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Chaque semaine le jury croit qu'il a déjà tout vu, et chaque fois il est surpris. Cette fois-ci, c'est avec le concours d'Hitler en personne que notre vainqueur s'arroge les lauriers de la semaine 39. Il faut le voir pour le croire.

Avec ce titre exceptionnel, auprès duquel l'évocation du point Godwin aurait quelque chose de dérisoire, c'est Vincent Manilève, pour le compte de Slate, qui emporte haut la main le titre de vainqueur de la semaine 39.

Rendant compte de « la thèse controversée défendue par l'historien Timothy Snyder », notre vainqueur-éclair ne manque aucune analogie parmi les plus idiotes suggestives pour formater les esprits éveiller les consciences de ses lecteurs. Le passage le plus puissant, qui a emporté la décision du jury, est celui qui concerne les climatosceptiques climatonégationnistes :
Les climato-sceptiques et Hitler, même combat ?

L'exemple le plus fort, selon [Snyder], reste les climato-sceptiques dans la société américaine, qui nient la science et le progrès technologique. Un positionnement qui les rapprocheraient d'Hitler : « Il a nié que la science pourrait résoudre le problème basique de la nutrition, mais pensait que la technologie permettrait d'accaparer le territoire. »
Félicitons aussi le journalisme pour son hypocrisie sa subtile prudence, qui le conduit à indiquer que la thèse de Snyder ne fait pas l'unanimité. Il cite pour cela un contradicteur qui affiche son opposition d'une façon raisonnablement modérée : « la plupart du temps, le livre propose une lecture convaincante » , assénant finalement un argument dont la force de conviction ne risque pas trop de semer le trouble dans les esprits : « relier des arguments historiques à la panacée écologique de cette façon ne marche pas vraiment. »

Les accessits de la semaine

David Heurtel, ministre québécois de l'Environnement, fait une entrée remarquée au climathon cette semaine, pour de fortes déclarations :
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) le dit clairement: si nous permettons un changement climatique au-delà de 2 degrés d'ici à 2050, on parle de changements cataclysmiques pour toute la planète. Toutes nos façons d'exister vont être remises en question, on parle d'impacts sur l'eau, notre santé, notre nourriture, notre territoire. Cela a déjà commencé. On ressent les effets au Québec.
Ce joyeux mélange entre le présent et le futur prophétique annoncé ne s'accompagne pas de détails sur ce que sont ces « cataclysmes » d'ores et déjà ressentis au Québec. Mais les silences de Monsieur le Ministre ne s'arrêtent pas là, lui qui, selon le Huffington Post toujours,
« hésite » à parler de « sacrifices » à venir imposés aux Québécois par la coercition. La conversion vers une économie plus propre créera selon lui des occasions de développement économique.

« Changer nos habitudes, parfois, c'est bénéfique. Prenez un fumeur, il change ses habitudes, ce n'est pas un sacrifice. Il améliore sa qualité de vie. C'est ce qu'on fait. En se donnant une cible de réduction des gaz à effet de serre, on veut améliorer notre santé », a-t-il dit.

Toutefois, il est clair que «le plus difficile reste à faire», a ajouté M. Heurtel, parce que les efforts à venir seront plus exigeants que ceux qui ont déjà pu être faits depuis 2006. Les transports, la construction et l'aménagement urbain seront particulièrement visés, a-t-il évoqué.
Une prévision au moins devrait être vérifiée sans trop de problème : celle d'Hélène Lauzon, membre du comité-conseil sur les changements climatiques :
Je crois qu'on va me dire que c'est une cible très ambitieuse qui pose des défis considérables pour tous les secteurs de l'économie.
Ça se pourrait, en effet.

Toujours sur la brèche, l'Éducation nationale française poursuit ses efforts avec cette semaine une belle percée du recteur de l'académie de Montpellier qui, dans une lettre circulaire adressée à tous les établissements scolaires de l'académie, annonce carrément la couleur en indiquant la nécessité pour tous d'aider le président de la République à réussir « sa » conférence Paris Climat. La politisation des élèves, ce n'est décidément pas que dans le Référendum maudit.

