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La question dont parle notre "chapeau" est déjà évoquée dans le Journal dde.crisis de ce jour, et nous l'utilisons à nouveau, - cette fois en la présentant comme une question et non plus comme une prière, - tant elle nous paraît effectivement être appelée par les évènements, au fond comme un interrogation pressante et inquiète de ces évènements eux-mêmes, et alors les Russes, et particulièrement Poutine, s'en faisant les messagers : « Est-ce que vous comprenez ce que vous avez fait ? », - comme Poutine demanda hier aux acteurs du boc BAO à propos de leur(s) politique(s) de ces dernières années. Pas vraiment de réponse, si seulement ils ont entendu la question.

A l'ONU, Poutine s'est montré sous le jour qui est désormais le sien, qui est celui d'un des très rares chefs d'État, sinon le seul peut-être, qui semblerait capable de comprendre le déroulement des évènements, - non leur cause profonde, malheureusement, parce que celle-ci semble devoir échapper aux capacités humaines de compréhensions.


Commentaire : Encore que pour le cas présent, l'on puisse prendre des pincettes pour ce qui est de savoir qui comprend réellement quoi. Poutine fait preuve d'une sagacité, d'une force et d'une habileté étonnante, et il n'est pas impossible, au contraire, qu'il puisse aussi appréhender instinctivement la situation sous un angle pour ainsi dire métaphysique. Avec la conscience qu'une guerre se déroule toujours sur plusieurs niveaux.


Depuis plusieurs années, les Russes s'avèrent de plus en plus être ceux qui suivent et comprennent le mieux la tournure extraordinaire des évènements du monde, et là-dedans, le rôle absolument diabolique, et complètement manipulé par cette tendance diabolique, des pays du bloc BAO, et des USA en premier. Le contraste entre la Russie et les USA est évidemment frappant, avec le comportement des élites-Système de Washington D.C. qui rencontre de plus en plus souvent une appréciation d'automatisme, de groupthinking, jusqu'au comportement extrême et de plus en plus évident que nous nommons déterminisme-narrativiste, que nous retrouvons par exemple dans ce texte de Robert Parry de ce 28 septembre 2015 qu'il consacre au nouvel pseudo-acronyme, dit-StratCom pour Strategic Communication, qui sonne important pour décrire une si complète auto-incarcération de l'esprit aux pulsations hystériques de tous ces dirigeants-Système :
« Nuland et d'autres néocons préférerait apparemment voir le drapeau noir du terrorisme sunnite flotter sur Damas plutôt que de travailler avec Poutine pour stopper une telle catastrophe. L'hystérie concernant l'assistance de la Russie en Syrie est un exemple classique de la façon dont les gens peuvent commencer à croire en leur propre propagande en la laissant leur dicter des actions malencontreuses ... »
Ainsi, oui, dans cette foire insensée, du type ni queue ni tête, Poutine apparaît comme un maître de sagesse ; le paradoxe est que ce président russe, qu'on charge de la vertu du réalisme et de la protection forcenée des intérêts nationaux russes, charge qu'il assume sans aucune doute, tient également par la force des choses, la charge d'une sorte de "maître de sagesse" qui, régulièrement, dans telle ou telle intervention, décrit la situation du monde sans référence à la Russie et à ses intérêts, presque objectivement, pour pouvoir dire aux autres (et l'on sait lesquels, répétons cette phrase), - "mais enfin, vous ne vous rendez pas compte sur quelle pente catastrophique nous nous trouvons tous, sans distinction de choix, d'idéologies et de parti-pris", - ce qui se traduit, d'une façon plus enlevée, par cette analogie : "Mais nous sommes tous à bord du Titanic !"

