Bear
© Inconnu

L'histoire en question n'a pas sa source au CONNECTICUT mais pas loin... Elle débute au 18e siècle, à l'époque de la ci-devant culture de la frontière, quand ce qui bruissait dans le bois sur le bord de la route était soit ami, soit ennemi, soit ours. Le port d'arme dans ce temps était un strict atout nobiliaire et inutile de dire qu'un ours n'a pas conscience de ces distinguos de classe quand il charge. Aussi les révolutionnaires américains firent tôt du droit de se défendre dans le bois et sur leurs fermes une de leurs priorités fondamentales. On surestime d'ailleurs le caractère américain de cette exigence. Elle est en fait plus républicaine qu'américaine.

En effet, si on lit attentivement les très copieux cahiers de doléances de la période pré-révolutionnaire française, on s'aperçoit que la réclamation du port d'arme populaire y figure en bonne position dans de très nombreuses communes. Ceci dit, rien à faire. Il y a bel et bien dans les représentations modernes une profonde américanité de l'arme à feu. Inventeurs et concepteurs de plusieurs types d'armes de poing, de la carabine à répétition, du fusil mitrailleur (utilisé pour le première fois lors de la guerre de Sécession), j'en passe et des meilleurs, l'industrie, la culture, le folklore et la symbolique américains sont profondément et solidement marqué par le flingue et l'individu à flingue.

Révolution américaine, le port d'arme est légalisé. Révolution américaine, le Canada, comme à son habitude, ne suit pas... Depuis 1760, les britanniques au Canada opérant très ouvertement et très sereinement comme des occupants, seuls les officiers et les militaires ont le droit, strictement restreint par leurs fonctions, de porter les armes. La population française occupée ne s'attend d'ailleurs pas à autres choses. L'occupation a sa logique, et cette dernière exclut les flingues de la propriété du petit peuple. Révolution américaine, l'Amérique du Nord Britannique se recroqueville au Nord et les administrateurs coloniaux, surtout après 1776 et 1789, craignent suffisamment les courants d'idées républicains pour bien voir à ne jamais mettre des flingues entre les pattes ni de cette population française frondeuse, ni, en bonne cohérence légaliste, de la population anglaise en croissance (dont une portion significative débarque d'ailleurs justement du sud tricolore). Pas de ça chez nous. Du moins légalement car... et je me dois ici de faire revenir l'ours. Les folklores québécois et acadien sont solidement garnis d'un type très particulier de court conte populaire, les histoires d'ours. C'est toujours le même patron. Un homme a tué un ours dans le bois sans témoin, vient en vendre la fourrure au village et s'empêtre sans fins dans des explications tarabustées et filandreuses sur comment il est parvenu à réaliser un tel exploit puisqu'il n'est pas autorisé à se promener dans le bois ni nulle part ailleurs avec un flingue... Le protagoniste raconte à un auditoire goguenard et semi-complice qu'il est grimpé à un arbre dont la branche a cassé et qu'il est tombé sur le point faible du dos de l'ours, qu'il l'a chatouillé jusqu'à ce qu'il meurt de rire, qu'il l'a empoisonné avec la tambouille du chantier de coupe de bois, qu'il lui a redit le dernier sermon dominical le tuant d'ennui, qu'il a attendu l'hiver pour qu'il meurt de froid. Etc., etc., etc. Le feuilleton historique québécois Le temps d'une paix (1980-1986) produit une variation suave sur l'histoire d'ours, dans son neuvième épisode, intitulé En cueillant des framboises (1980). Nous sommes en 1919 et le poids des convenances est encore fort sur la vie villageoise. Le cultivateur prospère Joseph-Arthur Lavoie et sa voisine Rose-Anna Saint-Cyr, un veuf et une veuve lucides et discrets, s'arrangent pour se rencontrer près d'une buisson à framboises. Monsieur Lavoie a amené son fusil de chasse de calibre 12. Il « explique » à Madame Saint-Cyr qu'il y a «un ours» qui rôde dans les alentours des framboisiers et cela donne à cette dernière le prétexte pour (littéralement) sauter sa clôture et se jeter dans les bras du voisin séducteur. L'ours imaginaire, toujours obligatoirement associé au port du fusil, devient cependant ici, dans cette variation littéraire, le marqueur de fiction, prétexte déclencheur de l'escapade romantique. Les variations sur l'histoire d'ours sont indubitablement infinies. Ces traits de folklore, et leurs contre-chocs littéraires, indiquent clairement que les acadiens et les québécois portèrent des armes illégalement dans leur propre dynamique de la frontière et narguèrent discrètement l'occupant avec des pétards déjà importés de chez nos voisins du sud... Un certains nombres de ces armes illégales, dont même des canons, firent d'ailleurs opinément leur apparition lors des révoltes anti-coloniales de 1837-1838 dans les portions tant française qu'anglaise du Dominion du Canada.