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Confrontée à l'intemporelle menace du Déluge par l'irréversible réchauffement changement dérèglement déflagration climatique, la Planète n'a qu'une seule planche de salut, qui nous avait échappée mais qui se trouve être opportunément rappelée cette semaine dans Paris Match : l'Arche de Noé Climat. L'hebdomadaire cite notamment Ségolène Royal, multi-lauréate du Climathon et jamais avare de déclarations enflammées, dont celle-ci déjà nominée :
L'arche est un mouvement festif et populaire qui donne un élan à la mobilisation de la société civile et notamment des enfants pour la COP21.
Ah, les enfants, toujours un bon alibi pour les initiatives les plus saugrenues originales... Paris Match nous apprend également que les animaux de l'Arche ont été fabriqués en « PMMA (verre acrylique), un matériau recyclable », gage ultime de la bonne moralité climatique de cette action comme le confirme le site officiel de l'Arche, y ajoutant une touche de poésie :
L'Altuglas, recyclable infiniment, aussi transparent que le verre, réverbérant la lumière, était le matériau idéal. Vous pouvez ainsi regarder à l'intérieur de notre corps, nous sommes votre miroir.
L'industriel fabricant le matériau ne manque pas non plus de s'en vanter :
« Nous sommes heureux et fiers de nous associer à ce grand événement qui vise à sensibiliser le grand public sur les questions de lutte contre le réchauffement climatique », déclare Thierry Le Hénaff, Président-directeur général d'Arkema.
Évidemment, si l'on précise que le PMMA est fabriqué par polymérisation radicalaire du méthacrylate de méthyle, molécule « extrêmement dangereuse pour notre santé » et amorcée par le peroxyde de benzoyle ou l'azobisisobutyronitrile, ça risque de couper un peu le bel élan de la mobilisation des enfants.

Dans le contexte actuel, un gage de promotion au Climathon est le franchissement du point Hulot, dit aussi point du Commandeur, celui où l'argumentation fait référence à la vie menacée de millions de personnes. Pour atteindre ce point, une seule solution : oser. C'est ce qu'a fait le président français François Hollande par le biais d'une interview au Parisien, toujours propice à la discussion les yeux dans les yeux avec les Français. Entrant directement dans le vif du sujet, il a expliqué doctement que les experts du GIEC lui ont
apporté des cartes et des images de la planète montrant les effets du réchauffement climatique : la montée des eaux, la disparition des espèces, l'engloutissement des îles, la destruction des montagnes... Tout ceci n'attendra pas la fin du siècle, mais peut arriver dans trente à quarante ans.
Saluons lesdits experts du GIEC qui possèdent des cartes et des images montrant ce qui se passera dans 40 ans et qui permet à la pythie de l'Elysée d'embrayer en confirmant qu'en fait de cartes, ce sont probablement celles du Tarot de Marseille que les experts du GIEC lui ont tirées :
Ce n'est pas une prévision incertaine, c'est une vision incontestable de notre avenir.
Après avoir annoncé, de façon quelque peu ambigüe, qu'il n'irait pas voir le film de Yann-Arthus Bertrand car il « refuse d'être le spectateur d'un mauvais film », le président normal se lance dans un festival catastrophiste qui franchit en trombe le point du Commandeur :
Bien plus que la qualité de notre vie, ce qui est en cause, c'est la vie. (...) A ceux qui pensent que ces rendez-vous coûtent cher, je réponds que sauver la planète n'a pas de prix.
On attend avec impatience ce qu'en pensera la Cour des Comptes... François Hollande se livre alors à l'exercice toujours fascinant d'un homme au pouvoir qui se fait révolutionnaire :
C'est à Paris qu'est née la Révolution française, elle a changé le destin du monde. Faisons en sorte que, dans deux cents ans, on puisse dire : "C'est à Paris qu'il y a eu la révolution climatique."
Un laïus sur les réfugiés plus tard (« Prenons conscience qu'il y a déjà, aujourd'hui, davantage de réfugiés climatiques que de réfugiés de guerre. »), notre président peut dérouler ses prophéties : « l'Afrique sera frappée de désertification, parce que des lacs comme le lac Tchad s'assécheront, des guerres surviendront et provoqueront des déplacements de population. ».

Le chef de l'État finit par la part du rêve, qui n'est pas sans rappeler, à nouveau, le Référendum maudit :
c'est en étant à la hauteur de l'enjeu climatique que l'on favorisera l'emploi et l'activité.
Hélas, on sent qu'en la matière il faudra se contenter d'une inflexion de la courbe de température, à défaut d'une inversion... Le grand co-organisateur du raout Mondial Laurent Fabius a lui aussi tenté une percée. Pour justifier la disparition des climato-sceptiques (qui semblent décidément manquer à beaucoup de compétiteurs), son argumentation est surprenante, « Les savants du GIEC sont d'accord sur leur analyse de l'avenir, sur la probabilité d'une augmentation de 4, 5, 6° si nous ne faisons rien ou pas assez vite ». Effectivement, si les savants partagent leur propre analyse, ça évite des débats contradictoires par trop chronophages. Mais il ne s'arrête pas là et enfonce le clou pour montrer définitivement la haute valeur scientifique des dits savants « Ils ont obtenu, pour leurs travaux, non pas le Prix Nobel de Physique ou de Chimie, mais, à juste titre, le Prix Nobel de la Paix ! ».