Bien, voici, en vrac, quelques extraits divers du discours de Poutine le 28 septembre à l'ONU, portant sur divers problèmes internationaux, ou disons sur divers imbroglios crisiques en cours. On trouve, signalés, quelques-uns des problèmes abordés... (On a mentionné dans cet ensemble l'allusion que Poutine fait au TTIP, dans le dernier extrait ci-dessous. C'est assez rare pour être signalé : l'opposition ou dans les cas l'extrême méfiance russe vis-à-vis du TTIP était jusqu'ici un argument lointain sinon marginal et inopérant. Ici, il est mis en évidence, complétant la panoplie de la vision globale antiSystème du président russe.)

- Néo-Guerre froide, exceptionnalisme US et Ukraine :
« Nous savons tous qu'après la fin de la Guerre Froide, un seul centre de domination a émergé. Ceux qui étaient à sa tête pensaient qu'[ils étaient] si forts et si exceptionnels, et qu'ils [en] savaient [plus] que tout le monde, qu'ils n'avaient pas besoin demander son avis à l'ONU, [parce qu'ils estimaient que] cette organisation leur donnait automatiquement la légitimité... [...] Saper la légitimité de l'ONU est dangereux. Cela peut ruiner toutes les relations internationales et il ne resterait alors que la règle du plus fort. Nous verserons dans un monde d'égoïsme, de dictature au lieu d'égalité, plus de vraie démocratie ni de liberté, des états plus vraiment indépendants. [...]

Certains de nos collègues continuent à raisonner en termes de blocs, comme c'était le cas du temps de la Guerre Froide. Premièrement, il s'agit de l'expansion de l'OTAN, mais on doit se demander pour quelle raison ? Le Bloc de Varsovie a cessé d'exister, l'Union Soviétique n'est plus, néanmoins l'OTAN a non seulement survécu, mais continue son expansion. Au bout du compte, cette logique devait se conclure par une crise géopolitique - et elle a eu lieu en Ukraine... »
- La situation d'extrême désordre du Moyen-Orient et le terrorisme avec les manipulations du bloc BAO :
« L'exportation des soi-disant révolutions "démocratiques" continue. Les révolutions dans les régions du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord sont des problèmes majeurs. [...] Les gens voudraient des changements mais comment cela s'est-il déroulé ? Est-ce que vous comprenez ce que vous avez fait ? Au lieu du triomphe de la démocratie, nous voyons la violence et le désastre social, personne ne pense aux droits de l'Homme, y compris le droit à la vie. [...]

Daesh n'est pas venu de nulle part, c'était tout d'abord un moyen de lutter contre des régions profanes indésirables. Au début, ils étaient circonscrits à l'Irak et la Syrie, mais maintenant ils tachent de dominer l'intégralité du monde islamique. Il est hypocrite de parler de menace terroriste internationale en fermant les yeux sur la manière dont laquelle ces terroristes reçoivent de l'aide. Il est tout aussi mauvais d'essayer de recruter ces groupes dans un but politique, pour ensuite se débarrasser d'eux. [...] ...Si vous agissez de cette manière, je voudrais vous dire : messieurs, vous traitez avec des gens cruels. Mais ils ne sont pas primitifs ou stupides - ils sont aussi intelligents que vous. Qui manipule qui? [...]

» C'est à nous de refuser cet état de choses dans le monde. Ce que nous proposons concerne des intérêts communs, pas des ambitions. Nous pouvons unir nos efforts sur la base de la loi internationale et créer une large coalition internationale contre le terrorisme - comme la coalition contre le nazisme - nous pourrions rassembler des forces diverses qui ne sont pas sur la même longueur d'onde pour le moment... La Russie présidera prochainement le Conseil de Sécurité de l'ONU. Nous allons convenir d'analyser ces menaces et discuter d'une résolution pour coordonner toutes les forces qui luttent contre Daesh... »
- Sanctions économiques et TTIP :
« Aujourd'hui, les sanctions unilatérales prises en contournant la Charte de l'ONU sont presque devenues la norme. Elles sont prises non seulement en faveur d'objectifs politiques mais aussi dans le but d'éliminer des concurrents du marché. Un des syndromes de l'égoïsme économique croissant est le fait que certains pays ont choisi la voie de réunions exclusives. Les négociations sont menées dans des couloirs, non seulement dissimulées aux yeux de leurs propres citoyens mais aussi aux yeux des autres pays. »
Les Russes sont aujourd'hui les meilleurs connaisseurs qu'on puisse imaginer, dans tous les cas parmi les acteurs du champ politique, du bloc BAO et de ses étranges pratiques, autant que de sa psychologie insolite. Déjà, en février 2012, nous mettions en ligne un texte faisant de Lavrov une sorte de psychanalyste du bloc BAO plongé dans l'hystérie de sa politique syrienne, cela suivi de divers autres montrant cette attention russe pour l'évolution psychologique de leurs "partenaires". Les Russes ont compris depuis un certain temps que la politique du bloc BAO, et particulièrement la politique antirusse du bloc, ne s'expliquent pas seulement par des considérations politiques, y compris de la politique la plus vile comme celle qui est fondée sur le mensonge ou la propagande, ou de la plus exacerbée qui voit partout un danger de guerre.

