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© DRUne raffinerie de pétrole à Houston (Texas)
Haro sur l'industrie pétrolière : le Center for Public Integrity, association américaine, a rendu publiques jeudi 4 décembre plus de 20.000 pages de documents montrant comment les industriels ont cherché à minimiser la toxicité du benzène depuis les années 1940.

Voilà qui évoque la Legacy Tobacco Documents Library, gérée par l'université de Californie à San Francisco, qui révèle les manœuvres de l'industrie du tabac pour cacher un désastre sanitaire en cours. Au besoin, en finançant une recherche biaisée dans le sens qui l'arrange, processus connu sous le nom de « fabrique du doute ».

Les 20.000 pages publiées jeudi par le Center for Public Integrity (rapports internes, mails, courriers, etc.) ont été dévoilées ces 10 dernières années lors de divers procès sur le benzène, généralement intentés par d'anciens salariés de l'industrie pétrolière ayant développé un cancer, dont grand nombre de leucémies. Ces documents montrent que, malgré ses dénégations rassurantes, l'industrie connaît pertinemment la toxicité du benzène, et ce depuis longtemps.

En 1948, une revue de la littérature sur la toxicologie du benzène, réalisée pour le compte de l'American Petroleum Institute (API), révélait ainsi que « la seule concentration sûre pour le benzène était zéro ». Bien loin des assomptions selon lesquelles il n'existe aucun risque au niveau courant d'exposition de la population et des travailleurs, leitmotiv de l'industrie chimique.

De « fortes informations scientifiques »

Dans un document de 2000, la Benzene Task Force de l'API décrivait ainsi sa stratégie de recherche: « il s'agit de protéger les compagnies membres [de l'API] en développant de fortes informations scientifiques (...). Ces données serviront (...) aussi bien pour le plaidoyer, la gestion du risque, les litiges que pour la communication de crise ».

« Il est attendu que les résultats de cette recherche établiront que : 1) l'exposition environnante au benzène ne pose pas de risque de leucémie ou d'autres maladies sanguines pour la population, 2) le respect des limites professionnelles actuelles n'engendre aucun risque inacceptable pour les salariés. Ces résultats amélioreront toute tentative de régulation, aussi bien dans les émissions à la source que dans la reformulation des carburants », poursuit la Benzene Task Force.

A l'origine de cette mise au point, la préparation d'une étude sur des ouvriers de Shanghai, lancée en 2003 et financée par British Petroleum, Chevron, ExxonMobil, ConocoPhillips et Shell Chemical. Seul objectif, mettre à mal une autre étude menée au cours des années 1990 par le National Cancer Institute (NCI), portant également sur des ouvriers chinois.

Sans aucune ambiguïté, cette étude publique, attaquée par des chercheurs rémunérés pour cela, révélait un risqué surélevé de plusieurs cancers sanguins (leucémie, syndrome myélodysplasique, lymphome non-hodgkinien) à la dose limite fixée par l'Occupational Safety and Health Administration (OSHA), de 1 partie par million (ppm) d'air.

Les effets pervers d'une étude biaisée

Achevée en 2009, la « Shanghai Study » industrielle n'a pas pu démontrer que le benzène était inoffensif. Mais ces effets n'en sont pas moins pernicieux: elle confirme bien que le benzène est lié à un risque accru de leucémie et de syndrome myélodysplasique, mais ne reconnaît ce lien que pour quelques-unes de leurs nombreuses formes.

Chacun de ces cancers a en effet été subdivisé en différents sous-types, par exemple selon les aberrations chromosomiques au sein des cellules cancéreuses. Dès lors représentés par de faibles nombre de cas, la plupart de ces sous-types ne présentaient ainsi plus d'association statistiquement significative avec le benzène. Ce qui offre des arguments bien pratiques lors des procès. Pour l'avocat de Houston Robert Black, qui a défendu nombre d'anciens salariés et à qui le Center for Public Integrity doit 16.000 des pages publiées jeudi, « il existe une conspiration, qui implique de cacher la réalité du risque du benzène à faibles doses ».

Aux Etats-Unis, 5 millions de riverains de raffineries

Présent dans les carburants, utilisé dans la fabrication de plastiques, de pesticides et de colorants, le benzène constituerait un danger pour 5 millions d'Américains, ceux habitant à proximité d'une des 149 raffineries américaines, estimait en mai l'Agence américaine pour la protection de l'environnement (EPA).

Rassemblés grâce à l'aide du Centre for the History and Ethics of Public Health (université de Columbia) et le Graduate center (université de New York), ces documents sont consultables sur le site du Center for Public Integrity, avec recherche par mots-clés. Pour l'association, ce n'est qu'un début : outre qu'elle pense compléter sa base de données avec d'autres documents sur le benzène, elle prévoir de publier « dans les prochains mois » « des centaines de milliers de pages » rendues publiques lors de procès sur le plomb, l'amiante, la silice, le chrome hexavalent et les PCB.