Bien sûr, pour ne pas trop se laisser distancer par le boss, il franchit lui aussi avec panache le point du Commandeur : « L'adjectif qui définit le mieux cette négociation est celui de «vital». Ce qui se pose, en définitive, à travers ces discussions, c'est la question de la vie dans tous les sens du terme ». Pris dans sa lancée, plus rien ne peut l'arrêter, c'est l'inévitable emballement : « si nous n'agissons pas contre le dérèglement climatique, les conséquences de ce phénomène seront ravageuses: sécheresse, famines, inondations, migrations massives, à la fin, c'est la guerre ou la paix. Ce ne sont pas des centaines de milliers, mais potentiellement des dizaines de millions de personnes qui seraient concernées par les mouvements migratoires ». A noter une fois de plus, que dans le package millénariste, l'agitation des peurs migratoires revient avec insistance depuis plusieurs semaines. On se demande pourquoi.

A l'occasion d'une virée dans le grand-Ouest, le multimédaillé Jean Jouzel a tenté une attaque éclair, courte mais brillante : « J'ai mes convictions, mais j'essaie de ne pas trop être trop militant écologiste. Mes missions me demandent une certaine réserve ». Espérons qu'il se sente encore longtemps investi dans ses missions, car vu comme il s'acquitte de son devoir de réserve, s'il venait à se lâcher, le jardin d'Éden lui-même aurait tôt fait de se transformer en enfer où les flammes du réchauffement climatique lècheraient les pieds des impies.

Le Commandeur des Croyants nous a quelque peu inquiété au cours d'une journée spéciale climat (dont on peut constater une multiplication récente dans nos médias, seule conséquence vraiment observable du réchauffement climatique dans nos contrées) sur France Bleue Armorique, affichant un souffle court et un verbe un peu éteint. Heureusement, un réveil opportun lui a permis de placer quelques chiffres de son cru, l'amenant lui aussi à franchir le point qui porte son nom :
Élévation du niveau de la mer, augmentation du nombre de catastrophes naturelles, menaces sur la production alimentaire... Les effets désastreux du réchauffement climatique touchent déjà aujourd'hui plus de 200 millions de personnes...Si on laisse le changement climatique franchir la barre des 3/4°C, ce seront des centaines de millions de personnes qui seront condamnées à se déplacer avec des impacts sur la santé notamment.
Le seul point rassurant dans la course aux records migratoires à laquelle se livrent nos compétiteurs est qu'ils se heurteront rapidement, eux aussi, aux limites physiques de la population humaine.

Au rayon des climato-festifs, il est grand temps de saluer la performance des cyclistes d'Alternatiba, dont Libé brosse un récit lyrique de leur périple qui s'achevait samedi à Paris. Le jury du Climathon a suivi du coin de l'œil au cours de la période estivale cet événement majeur, qui a bénéficié au fil de ses 187 étapes d'une couverture particulièrement large et bienveillante de la presse locale. Seize furieux de la pédale ont donc couvert 5637 km à partir de Bayonne pour contribuer à la prise de conscience du bon peuple et « sauver le climat » (une petite variante qui montre le pluralisme des sauveteurs, qui en général se contentent de sauver l'humanité ou la planète). On apprend qu'il s'agissait d'une « vélorution » accomplie pour la plus grande gloire du climat, « un mode d'action dont les adeptes urbains se servent souvent pour réclamer davantage de mesures en leur faveur - il y en a une par mois à Paris », statistique qui précise bien tout le côté original de l'exercice. On ne sait trop pourquoi Libé trouve utile de préciser qu'« on est pourtant loin du bobo tentant de s'acheter une conscience ».

Petite scène touchante : le blocage d'automobilistes au nom du climat, action dont on imagine toute les conséquences positives sur l'entreprise de rééducation du peuple motorisé. Mais comme le justifie un certain Max, « On est là pour le climat », ajoutant triomphalement que « ce qu'on fait n'a jamais été fait », sans que le lecteur comprenne trop si il fait référence à la prise d'otages d'automobilistes ou à la réalisation d'un grand tour à vélo. Les héros sont toujours de grands précurseurs incompris. D'ailleurs, « a Bordeaux, place Dormoy, on n'a pas vu de présentation claire des alternatives envisagées ni de passants curieux rejoindre la fête pour débattre. ». Finalement, Yann Arthus-Bertrand a peut-être raison : l'hélicoptère, c'est plus pratique.

Un blâme

À son plus grand regret, le jury du Climathon est obligé d'adresser un rappel aux devoirs de sa fonction à Nathalie Fontrel, chroniqueuse Planète Environnement de France Inter, qui a osé affirmer dans sa chronique du 24 septembre que « depuis quinze ans, les effectifs [des ours blancs] n'ont pas diminué » et que « oui, l'arctique change, mais l'ours blanc pourrait s'adapter ». Certes l'usage du conditionnel limite la gravité de la faute, mais le jury est déçu de voir une journaliste jusque là irréprochable tenir des propos qui flirtent manifestement avec le climatonégationnisme le plus outrancier, celui-là même qui nous prépare un nouvel Hitler.