Les Russes ne doutent pas un instant qu'il existe une sorte de spécificité étrange de la psychologie du bloc BAO qui poussent les pays qui en sont membres à des excès incompréhensibles politiquement, et se soldant en général par des échecs catastrophiques ; Dimitri Rogozine avait même diagnostiqué dès 2008, alors qu'il était à l'OTAN, l'influence d'une sorte de phénomène qu'il désignait comme le "déterminisme technologique". (Comme l'on sait, nous préférons faire appel à des notions telles que l'affectivisme, sans nier l'analyse de Rogozine qui permet de mieux comprendre le déterminisme-narrativiste.) De ce fait, les Russes ont souvent tendance à avoir une double attitude vis-à-vis du bloc BAO, qui n'est pas un double langage mais un double point de vue : celui, naturel, des intérêts de la Russie, et celui, plus élaboré, qui tentent de porter un jugement sur la situation générale du monde pour pouvoir mieux dire à leurs "partenaires" de l'Ouest qu'il serait préférable qu'ils modifiassent leur politique dans le sens où une entente générale avec eux-mêmes (les Russes) apparaîtrait pour permettre de travailler conjointement à la résolution de crises qui touchent tout le monde et accroissent le terrible désordre du monde.

Manifestement, c'est la seconde attitude qui a mené le discours de Poutine, mais avec un langage pressant et particulièrement inquiet, montrant que les Russes craignent qu'on soit proche de situations de ruptures entraînant des conséquences encore plus catastrophiques, c'est-à-dire incommensurablement catastrophiques. (Dans ce cas, nous ne disons pas que Poutine parle de "rupture" entre le bloc BAO et la Russie, mais de "ruptures" dans la situation internationale en général, concernant tous les acteurs, et précipitant des crises qui touchent tous ces acteurs.) Ainsi, le discours de Poutine était bien un appel à la solidarité, derrière la sévérité incontestable du propos pour ses "partenaires", parce que le président russe est aujourd'hui beaucoup plus inquiet pour la situation du monde que pour la situation de la Russie, à cause de ce comportement du bloc BAO et des désordres extraordinaires qui en ont résulté.

L'effort (celui de Poutine) est beau, mais l'on espère pour l'orateur qu'il ne se fait pas trop d'illusions, - et on l'imagine aisément, vu son expérience et son caractère. Poutine appelle inlassablement à la coopération et à la solidarité, et cela n'a pas empêché les catastrophes de se poursuivre sans aucun signe d'apaisement. Aujourd'hui, on perçoit des signes selon lesquels les Russes commencent à agir pour tenter de prendre en mains des situations de désordre causée par l'action du bloc BAO, et tenter d'y rétablir un semblent d'ordre. (C'est le cas avec le Moyen-Orient aujourd'hui.) S'il nous connaît, le lecteur devinera bien entendu que nous ne sommes pas particulièrement optimistes, ni à propos du comportement du bloc BAO, ni à propos de la réussite des Russes dans cette entreprise, ni à propos de l'extension du désordre.