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Chokri Belaid, le 18 février 2012 (Thierry Brésillon)
Chokri Belaid, leader du Parti unifié des patriotes démocrates, un parti d'extrême gauche, a été assassiné ce mercredi matin devant son domicile. Cet assassinat intervient à un moment de tension et de vulnérabilité extrême du processus de transition.

Atteint d'au moins deux balles, l'une dans la tête, l'autre dans le cou, il a succombé rapidement à ses blessures.

La voiture de Chokri Belaid mercredi à Tunis (Al Pacino via Twitter)

Il était l'une des principales figures du Front populaire, une coalition de partis d'extrême gauche que son parti, bien implanté dans les structures syndicales de l'UGTT, a contribué à fonder en novembre dernier.

Avocat, ancien opposant au régime de Ben Ali dont il a été l'un des premiers à demander le départ en décembre 2010, il était surtout l'une des figures les plus virulentes de l'opposition au gouvernement dirigé par Ennahdha.

L'opposition accuse le parti islamiste d'être plus ou moins directement responsable de sa mort comme le clame son frère, rapporté dans ce « tweet » :
« J'emmerde tout le mouvement Ennahda et j'accuse Rached Ghannouchi d'avoir fait assassiner mon frère. »
Tandis que son père déclarait devant la clinique Ennasr où il a été transporté :
« Bourguiba n'a pas tué mon fils, Ben Ali n'a pas tué mon fils, Rached Ghannouchi la fait ! »
Depuis plusieurs semaines, le climat de violence politique monte et des réunions de partis d'opposition ont été perturbées par des partisans d'Ennadha. Hamma Hamami, autre leader du Front populaire, estime que « l'opération a été organisée et perpétrée par des spécialistes ».

Il met en cause « l'indulgence coupable du gouvernement, et de certains hommes politiques à l'égard des appels à la violence ».

Pour l'instant aucun élément de preuve ne permet de désigner un coupable, mais le fait est que le gouvernement le considérait comme l'un des instigateurs de l'agitation sociale, comme lors des émeutes de Siliana en novembre dernier. Souvent pris à partie, il affirmait être l'objet de menaces.

D'ailleurs Chokri Belaid estimait hier que la montée de la violence était liée à la crise interne d'Ennahdha.

Manifestations à travers le pays

L'émotion et colère enflent rapidement. Des centaines de manifestants convergent vers la clinique et vers le ministère de l'Intérieur où la tension monte rapidement.

A travers le pays, plusieurs locaux d'Ennahdha sont attaqués et des tirs sont entendus à Sousse en fin de matinée.


Mercredi devant la clinique où a été transporté Chokri Belaid

La Révolution assassinée

De son côté le Premier ministre Hamadi Jebali appelle à ne pas tomber dans le piège de la provocation. Cet assassinat est « un acte terroriste, un acte criminel visant non seulement Chokri Belaïd mais aussi toute la Tunisie ».

Il a déclaré à la télévision nationale :
« Attention à ne pas réagir violemment à chaud. Ce serait permettra aux comploteurs d'atteindre leur but : empêcher la démocratie en Tunisie. »
Tandis Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, appelle à la formation d'un gouvernement national et à une journée de deuil.

La recette du chaos

Cet assassinat, dont la dimension politique est flagrante, intervient en effet au pire moment d'une crise majeure, alors que le gouvernement est fragilisé par les tensions au sein de la coalition et par les divergences internes à Ennahdha.

Elle fait franchir à la tension palpable depuis des mois, un seuil rarement atteint dans le pays depuis la fin des années 50, dans les pires heures de la répression des nationalistes par la FGrance, puis celle des opposants youssefistes par Habib Bourguiba.
  • D'un côté, l'opposition désigne Ennahdha et les Ligues de Protection de la Révolution, déjà mises en cause dans la mort dans des circonstances controversées de Lotfi Nagdh, un responsable de Nidaa Tounes, le 18 octobre, d'être à l'origine. Le Majliss ech'choura d'Ennahdha avait demandé samedi, la libération des personnes détenues dans le cadre de cette affaire.
  • De l'autre, les soupçons vont se porter vers les partisans de l'ancien régime qui, juste après le départ de Ben Ali, n'avaient pas hésité à organiser une campagne de déstabilisation.
En tout état de cause, la rupture du dialogue semble consommée. On ne voit pas pour l'instant qui aura la force de le rétablir, alors que la rédaction de la Constitution, préalable à la tenue d'élections, nécessite encore plusieurs mois de débats.