Marins en grève en Grèce
© Louisa Gouliamaki/AFP

Mardi soir, le gouvernement grec a imposé la loi martiale contre les marins des ferries en grève en mobilisant la police pour briser leurs piquets de grève. Les travailleurs avaient débrayé pour protester contre les suppressions d'emplois et les réductions de salaires ainsi que pour revendiquer le versement de salaires impayés. Cela fait des mois que certains d'entre eux ne reçoivent pas de salaire.

La grève a suspendu le transport maritime entre le continent et les nombreuses îles du pays, provoquant des pénuries alimentaires dans les îles plus petites qui n'ont pas d'aéroport.

Les équipages des ferries ont arrêté le travail jeudi dernier, 31 janvier. Le débrayage n'était initialement prévu que pour 48 heures, mais il a été reconduit pour trois fois 48 heures avant d'être brisé par le gouvernement.

Le gouvernement de coalition mené par Nouvelle Démocratie et qui regroupe aussi le PASOK (social-démocrate) et la Gauche démocratique, a invoqué tard mardi soir les pouvoirs d'urgence sous la forme d'une « mobilisation civile, » en enrôlant formellement les travailleurs des ferries dans l'armée et en leur ordonnant de reprendre le travail. Les travailleurs qui défient cet ordre sont passibles de peines de prison allant jusqu'à cinq ans.

Mercredi matin, la police a occupé le grand port du Pirée pour empêcher que les travailleurs ne tentent d'empêcher les briseurs de grève d'entrer.
Le syndicat des marins grecs (PNO) a réagi à l'imposition de la loi martiale en mettant immédiatement fin à la grève. Les deux principales confédérations syndicales grecques, l'ADEDY (Union des fonctionnaires) et la GSEE (Confédération générale des Travailleurs de Grèce) ont appelé mercredi à des grèves de solidarité dans la région d'Attica, qui comprend à la fois Athènes et le Pirée.

Les grèves de solidarité ont toutefois été strictement limitées. Les bus et les trams ne sont restés que quatre heures au dépôt et pratiquement aucun autre mouvement de grève n'a eu lieu dans les services publics. Mercredi à midi, des milliers de travailleurs se sont rassemblés au Pirée pour manifester contre l'action du gouvernement. Les manifestants ont défilé du port vers le ministère de la Marine.

L'imposition de la loi martiale contre les marins grévistes est survenue deux semaines à peine après que des mesures de loi martiales ont été prises pour briser une grève des travailleurs du métro d'Athènes. L'Etat grec a de fait décrété, en violation des droits démocratiques, une interdiction d'organiser la moindre grève efficace. Il viole aussi les lois internationales qui n'autorisent les travaux forcés que dans un cadre bien défini.

L'abolition du droit de grève et la criminalisation des travailleurs en grève rappelle les conditions d'Etat policier qui étaient en vigueur sous le régime fasciste des colonels, il y a une quarantaine d'années.

Depuis que l'Union européenne a commencé à dicter des mesures d'austérité à la Grèce, le gouvernement grec a recouru à la loi martiale à quatre occasions distinctes pour obliger les travailleurs en grève à reprendre le travail. La loi martiale a été invoquée en 2010 contre les chauffeurs routiers en grève, en 2011 contre les éboueurs et, ce mois-ci, contre les travailleurs du métro et les travailleurs des ferries.

Dès que des travailleurs cherchent à engager un mouvement de grève qui dépasse les protestations symboliques des syndicats et qui ait un impact sérieux sur les intérêts patronaux, ils sont contraints par l'Etat de retourner au travail. Toute forme efficace de résistance collective contre les mesures d'austérité, qui ont déjà coûté des dizaines de milliers d'emplois et réduit les salaires et les retraites, a été officiellement déclarée illégale non seulement par le parti droitier Nouvelle Démocratie mais aussi par le PASOK et la Gauche démocratique (DIMAR), une scission de SYRIZA (Coalition de la Gauche radicale.)

La quasi abolition du droit de grève va de pair avec une brutalité policière grandissante et la prolifération de méthodes d'Etat policier. La semaine passée, l'on a appris que quatre voleurs présumés ayant un passé anarchiste avaient été, après leur arrestation, férocement passés à tabac par la police. L'année dernière, il avait été révélé que la police avait traité de la même manière des manifestants antifascistes. Tout le monde sait qu'un grand nombre de policiers sont des membres ou des partisans du parti fasciste Aube dorée (Chrysi Avgi).

