Commentaire : Le problème de ce système est également de favoriser le fonctionnement en vase clos et la validation préférentielle de sujets qui sont porteurs car les crédits en dépendent et d'exclure les autres.
Entre l'envoi initial et la parution de l'article, le processus peut prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et cette validation par les pairs est censée garantir la qualité et le sérieux de la revue. Mais quand le peer review est piraté, comme cela vient de se produire à plusieurs reprises, c'est tout l'édifice scientifique qui est ébranlé. Les trois affaires ont été révélées au grand jour par l'excellent site "Retraction Watch". La première date du 16 décembre. L'éditeur Hindawi a été contraint de retirer d'un coup dix articles dont un des co-auteurs, le Sud-Coréen Jason Jung, avait frauduleusement soumis lui-même les rapports de relecture. Il est évidemment plus facile de voir son travail accepté par une revue quand on procède soi-même à son évaluation...
La deuxième affaire touche un grand nom de l'édition scientifique, le Nature Publishing Group (NPG), qui, comme son nom l'indique, publie notamment la prestigieuse revue Nature. Dans un communiqué laconique rendu public le 18 décembre, le NPG annonce que trois articles, tous rédigés par des équipes chinoises et parus dans les journaux Cancer Gene Therapy et Spinal Cord, ont été retirés, c'est-à-dire désavoués. On n'a pas beaucoup d'explications mais, là encore, est en cause une fraude au niveau du peer review. Enfin, "Retraction Watch" a annoncé le 24 décembre que le groupe d'édition SAGE, après avoir mené une enquête sur des études suspectes soumises à une de ses revues, le Journal of the Renin-Angiotensin Aldosterone System (JRAAS), avait retiré 21 articles. Huit d'entre eux avaient déjà été publiés, tous issus d'équipes chinoises...
Au total, en moins de dix jours, 34 études sont donc parties dans les oubliettes de la science. Cette rafale de rétractations n'est en réalité pas surprenante, car elle s'inscrit dans une sorte d'"opération mains propres" à laquelle les grands éditeurs du monde scientifique ont été contraints de se livrer depuis un an. En décembre 2014 en effet, le Comité sur l'éthique des publications (COPE, selon son acronyme anglais), organisation à but non lucratif regroupant plus de 10 000 éditeurs scientifiques dans le monde, lançait un signal d'alarme. Dans un communiqué, le COPE constatait "des tentatives systématiques et inconvenantes pour manipuler le processus de revue par les pairs de plusieurs journaux appartenant à différents éditeurs. Il apparaît que ces manipulations ont été orchestrées par un certain nombre d'agences tierces offrant leurs services à des auteurs."
Pour comprendre ce qui peut sembler un tantinet obscur dans cet extrait, il faut entrer quelques minutes dans l'arrière-cuisine de la science, là où se mitonne la tambouille de la recherche. Très populaires en Asie - et notamment en Chine, comme j'ai déjà eu l'occasion de le signaler - , les "agences" auxquelles se réfère le communiqué du COPE sont des officines qui, moyennant finances, proposent aux chercheurs en mal de reconnaissance et soumis à la pression du "Publie ou péris" des articles clés en mains ou, plus simplement, une "aide" à la publication. Et, parfois, l'aide fait un détour par la tricherie. Comment cela ? Trois cas principaux se présentent. Dans les deux premiers, les fraudeurs profitent du laxisme de revues fainéantes, lesquelles demandent aux auteurs de fournir avec leurs articles une liste de spécialistes de leur domaine qui pourraient servir de relecteurs. Première possibilité : les chercheurs pressentis sont de mèche avec les auteurs (ou rémunérés par les agences pour leur mansuétude...) et, en attente d'un retour d'ascenseur, ils jouent au "passe-moi la salade, je t'envoie la rhubarbe" cher à un homme politique français qui ne connaît pas ses classiques.
Seconde possibilité, nettement plus tordue, mais visiblement très en vogue : les auteurs ou, bien souvent, les agences qui agissent à leur place fournissent le nom de chercheurs mais avec de fausses adresses de courrier électronique. Du coup, sans se douter de l'entourloupe, les revues leur renvoient leurs études en leur demandant de les évaluer ! Il suffit de donner une réponse bienveillante mais assortie de quelques remarques judicieuses, histoire de ne pas éveiller la méfiance des éditeurs, et le tour est joué : un "pair" a validé le travail, on peut le publier. Dans le dernier cas de figure, on a affaire à un piratage classique : quelqu'un pénètre dans le système informatique gérant les études à relire et adresse celles qu'il veut valider à un reviewer fictif ou complice. C'est ce qui s'est produit pour le journal Optics & Laser Technology, du groupe Elsevier, qui a dû retirer en 2012 une dizaine d'articles frauduleusement acceptés.
