Le Conseil d'Etat a refusé vendredi à la juge Bertella-Geffroy de réintégrer ses fonctions au pôle santé du tribunal de grande instance de Paris, où elle instruisait notamment le dossier de l'amiante, en attendant que l'affaire soit jugée sur le fond dans plusieurs mois.

Amiante nettoyage
© Inconnu
Un décret du 27 mars 2013 avait mis fin aux fonctions de la magistrate en vertu de la règle limitant à dix ans la durée des fonctions de juge spécialisé, une décision qualifiée par sa défense de « sanction déguisée ». Elle avait été nommée vice-présidente chargée de l'instruction en février 2003.

Dans sa décision, le juge des référés, Bernard Stirn, a notamment relevé que la désignation de Mme Bertella-Geffroy, il y a dix ans, répondait à sa demande.
La juge faisait valoir que cette nomination était un changement de titre qui ne modifiait en rien ses fonctions. La possibilité de devenir vice-présidente lui avait été ouverte par un décret de décembre 2001. Son avocate, Françoise Thouin-Palat, avait versé jeudi aux débats une circulaire de la Chancellerie précisant que cette possibilité ne correspondait qu'à un « changement de dénomination », selon elle.

Mais M. Stirn a écarté les arguments soulevés par Me Thouin-Palat qui faisaient état d'un « défaut de motivation du décret et du caractère de sanction déguisé e de la mesure ». Pour le juge des référés, ils n'étaient pas « de nature à créer (...) un doute sérieux. »

Lors de son audition devant le Conseil d'Etat lundi, la magistrate s'était dite victime d'un « grave préjudice » et avait défendu la notion de « continuité du service public » pour être autorisée à continuer d'instruire ses dossiers.

Interrogée par l'AFP, Mme Bertella-Geffroy s'est refusée à tout commentaire.

« Je suis très très déçue », a commenté Me Thouin-Palat, tout en rappelant que cette décision « ne (préjugeait) pas du fond », qui fera l'objet d'un autre jugement « d'ici à quelques mois », a indiqué vendredi le Conseil d'Etat. « Ca va être difficile de remonter la pente », a-t-elle néanmoins concédé.

« La situation est tranchée d'une manière dont on peut craindre qu'elle soit largement définitive », a commenté le secrétaire général du syndicat FO Magistrats, Emmanuel Poinas.

Trente-trois dossiers d'amiante

Lundi à l'audience, Me Thouin-Palat avait évoqué des circonstances troublantes entourant, selon elle, la décision de décharger Mme Bertella-Geffroy, et fait un lien avec la mise en examen de Martine Aubry par la magistrate, en novembre 2012.

Mme Aubry, mise en examen pour homicides et blessures involontaires, et neuf autres personnes ont saisi la cour d'appel de Paris pour demander l'annulation de ces mises en examen. Elle se prononcera le 17 mai.

« De toute évidence, cette décision ne va pas du tout dans le sens de ce que nous souhaitions », a dit à l'AFP Pierre Pluta, président de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva).

« Notre inquiétude, c'est le retard que va prendre l'instruction du dossier », a-t-il expliqué, rappelant que Mme Bertella-Geffroy avait indiqué que « si on lui en donnait les moyens », elle « devait pouvoir être terminée en 2013 ».

Une juge d'instruction a succédé à Mme Bertella-Geffroy dès sa décharge, mais Me Thouin-Palat avait fait valoir lundi qu'il était « impossible d'avoir la connaissance de ces dossiers dans un délai raisonnable ».

« Nous allons immédiatement demander à être reçu par Mme (la ministre de la Justice Christiane) Taubira », a annoncé M. Pluta. La ministre leur avait assuré « qu'elle mettrait tout en oeuvre » pour que les dossiers de Mme Bertella-Geffroy soient traités avec diligence.

Dans un communiqué, la garde des Sceaux a salué « la fidélité de cette juge d'instruction et sa forte implication au pôle santé » du TGI de Paris, précisant que les trente-trois dossiers d'amiante dont a été saisi le pôle santé étaient « dorénavant instruits en co-désignation systématiquement par 3, voire 4 juges d'instruction ».

Elle dit avoir « fait savoir au premier président de la cour d'appel de Paris son souhait d'être informée de toute difficulté en termes d'effectifs ou de moyens qui empêcherait le déroulement normal de la procédure afin qu'elle puisse y répondre dans les plus brefs délais ».