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Malgré les dénégations de l'UE, l'accord de libre-échange transatlantique pourrait être favorable au lobby des biotechnologies.

Promis juré. Karel de Gucht, le commissaire au Commerce de l'Union européenne, le martèle depuis des mois : le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (Tafta), négocié entre l'Europe et les Etats-Unis, ne fera pas plier la réglementation européenne sur les organismes génétiquement modifiés. « On ne va pas changer la loi sur les OGM, je l'ai dit dix fois, s'agaçait-il au printemps, mais José Bové continue de dire le contraire ! »

Santé, environnement, finance, droit social : l'eurodéputé EE-LV n'est pas le seul à s'inquiéter des effets de cet accord de libre-échange qui veut faire tomber les barrières tarifaires et non tarifaires pour favoriser les exportations. A commencer par les biotechnologies. « Il n'est pas possible de faire confiance à l'UE, ni d'être sûr qu'elle n'affaiblira pas son système de protection des citoyens dans ses efforts pour atteindre un accord commercial », s'inquiètent les Amis de la terre. En témoigne, selon l'ONG, l'Accord économique et commercial global (AECG) sur le point d'être signé entre le Canada et l'UE - dont une version a fuité début août -, preuve que l'Europe veut « faire passer en priorité les questions commerciales, aux dépens des réglementations sociales ou environnementales ».

Champion du colza transgénique, le Canada a tout intérêt à libéraliser au maximum le commerce des OGM. Et il semble avoir été entendu, à lire ce pré-accord qui pose le principe d'un « objectif commun » dans le domaine des biotechnologies. Son but ? Réduire les impacts économiques causés par les « réglementations non homogènes ». Problème, le Canada - comme les États-Unis - a une approche différente de l'UE en matière d'OGM. Mais le nouvel accord pourrait changer la donne. Il insiste sur la nécessité de « coopérer internationalement sur des questions relatives aux biotechnologies, comme la présence en faible quantité d'organismes génétiquement modifiés ». Or, en Europe, les produits contenant des quantités, mêmes minimes, d'OGM non autorisés ne sont pas commercialisables, à la différence du Canada. Le document s'attaque aussi aux processus d'autorisation qui devront être « efficaces » et « basés sur la science ». Ce qui contredit le principe de précaution de l'UE.

Arbitrage

Contactée par Libération, la Commission n'a pas souhaité commenter ce texte « en phase de procédure d'analyse juridique ». Reste qu'« en aucun cas la législation européenne en matière d'OGM ne peut être modifiée après un accord commercial international », précise un proche du dossier. « Au sens strict, la Commission ne ment pas, puisque rien dans le texte ne mentionne les OGM, note Amélie Canonne, présidente de l'Association internationale de techniciens, experts et chercheurs. Mais l'accord prévoit des outils qui pourront faciliter la mise en culture ou la commercialisation des OGM. »

Deux mécanismes pourraient y participer. La « coopération réglementaire » d'une part, qui vise à harmoniser les procédures « en dehors de tout contrôle politique », note Aurélie Canonne. Le « règlement des différends », d'autre part, un système d'arbitrage privé qui permet aux multinationales de porter plainte contre les réglementations des États jugées abusives. Une arme dangereuse, alors que les géants des biotechs semblent resserrer l'étau sur l'échelon national. Logique, puisqu'en juin l'UE s'est défaussée du problème des OGM sur ses pays membres, qui ont désormais la compétence de les interdire sur leur territoire. L'AECG et le Tafta pourraient bien fragiliser leur position. « Les États refuseront-ils de faire évoluer leur réglementation s'ils risquent d'être condamnés ? » s'interroge Fréderic Viale, économiste du conseil scientifique d'Attac. Et l'Europe n'est pas à l'abri : « Les entreprises pourront aussi s'en prendre à l'UE au motif qu'elle ne fait pas appliquer son autorisation des OGM », poursuit-il.

Lobbying

Consultés par Washington, les géants de l'agrobusiness ont annoncé la couleur. A commencer par l'Association nationale des oléagineux qui préconise, dans une note datée du mois de mai, de mettre un coup d'arrêt à « l'interprétation faite par l'UE du principe de précaution dont le but est de restreindre le commerce ». Même discours de l'Association américaine du blé, qui s'attaque à la procédure de validation européenne, « trop lente et plus souvent influencée par la politique que par la science ». Ou de l'Association nationale du soja qui plaidait, en 2012, pour une « politique d'étiquetage libre et non discriminatoire des OGM ».

Le lobbying semble payer : dans un communiqué d'avril, le ministère américain de l'Agriculture promet d'aborder, dans le cadre des négociations, les « barrières non tarifaires de l'UE touchant les produits agricoles ». Le calcul de Washington est simple : ses agriculteurs sont les « plus productifs du monde », mais leur succès repose sur le développement à l'international. Or, les exportations vers l'Europe stagnent. Des mauvais chiffres qui s'expliquent, selon Washington, par la concurrence mondiale, mais aussi par les «barrières non tarifaires injustes». Autant dire qu'il faudra de la détermination et du courage à Karel de Gucht, ou à son successeur, pour tenir les promesses faites aux citoyens européens.