Depuis qu'a éclaté le scandale de ces manipulations du peer review, on a, selon "Retraction Watch", comptabilisé près de 300 rétractations, la plupart concernant des études venues d'Asie - chinoises, taïwanaises, sud-coréennes - et impliquant souvent les fameuses "agences" du marché noir de la science, que j'évoquais plus haut. Il y a un mois, Pékin, soucieuse de restaurer une crédibilité scientifique bien ébranlée, a réagi en interdisant aux chercheurs chinois de travailler avec ces agences. Quant aux éditeurs, ils ont lancé de nombreuses enquêtes internes dont les retombées n'ont sans doute pas fini de se faire sentir. Nombreuses sont également les revues qui ont promis de ne plus demander aux auteurs de leur fournir une liste de relecteurs potentiels. Histoire que la si essentielle validation se fasse bien par des pairs et non par des fantômes.
Bonjour,
Je suis justement chercheur en Chine, en physique, et je suis co-auteur sur plusieurs articles publiés dans des revues internationales.
Pour vous expliquer pourquoi il y a une telle course à la publication en Chine, c'est qu'il y a beaucoup d'universités, et que chacun veut un bon poste. Ces postes ne sont pas pourvus avec les années d'expérience, mais avec le nombre d'articles publiés principalement. Vous me direz, c'est l'expérience qui permet de publier, certes, mais certains justement veulent tricher...
En clair, la Chine veut montrer que sur le plan scientifique elle produit beaucoup, mais le problème est qu'elle ne veut pas se soucier des effets secondaires.
Ça me fait penser au problème de l'enfant unique il y a une vingtaine d'années : quelques villages ont été entièrement stérilisés par des élus zélés et fêlés. Ce n'était évidemment pas une directive du gouvernement, n'empêche qu'ils voulaient des résultats, sans penser que vouloir des résultats pouvaient pousser des psychopathes à des comportements inhumains.
Ils marchent pareillement sur la tête actuellement avec la poursuite économique et l'environnement, les deux ne sont pas compatibles. Au final, quand il y a des entreprises qui polluent et que le gouvernement veut venir vérifier, l'élu local va prévenir l'entreprise pour effacer toute trace des méfaits. Au final, le gouvernement est content, ils annoncent que l'entreprise crée du PIB et ne pollue pas, alors qu'ils savent très bien qu'ils se mentent à eux-mêmes...
Pour revenir au problème des faussaires chinois, il faut savoir que ce sont des cas particuliers : ce sont des gens qui sont seuls, qui veulent une promotion, et qui ne veulent pas faire de recherche. Quand il y a une équipe, tout le monde s'entraide, donc ça reste légal, c'est peu cher, et puis les discussions avec les relecteurs sont souvent intéressantes. On tombe parfois sur des phénomènes aussi, mais généralement ce sont des gens honnêtes qui font des critiques constructives pour améliorer notre papier.
Ça paraît lier à la Chine pour deux raisons : la première est que le système chinois est un des systèmes les plus basés sur la publication scientifique au monde, tout dépend de ça. Même en master il faut publier si tu veux ton diplôme, chose impensable en France. La deuxième raison est qu'une personne au monde est chinoise. Même si ces fraudes sont des cas particuliers, quand ça concerne un cinquième de la population mondiale, a fortiori une population dépendant du système de publication scientifique, ça peut quand même représenter une sacré masse.
Pour ma part, j'ai déjà rencontré plusieurs dizaines de chercheurs en Chine, j'ai pu regarder leurs méthodes, leurs résultats, etc, et je peux vous dire qu'ils n'ont rien à se reprocher. Ce n'est pas parce qu'il y a des requins avides de postes que tous les chercheurs veulent frauder, au contraire, ces requis ne sont pas des chercheurs, juste des chercheurs de promotion, le genre que l'on ne voit jamais au labo. Ceux que l'on voit dans les labos en Chine sont sincères, croyez-moi.
J'espère que ce commentaire vous aura été utile.