Cows feed by OGM
© Gonzalo Fuentes/reuters En France, les vaches laitières sont parfois nourries à 25 % de tourteaux, en plus des céréales et du fourrage.

Presque la moitié des protéines consommées par les élevages français viennent d'Amérique du Sud. Problème : il s'agit pour l'essentiel de soja transgénique, et son cours a plus que doublé cette année.


Attention, danger ! « Nous sommes sur un baril de poudre ! » s'inquiètent la plupart des experts agricoles français. La France importe quasiment la moitié des protéines végétales consommées par ses animaux.

Problème : le soja, qui représente l'essentiel de ces importations, a vu son cours doubler ces derniers mois, à plus de 500 dollars la tonne.

Tout aussi inquiétant : les agriculteurs ne peuvent plus se passer des OGM, puisque la quasi-totalité des importations vient du Brésil et d'Argentine, où le soja génétiquement modifié est la norme.

Dépendance étrangère 50 %

Comme le souligne Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint à l'Institut national de la recherche agronomique, « aujourd'hui, les agriculteurs prennent conscience que le système les expose beaucoup à la volatilité des prix, et que leur autonomie est toute relative ». Comment en est-on arrivé là ? La France peut-elle reconquérir son indépendance ? Quel serait le prix à payer par les éleveurs et les consommateurs ? Décryptage.

Une alimentation conçue pour doper les rendements

A l'origine, il y a la quête sans fin de rendements plus élevés : des poulets prêts à consommer en cinquante jours au lieu de cent cinquante dans les années 50, des vaches qui produisent 8 000 litres de lait par an au lieu de 2 000, des poules qui pondent 250 oeufs par an contre 130 dans les années 20... En un demi-siècle, les animaux de la ferme n'ont cessé de battre des records. Au coeur de cette évolution, les progrès de la génétique, bien sûr, mais aussi une alimentation calibrée, comme celle des athlètes de haut niveau, et dopée en protéines. Pour atteindre les meilleurs rendements, on fait consommer aux boeufs, en plus des céréales et du fourrage, 5 à 15 % de tourteaux, ces résidus solides riches en protéines obtenus après l'extraction de l'huile contenues dans les graines de soja, de tournesol ou de colza. Dans les systèmes intensifs de l'ouest de la France, ce taux atteint 25 % pour les vaches laitières.

La flambée du tourteau de soja

Les cours se sont envolés sur les marchés mondiaux, progressant plus vite que ceux du baril de pétrole.
market price of the ton of soya

L'Hexagone comptant 19 millions de bovins, l'« addition » pèse lourd. Et, dans le cas des élevages de porcs et de volailles, le recours aux tourteaux est encore plus systématique, car il s'agit d'animaux à croissance rapide.

Résultat : les animaux d'élevage engloutissent 3,5 millions de tonnes de protéines par an, alors que la France n'en produit que 2 millions. « Notre dépendance dans ce domaine sera un sujet majeur des décennies à venir », affirme Michel Boucly, directeur général adjoint de Sofiprotéol.

Alors que la planète compte déjà 7 milliards d'habitants, qu'elle en comptera 2 de plus d'ici aux années 2040-2050, et que les habitudes alimentaires changent rapidement dans des pays comme la Chine ou l'Inde, avec un engouement des classes moyennes pour le lait et la viande, « nous risquons de nous retrouver dans une impasse », s'alarme-t-il en agitant une courbe retraçant l'envolée des cours du soja. « Ils augmentent plus vite que ceux du pétrole, c'est dire ! »

La France peut miser sur le colza et les pois

En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des terres agricoles. Seule solution pour sortir de la dépendance à l'égard du soja transgénique : développer les cultures alternatives que sont les légumineuses (pois, féverole, luzerne, lupin...) et les oléagineux (colza et tournesol...).

Riches en protéines, ces plantes sont bien adaptées au climat français - contrairement au soja -, et la France est loin d'avoir exploité tout leur potentiel. Seul bémol : pour les agriculteurs, il est plus risqué de cultiver ces graines que d'acheter du soja. Exemple avec le colza. On en produit 2 millions de tonnes par an, près de 700 000 il y a dix ans. Mais ce boom n'a rien à voir avec l'agriculture : il repose sur la volonté de l'Etat de développer les biocarburants.

A l'origine, la vente de tourteaux pour les animaux n'était qu'un à-côté peu lucratif.
Field of colza
© Robert Pratta/Reuters
Si l'utilisation des agrocarburants s'effondrait, la production de tourteaux suivrait, et la France serait encore plus dé-pendante des importations de soja.

Pour les légumineuses, le problème réside dans la concurrence entre alimentation humaine et alimentation animale. En 2011-2012, les agriculteurs français ont consacré 245 000 tonnes de pois à la nourriture de leurs élevages. Dans le même temps, ils en ont exporté bien plus (340 000 tonnes) pour profiter de débouchés, comme l'Inde, où le pois est un aliment traditionnel. Avec la hausse tendancielle des cours du soja, les éleveurs français pourraient bien devenir des clients intéressants. Qui alors nourrira l'Inde et l'Egypte ?

Au-delà de coûts prohibitifs pour les agriculteurs français s'ils veulent maintenir la performance de leurs élevages, se pose la question de l'opinion publique. « Comment vont réagir les consommateurs quand ils découvriront qu'une bonne partie de leur viande, de leur lait et de leurs oeufs a été produite par des animaux dopés aux OGM ? » s'interroge Michel Boucly.

L'Europe pourrait finir par importer ses volailles

C'est toute l'architecture d'une agriculture productiviste qui serait alors remise en cause. Pour l'instant, l'Europe et la France préfèrent fermer les yeux sur cette question explosive. Tout en sachant qu'à court terme le continent européen est pieds et poings liés. Que se passerait-il si l'Europe décidait du jour au lendemain de stopper ses importations de soja OGM ? Dans une récente étude, les experts de la Commission européenne livrent une réponse catastrophiste : le prix de l'alimentation pour les animaux d'élevage bondirait de 600 %. L'année suivant l'arrêt des importations, la production de poulets chuterait de 29 %, et celle de porcs, d'environ 35 %. D'exportatrice, l'Europe deviendrait importatrice de volailles, avec comme conséquence une hausse des prix et une chute de la consommation de 26 %. Reste à savoir qui sera prêt à payer ce prix...