18e siècle, l'administration américaine apparaît donc comme magnanime, libertaire, valeureuse, confiante et respectueuse du droit à se défendre. L'administration canadienne apparaît comme rétrograde, coloniale, vétillarde, aristo, renfrognée et peu soucieuse du bien-être de ses fermiers et de ses trappeurs. 21e siècle, la perspective s'est inversée. Les américains passent pour des psychopathes qui font des cartons dans les restos famille avec des AK47 parfaitement légaux mais qui pourraient pulvériser l'ours sans qu'il ne reste plus rien d'utile de sa fourrure. Les canadiens passent pour de courageux modernistes qui tiennent tête au vaste fléau continental du flingue, l'œil vif et alerte aux frontières. Le développement historique a de ces revirements paradoxaux et les Dominions et les Républiques voient parfois s'inverser la légitimité de leurs systèmes de valeurs de façon toute inattendue.

Le Canada ne s'est pas départi de sa bêtise pour autant. Oh, là là ! Voyez plutôt. Toronto, 2001-2010, trois millions d'habitants, métropole du Canada, voit le nombre de ses meurtres par flingues, y compris en plein jour sur rues passantes avec balles perdues et tout le tremblement, augmenter sans arrêt. Quoi, quoi, quoi ? Mais les armes de poings ne sont-elles pas illégales dans ce fichu patelin ? Réponse des autorités canadiennes :
« Oui tous les crimes commis avec armes à feu sur Toronto dans la guerre des gangs, trafic de drogues et autres mitraillages pour raisons fumeuses dans les cafés branchés du centre-ville sont accomplis avec des armes bel et bien illégales. »
Ah bon ! Tiens donc, mais d'où sort donc toute cette quincaillerie interdite ? C'est un véritable arsenal, c'est... c'est comme les plans de cannabis en Colombie Britannique ! Les ricains, eux, achètent ça à l'armurerie du coin. On n'en veut pas plus, mais au moins on sait d'où ça sort. Mais nous ? Réponse des autorités canadiennes :
« Oh vous savez, des pétoires qu'on chaparde au cas par cas lors de cambriolages chez des collectionneurs, des carabines et des pistolets de tir sur mire que des tireurs sportifs détenteurs de permis récréatifs se font voler un par un dans leurs coffres de bagnoles, des répliques réalistes d'armes à feu rachetées à des studios de cinéma par des braqueurs imaginatifs, le fusils à chevrotines de chasse de grand-papa qu'on tronçonne. Les gens sont débrouillards, vous savez...»
Pardon, excusez-moi, pardon ! C'est un autre type d'histoire d'ours ça... Les autorités canadiennes se voilent la face sur leur incompétence à maintenir un interdit gagnant de plus en plus en importance sociale de la même façon que les américains se voilent la face sur leur incapacité à enrayer les crimes que leur constitution désuète facilite. C'est l'Amérique partout, que voulez-vous. Les faits sont les suivants, implacables : la quasi-totalité des armes à feu utilisées au Canada dans les circuits de grande comme de petite criminalité sont des armes modernes, pratiques, design, efficaces, non folkloriques, importées directement en contrebande des États-Unis. Les autorités canadiennes se voilent tellement la face et collent tellement à leur histoire de clubs de tirs sur mire artisanalement cambriolés par on ne sait qui que le maire de Toronto a décidé en 2008 de porter un coup sec. Il a rendu la totalité des clubs de tir sur mire illégaux sur tout le territoire de sa municipalité, les versant de ce fait aux profits et pertes d'une lutte contre la banalisation des armes de poings dans la vie urbaine qui passe ici par une lutte contre le mensonge et la tartufferie insidieusement complice sur l'origine glauque de tous ces pétards. Après une telle mesure, si elle tient, on va bien voir si le nombre de flingues diminue tant que cela dans la Ville-Reine, ou si plutôt, comme les constables villageois du vieux Dominion ont dû fort souvent le constater, l'ours n'a pas un trou béant et évident entre les deux yeux.

