la parole des petites victimes, si toutes ces accusations correspondent à la réalité ?

Devant le rouleau compresseur d'une pensée généralement à sens unique depuis Outreau - les enfants mentent -, je ressens le devoir d'entreprendre une enquête, pour défendre le droit des mineurs à être entendus. Dans le subconscient des Français, Outreau s'assimile à une erreur judiciaire majeure, avec la mise au pilori du juge d'instruction Fabrice Burgaud, puis de la magistrature et des experts judiciaires dans leur ensemble.

Pourtant justice a été rendue. Les assises de 2004 et 2005 ont acquitté treize des dix-huit accusés, dont trois avaient passé des aveux. Quatre autres ont été condamnés sans avoir fait appel. L'un, François Mourmand, est décédé en prison avant le procès. La justice aurait même pu aller plus loin. Nombre de violeurs présumés à Outreau et cités tant par des mineurs que par d'autres adultes ont échappé aux poursuites : une cinquantaine au total, ainsi que le révélera ce livre.

Le juge Fabrice Burgaud et les policiers sous ses ordres sur commission rogatoire ont accompli une besogne écrasante, sans aucun a priori, pour entendre toutes les parties. Les experts des tribunaux ont auditionné enfants et adultes. Même certains avocats de la défense ont reconnu devant la commission parlementaire l'immensité du travail accompli par le juge d'instruction.

Le seul reproche que pouvait alors encourir la justice, c'était d'avoir laissé en détention provisoire certains accusés pendant plus de trente mois avant les assises. Avec raison. Mais ce jeune juge, frais émoulu de l'Ecole nationale de la magistrature, n'y était pour rien. Les refus de mise en liberté sous contrôle judiciaire ont été prononcés par le JLD (juge des libertés et de la détention), Maurice Marlière, avec l'aval, dans tous les cas, de la chambre de l'instruction. Au total, 63 magistrats ont appuyé ses décisions. Le juge Cyril Lacombe, successeur de Fabrice Burgaud en août 2002, a avalisé son enquête, sans y changer un iota avant les premières assises de 2004 à Saint-Omer.

Si les treize acquittés ont obtenu les excuses du pouvoir, s'ils ont été reçus à l'Elysée en 2006 et indemnisés, bien des Français ignorent que douze enfants ont donc été reconnus victimes de viols et indemnisés. En dépit de leur demande, Nicolas Sarkozy a refusé de les recevoir pendant son mandat présidentiel (cf. infra).

Pour ne pas nuire à la solidité des multiples mises en cause contenues dans les pièces judiciaires d'Outreau, j'ai retiré de mon enquête toutes les déclarations de Myriam Badaoui-Delay, l'une des quatre personnes condamnées, et mère de quatre des douze enfants reconnus victimes de viols par l'Etat. Qualifiée de « menteuse » après ses premières rétractations en mai 2004 sur la culpabilité des autres prévenus, sa crédibilité est entamée même si, six jours plus tard, elle a réitéré ses accusations. Cette omission volontaire vise à éviter le reproche d'avoir utilisé les dires de celle que le public considère comme une mythomane.

Cette recherche remet en cause l'image qui subsiste encore dans les esprits sept ans après les assises de Paris : une magistrature jetée aux orties, le lynchage verbal d'un juge, des experts professionnels et surtout des mineurs qualifiés de menteurs par la défense sous les acclamations du public.

Sans vouloir revenir sur la chose jugée, ce scandale d'Etat n'aurait peut-être pas eu lieu si le procureur local, alerté le 5 décembre 2000 par le conseil général du Pas-de-Calais sur les viols d'enfants à Outreau, n'avait pas attendu le 22 février 2001 pour ouvrir une information judiciaire. Les prévenus, certains l'ont reconnu, ont eu loisir, dans l'intervalle, de brûler ou de jeter les preuves de leurs méfaits : K7 vidéo sur le viol des enfants, godemichés et autres instruments de torture. Deux des enfants de Thierry Delay, principal condamné, l'ont accusé d'avoir utilisé « les os de cadavres déterrés dans un cimetière » pour parvenir à ses fins criminelles à leur encontre.

Même l'un des accusés (acquitté ensuite), Thierry Dausque, n'ignore rien, depuis sa geôle, du ménage opéré par Thierry Delay (un « gros porc », selon ce qu'il écrit) pour se débarrasser des preuves en question (cote 1142 du 28 janvier 2002). C'est le juge des enfants qui lui aurait fourni, pour des raisons non élucidées, cette information.

Refaire le procès d'Outreau n'est pas l'objet de ce livre. Cela dit à l'intention de certains avocats de la défense prompts à qualifier de « révisionnistes » et même de « négationnistes » tous ceux - pédopsychiatres, experts psychologues, familles d'accueil, référents des services sociaux, avocats des parties civiles, mineurs victimes, journalistes - qui veulent réhabiliter la parole des enfants victimes.

Aucun des acquittés dans les deux procès de Saint-Omer et de Paris ne peut être rejugé, même si les douze enfants violés dans cette affaire les mettaient à nouveau en cause. Une épée de Damoclès plane cependant sur la tête de l'un ou l'autre des présumés violeurs, si un mineur, non entendu dans ce dossier, venait à porter plainte avant d'avoir 28 ans (38 ans pour les affaires de viols survenues après 2006).

Dans sa vision d'Outreau, le grand public ignore aussi l'existence de trois autres enquêtes connectées à la première, mais disjointes et confiées à d'autres magistrats instructeurs à l'époque des faits, et ce dans la même région (cf. infra). Si ces affaires traitées dans ce livre avaient été médiatisées par le parquet, Outreau aurait sans doute pris une autre tournure face à l'ampleur des quatre dossiers, tous liés à un fil conducteur : les mêmes adultes présumés violeurs et les mêmes enfants victimes de leurs crimes, tous cités dans les quatre enquêtes, et dans la même zone d'Outreau.

A l'inverse, un fol engrenage s'est mis en route en France. Les pédophiles bénéficient parfois d'une étonnante tolérance dans les prétoires, comme le démontrent des exemples récents (cf. infra). Le pouvoir de droite, quant à lui, a voulu profiter de cette nouvelle donne. Ses excuses publiques aux acquittés en 2006 - une première dans l'histoire contemporaine -, leur réception à l'Elysée et une indemnisation immédiate, sans aucun respect des procédures en vigueur, ont été suivies de la tentative, avortée jusqu'ici, de supprimer la fonction du magistrat instructeur, parfois trop curieux dans des affaires politiques. Ce rêve se rapproche dangereusement de la réalité avec la tendance actuelle de correctionnaliser les affaires de sévices sexuels au détriment des assises.

Mais le principal scandale, depuis Outreau, c'est celui de mineurs victimes de viols ou d'inceste dont la parole est de plus en plus souvent mise en doute. Comme le souligne Marie-Christine Gryson, principal expert à Outreau : « L'ennemi ce n'est plus la pédophilie (...), qui est devenue un mythe national. Non, le danger, c'est l'enfant. Et comme il ne peut parler par excellence et donc se défendre, il porte désormais toutes les tares. Il est devenu le bouc émissaire thérapeute toxique, comme l'a été en un temps le juge d'instruction d'une civilisation en perdition qui ne protège plus ses enfants » (in blog Médiapart - 7 avril 2012).

Avertissement

Dans le souci de préserver la vie privée et de respecter le droit à l'oubli, j'ai décidé dans ce livre d'utiliser des pseudonymes pour désigner les enfants mineurs, déclarés victimes ou non de sévices, ainsi que les adultes non poursuivis, même après leur garde à vue.