Image
© Javier Barbancho / Reuters/REUTERS
Dans un communiqué, EELV s'alarme d'un amendement soutenu par les socialistes et visant à protéger le secret industriel de l'espionnage. Un moyen selon les écologistes de bâillonner les lanceurs d'alerte et les journalistes d'investigation.

La préservation des libertés publiques, c'est la question sensible de ces derniers jours. Et contre toute attente ce n'est pas une loi sécuritaire mais l'un des nombreux amendements de la loi Macron qui est aujourd'hui suspecté de les menacer. La commission spéciale de l'Assemblée sur la loi pour la croissance a adopté samedi dernier des amendements visant à intégrer « la protection du secret des affaires » dans le code du commerce, une notion qui n'existait pas jusqu'ici. Dans un communiqué publié ce mercredi, Europe-Écologie-Les Verts s'alarme de cette disposition, qualifiée de « muselière ». Selon les écologistes, cette nouvelle notion pourrait entraver l'activité des lanceurs d'alerte, voire pousser les journalistes d'investigation à l'autocensure par crainte des poursuites.

Concrètement, le texte permet de punir toute personne ayant pris connaissance, ayant révélé sans autorisation ou détourné une information protégée. Le contrevenant encourra désormais une peine de trois ans d'emprisonnement et de 375.000 euros d'amende, peine qui pourra être portée à sept ans d'emprisonnement et 750.000 euros d'amende en cas « d'atteinte à la sécurité » ou aux « intérêts économiques essentiels de la France ». « Une menace sans précédent pour la liberté d'informer », estiment les porte-paroles d'EELV. Un amendement qui tombe au plus mauvais moment selon les écologistes, « moins d'une semaine après la gigantesque manifestation républicaine en hommage aux victimes des attaques terroristes et en soutien à la liberté de la presse ».

Pourtant, le texte stipule bien que « toute atteinte, délibérée ou par imprudence, au secret des affaires (...) engage la responsabilité civile de son auteur à moins qu'elle n'ait été strictement nécessaire à la sauvegarde d'un intérêt supérieur, tel que l'exercice légitime de la liberté d'expression ou d'information, ou la révélation d'un acte illégal. » A priori, le droit d'informer est donc sauf. Mais selon le porte-parole d'EELV Julien Bayou, le diable se cache dans les détails. « Il est nécessaire de définir « l'exercice légitime » de la liberté d'expression », avance l'écologiste, contacté par le Scan. « Il faut aussi définir le terme « strictement ». L'avocat d'une entreprise qui attaque un lanceur d'alerte pourra toujours dire que c'était pas « strictement nécessaire » et que ce dernier pouvait lancer un débat par ailleurs », fait-il encore valoir.

« Le scandale du Médiator n'aurait jamais vu le jour sous une telle loi »

« Rien de tel pour dissuader un citoyen, un syndicaliste, une association ou une presse déjà souvent échaudée par le harcèlement juridique ou les représailles commerciales d'annonceurs qui ont pu mettre en cause d'informer sur une pratique nocive pour l'intérêt général », regrettent les écologistes. Et Julien Bayou de citer l'affaire qui a opposé le Raidh (Réseau d'Alerte et d'Intervention pour les Droits de l'Homme) à la société Taser. Cette dernière avait intenté une procédure en justice pour « dénigrement de l'image et de la marque Taser » et « dépassement des limites de la liberté d'expression » contre l'ONG, qui avait en effet lancé en 2005 une campagne pour informer sur les risques mortels que font encourir les pistolets à impulsion électrique.

Soucieux de protéger les lanceurs d'alerte, les députés écologistes ont voulu déposer samedi -en vain- un autre amendement visant à protéger les lanceurs d'alerte de cette disposition. Une pétition en ligne a été lancée par le mouvement d'action citoyenne Powerfoule, qui affirme que « le scandale du Médiator n'aurait sans doute jamais vu le jour sous une telle loi ». Selon eux, « Irène Frachon qui l'a percé à jour aurait risqué 3 ans en prison et 375 000 euros d'amendes pour violation du secret professionnel ».

La notion de « secret des affaires » s'inspire d'un projet de loi socialiste, déposé en juillet dernier par Bruno Le Roux et Jean-Jacques Urvoas. Elle se repose également sur le rapport de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2014. Un document qui relève que «le droit est une arme d'une redoutable efficacité, qu'il soit détourné afin par exemple de voler des savoir-faire (notamment dans le cadre de procès intentés dans cet objectif) ou qu'il soit au contraire pensé comme un puissant instrument de prédation». La disposition contestée permettra désormais d'organiser des procès à huis clos afin de limiter la diffusion des débats et ainsi de limiter les conséquences de la violation d'un secret des affaires. Par ailleurs un amendement a été ajouté à la loi sur la presse de 1881 précisant que « le secret des affaires n'est pas opposable au journaliste dans une procédure de diffamation ».