L'atteinte au droit de grève en Grèce est appliquée en collaboration et avec le soutien des autres gouvernements européens et institutions de l'UE. La soi-disant « troïka » , le Fonds monétaire International (FMI), la Commission européenne et la Banque centrale européenne (BCE), supervise chaque mesure prise par le gouvernement grec et elle a envoyé des observateurs pour contrôler certains ministères en particulier. Durant une visite à Berlin en début d'année, le premier ministre grec Antonis Samaras (ND) s'était entretenu avec la chancelière allemande Angela Merkel qui lui avait très clairement signifié qu'il ne pouvait y avoir de ralentissement dans l'imposition des coupes sociales.

Après avoir plongé la population grecque dans la misère sociale afin de répondre aux exigences des banques et des spéculateurs, l'Etat grec recourt à présent à la répression pure et dure pour étouffer l'opposition de la classe ouvrière. Mais la Grèce d'aujourd'hui est le visage de l'Europe de demain. Tout comme la Grèce est aujourd'hui la référence pour la propagation des mesures d'austérité au continent entier, de la même manière son tournant vers des méthodes d'Etat policier sera imité par les gouvernements d'Europe.

Les syndicats en Grèce et partout en Europe jouent un rôle indispensable dans l'imposition de ces attaques. Sans les efforts incessants entrepris par les syndicats grecs pour briser et saper la résistance des travailleurs contre l'austérité, le gouvernement instable de Samaras serait incapable de survivre. Les syndicats européens soutiennent soit tacitement soit ouvertement les attaques menées contre les travailleur, de même qu'ils collaborent pour perpétrer des attaques contre les travailleurs dans leurs propres pays. Ils ne mènent aucune campagne sérieuse contre la criminalisation de fait des grèves.

Une porte-parole de la Confédération européenne des Syndicats (ETUC), Emanuela Bonacina, a dit au World Socialist Web Site que son organisation n'avait aucun plan d'action pour défendre les travailleurs des ferries grecs ou pour s'opposer aux assauts lancés contre les droits démocratiques en Grèce. Cette question n'avait même pas fait l'objet de discussions. Une réponse tout aussi méprisante a été donnée par le service de presse de la Fédération des syndicats allemands (Deutscher Gewerkschaftsbund, DGB).

La Fédération internationale des ouvriers du Transport (ITF), dont le PNO est un membre, a limité sa réponse à l'envoi d'une note de protestation à l'adresse de Samaras. Son porte-parole, Sam Dawson, a dit au WSWS : « Le PNO nous a demandé d'intervenir directement auprès du gouvernement, ce que nous avons fait. S'ils ont besoin de davantage d'aide, ils savent qu'ils peuvent compter sur l'ITF. »

En Grèce, c'est à l'aide d'une poignée d'actions symboliques que les syndicats cherchent à contenir la colère des travailleurs à l'égard des agissements du gouvernement. Après la répression, le mois dernier, de la grève des travailleurs du métro, ils ont organisé quelques petites actions de solidarité auxquelles ils ont rapidement mis fin pour ne pas mettre en péril le gouvernement. Les actions entreprises mercredi étaient du même type.

Les syndicats jouissent du soutien crucial de groupes pseudo-gauches tels SYRIZA et le Parti communiste grec (KKE). Le président de SYRIZA, Alexis Tsipras, s'est rendu dernièrement à Berlin et à Washington pour rassurer les gouvernements américain et allemand que son parti ne représentait nullement un danger et pour garantir le remboursement de la dette grecque. Tsipras a, à plusieurs reprises, souligné que SYRIZA n'avait aucune intention de renverser le gouvernement ni de contraindre Samaras à démissionner.

La présidente du KKE, Aleka Papariga, a défilé en tête de la manifestation au Pirée en appelant à la solidarité avec les travailleurs des ferries. Dans le même temps, la propre fédération syndicale du KKE, le PAME, qui jouit de la plus forte représentation au sein du PNO, a joué un rôle primordial dans l'annulation de la grève.