Et entretemps, bien, l'histoire d'ours se poursuit, inexorable, dans une autre perspective. Un écolo « psychotique » prend des gens en otage, en s'appuyant pesamment sur la croyance contemporaine en la futilité de l'humain. Il est promptement abattu par une force constabulaire opinément armée jusqu'aux dents. Pan, pan. En voici un qui a, ce jour là, toutes les raisons de regretter de ne pas avoir été un ours ou un loup. Ours ou loup, on l'aurait neutralisé avec une seringue hypodermique et il vivrait, tout « psychotique » qu'il soit. Humain, on s'est contenté de bien le flinguer à balles réelles. Faut croire que ses oppresseurs partagent les éléments cruciaux de sa doctrine de la futilité de l'humain... Or soit un ours Kodiak. C'est la psychose permanente, un ours Kodiak. Peur de rien, pas de prédateur, il charge, point. Mais, si un ours Kodiak te menace, il existe, et ce depuis assez longtemps, des cartouches hypodermiques qui vous le niquent et vous l'engourdissent avant que nounours ait pu souffler « ouf ». Endormi le gros ours. L'histoire d'ours a évoluée, s'est raffinée. On ne le tue plus et on ne se justifie plus non plus. Le fait est que, de nos jours, c'est dans le cas des humains qu'il faut que cela souffre (taser) ou que cela meurre (balles réelles). Pas d'hypodermie adaptable pour l'humain... Raisons techniques, non. Basta. Raisons sociales. C'est que, fascisme ordinaire oblige, on applique la peine de mort instantanée à l'humain « psychotique » pour que ses semblables rentrent bien la tête dans les épaules et restent socialement dociles... Ainsi va le folklore contemporain.

Histoire d'ours, histoire d'humains, histoire de promotion du flingue, histoire de mort. Des 31 000 morts annuelles par arme à feu aux États-Unis, moins de 300 sont des homicides qu'on pourrait considérer comme « légitimes », catégorie incluant le fait d'abattre un cambrioleur, un agresseur violent ou un violeur. Dans plus de 40 % des maisonnées américaines où vivent des enfants, il y a une arme à feu. Notons aussi que 50 % de tous les meurtres US sont commis avec une arme à feu. Cela finit avec des olibrius de vingt ans qui gambadent dans la nature avec des semi-automatiques et massacrent des écoliers pendant que nous, on chipote au sujet du « discours incendiaire » des hommes et des femmes politiques US...

Abolition immédiate par décret du « droit » constitutionnel au port d'arme. Saisie et destruction, sans sommation ni compensation, de toutes les armes personnelles du continent nord-américain. C'est cela qui sera un jour la vraie réponse politique sur ces « terribles tragédies dues à des déséquilibrés »... Il faut absolument lever la puante « liberté » du port d'arme, comme on leva, rapido, vif et prompt, tant d'autres libertés civiles, du temps de la ci-devant « guerre au terrorisme »... Ce terrible consensus de violence implicite, docile et veule ne me comptera jamais parmi les siens. Le postulat fataliste du flingue est un crime sordide et crapuleux. Jamais je ne le partagerai.