Image
© InconnuL'Union européenne, et au-delà...
Le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, TTIP dans son sigle anglais, est un accord commercial en cours de négociation entre Union Européenne et États-Unis. Il est d'autant plus controversé et contesté qu'il promet s'il est adopté de bouleverser les règles non seulement du commerce international entre les deux blocs économiques, mais encore d'avoir des impacts majeurs des normes sociales aux normes environnementales, et jusqu'à l'équilibre entre États et entreprises.

On peut cependant comprendre cet accord en seulement neuf mots...

Le TTIP est l'héritier d'un autre accord de commerce négocié secrètement avant d'être tué dans l'œuf en 1998. L'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) avait entraîné de vives oppositions de la part des partisans de l'exception culturelle, de syndicats et des défenseurs de l'environnement lorsqu'il avait été rendu public par des mouvements de citoyens américains, ce qui avait finalement entraîné son abandon. Comme le disait l'une des responsables des ONG américaines « l'AMI est comme Dracula : il meurt à être exposé en plein jour ».

Cependant, comme tout vampire digne de ce nom, il parvient toujours à renaître sous une autre forme...

Neuf mots

John Hilary, directeur de l'ONG charitable britannique War on Want (Guerre contre le Besoin) a rencontré au mois d'octobre Cecilia Malmström, qui en sa qualité de Commissaire au commerce de l'Union européenne est la responsable des négociations pour le TTIP du côté européen. Ce qui fut l'occasion d'une leçon de choses inoubliable sur la nature du TTIP comme sur celle du processus de décision européen. Il le rapporte dans sa tribune publiée dans la presse britannique : Je ne pensais pas que le traité TTIP pouvait devenir encore plus effrayant - jusqu'à ce que je parle avec la négociatrice en chef de l'Union Européenne.
J'ai eu récemment le rare privilège d'un coup d'œil derrière la façade officielle de l'Union européenne en rencontrant la Commissaire au commerce dans son bureau à Bruxelles.

(Cecilia Malmström) est en charge de la politique de commerce et d'investissement pour l'ensemble des 28 États membres, et ce sont ses collaborateurs qui finalisent actuellement le traité TTIP avec les États-Unis.

Quand je le lui fis remarquer, Malmström reconnut qu'aucun traité de commerce n'a jamais inspiré une opposition aussi large ni aussi passionnée. Mais lorsque j'ai demandé à la Commissaire au commerce comment elle pouvait continuer de faire une promotion aussi assidue de ce traité en face d'une opposition publique aussi massive, sa réponse fut froide et concise : "Je ne reçois pas mon mandat des peuples européens" ("I do not take my mandate from the European people.")
Rien que neuf mots. Et pourtant, tout est dit. Naturellement, la Commissaire a plus tard démenti avoir prononcé ces paroles.
Je n'ai pas dit cela. Ce que j'essayais d'expliquer, c'est que le mandat pour négocier le TTIP et les autres traités de commerce est donné par le conseil des ministres (...) le mandat ne peut être changé que par l'ensemble des États membre. Ce n'est pas de ma responsabilité.
Nul doute que des conseillers en communication sont passés par là, et lui ont expliqué les inconvénients d'une telle franchise...

Et cependant, même dans son démenti elle confirmait encore le fond de l'affaire. En résumé : je n'ai pas dit cela... mais pourtant c'est vrai. Sans négliger d'ajouter que de toute façon la chose n'était pas de sa responsabilité. Comme le lui répondait par voie de presse John Hilary - qu'elle venait tout de même d'accuser de mensonge - « ses commentaires n'ont fait que confirmer en public ce qu'elle nous avait dit en privé ».

Image
© InconnuCommissaire au Commerce de l’Union Européenne, en charge de la négociation du TTIP.
« Je ne reçois pas mon mandat des peuples européens »
Secret maniaque

Si l'opposition de nombreux hommes politiques, ONG, syndicats et simples citoyens au traité TTIP est aussi radicale, c'est aussi à cause du secret maniaque maintenu autour du texte en cours de négociation.

C'est que les négociations sont absolument secrètes, avec un nombre extrêmement réduit de personnes disposant du texte en cours de négociation. Wikileaks a annoncé une prime à qui fournirait une version à jour, mais il y a peu de chance qu'elle soit jamais versée, car le secret est très très bien gardé.
Depuis un an, ces documents sont sous haute surveillance. Sur l'insistance des Américains, ils ne sont plus transmis par voie électronique ou sur papier, comme auparavant, afin de limiter les possibilités de fuite. Pour les consulter, les heureux élus doivent se rendre dans une salle de lecture ultra-sécurisée à Bruxelles (ou l'une de ses annexes, dans les ambassades américaines d'Europe), où il est interdit d'utiliser un téléphone portable, ou tout autre appareil qui permettrait de les scanner. « Il n'est pas possible de sortir les documents de la salle : seulement de prendre des notes sur des feuilles qui nous sont fournies, avec notre nom inscrit dessus, expliquait M. Jadot au Monde il y a quelques mois. Or, tout seul, il est impossible de recopier des centaines de pages de textes juridiques, d'autant que nous signons une déclaration de confidentialité. »

Commentaire : Quand on lit ce qui précède, on a vraiment du mal à y croire : impossible d'avoir accès aux termes d'un traité dont la signature déterminera jusqu'à la nature même de ce que nous mettons dans nos assiettes. Comment une personne naturellement saine d'esprit peut-elle cautionner le principe même d'une telle procédure ? Avec de telles conséquences pour des millions de gens ?


Le plan est clairement de bloquer toute information et d'empêcher tout débat jusqu'aux derniers moments avant la signature, afin de prendre de vitesse les critiques et de faire alors pression sur chaque Parlement national appelé à approuver le traité. Les arguments sont connus et éculés, mais ont jusqu'ici eu à chaque fois un impact déterminant :
- il est impossible d'apporter la moindre modification car sinon aucune négociation n'aboutira jamais,
- c'est donc à prendre ou à laisser,
- le libre-échange est par principe et dans tous les cas une bonne chose,
- un seul pays ne peut se permettre de bloquer un accord d'importance presque mondiale,
- le voudrait-il qu'il se retrouverait sous pression maximale de la part des États-Unis, tandis que les autres pays européens ne piperaient mot...
Nul parlement d'un pays européen n'a jamais résisté jusqu'ici à ce genre d'argumentation. Sans doute un peuple pourrait-il aller jusqu'à se permettre de répondre comme il le souhaite, et non nécessairement comme on l'attend... mais comme aucun pays ne prévoit de faire approuver le TTIP par référendum !

Et une fois le texte signé il deviendrait totalement inamovible et impossible à modifier pour aucun pays européen, sauf naturellement pour ce pays à sortir au préalable de l'Union Européenne.

Qui donc "ne reçoit pas (son) mandat des peuples européens", négocie en secret au profit des plus puissants puis tente d'imposer ses décisions aux pays européens et à leurs parlements par le chantage, sans qu'il soit possible de revenir moindrement sur ces décisions après coup ? Qui... sinon l'Union européenne !