Commentaire : Une multitude de raisons peuvent expliquer les résultats d'un telle étude. Certains biais cognitifs, tout d'abord, auxquels on n'échappe pas si on n'en n'a pas conscience. Il y a aussi le cas du suiveur autoritaire, ou syndrome du larbin, caractérisé par une soumission naturelle à l'autorité, le soutien agressif à l'autorité, le conformisme. Et puis, de façon générale :
Alors qu'une faible structure de l'ego nous rend plus vulnérable à l'opinion de groupe et à un niveau de conformisme inadapté décrit dans les études ci-dessus, un fort et réel degré d'autonomie et d'individuation nous aide à nous protéger de ces tendances. Ici.
Que ce soit envers les équipes de sport ou les partis politiques, il existe un besoin humain de s'identifier au gagnant, et de proclamer cette identification à d'autres. (...)

« Courir avec le peloton » décrit mieux la situation de ceux qui « suivent ». Pourtant, cette situation s'applique, plus ou moins, à toute l'humanité. « Quand les gens pensent que les autres se détournent d'eux, ils souffrent tellement qu'ils peuvent être guidés ou manipulés aussi facilement par leur propre sensibilité que par une bride. La peur de l'isolement semble être la force qui met en mouvement la spirale du silence. » Ici.

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Une récente étude universitaire montre que la conscience de la surveillance gouvernementale pousse les gens à auto-censurer la publication en ligne de leurs opinions dissidentes. Elle offre un point de vue qui donne à réfléchir sur l'effet souvent vanté de « démocratisation » des réseaux sociaux et d'Internet qui renforcerait la diffusion des opinions minoritaires. L'étude, publiée dans la revue Journalism and Mass communication Quarterly étudie les effets causés par des rappels subtils de surveillance de masse exercée sur les sujets. La majorité des participants a réagi en supprimant les opinions qu'ils percevaient comme minoritaires. Ce travail illustre la manière dont les opinions dissidentes des participants sont tues à la suite de la large prise de conscience de la surveillance gouvernementale révélée par le lanceur d'alerte Edward Snowden en 2013.

La « spirale du silence » est un phénomène très étudié dans lequel les gens refrènent des opinions impopulaires pour s'adapter et éviter l'isolement social. Ce phénomène a été observé dans le contexte des médias sociaux par l'effet de matraquage médiatique, au travers duquel nous ajustons nos opinions pour être en adéquation avec nos amis de Facebook et Twitter. Mais cette étude ajoute un nouveau filtre d'analyse en examinant précisément comment la surveillance gouvernementale affecte l'auto-censure.

Les participants à l'étude ont d'abord fait l'objet d'une enquête portant sur leurs convictions politiques, leurs traits de personnalité et leur activité en ligne, le but étant de créer un profil psychologique de chaque personne. L'existence de la surveillance gouvernementale a ensuite été subtilement rappelée à un groupe-échantillon sélectionné au hasard ; puis une manchette fictive et neutre annonçant des frappes aériennes américaines visant l'État islamique en Irak a été montrée à chaque membre de ce groupe. Les sujets se sont alors vu poser une série de questions concernant leurs attitudes vis-à-vis de cette annonce hypothétique, par exemple quelle serait selon eux la réaction de la plupart des Américains face à ces frappes aériennes et s'ils exprimeraient leur opinion en public à ce sujet. La majorité des sujets auxquels on avait rappelé l'existence de la surveillance de masse se sont dits moins susceptibles d'exprimer leurs idées non conformistes, y compris ceux dont on avait estimé qu'ils seraient moins enclins à s'auto-censurer au regard de leur profil psychologique.

Elizabeth Stoycheff, directrice de recherche de l'étude et professeure assistante à la Wayne State University, se dit préoccupée par ces résultats.
« Tant de gens à qui j'ai parlé disent qu'ils ne se sentent pas concernés par la surveillance en ligne parce qu'ils n'enfreignent aucune loi et qu'ils n'ont rien à cacher. Je trouve donc ces conclusions profondément troublantes », a-t-elle déclaré.
Elle a précisé que les participants qui souscrivaient à l'idée du « rien à cacher », ou encore ceux qui tendaient à approuver la surveillance de masse car étant nécessaire pour des raisons de sécurité nationale, étaient les plus susceptibles de taire leurs opinions minoritaires.
« Le fait que les personnes qui n'ont « rien à cacher » ressentent un effet d'intimidation significatif montre bien que la notion de la vie privée en ligne va bien au-delà de la simple légalité des actes personnels. Elle a trait à un droit humain fondamental qui consiste à garder le contrôle sur sa représentation et sur son image, en privé et aujourd'hui, dans son historique de navigation et dans les métadonnées », ajoute Stoycheff.
Madame Stoycheff est également inquiète du comportement subtilement oppressif de l'auto-censure.
« Cela m'inquiète que la surveillance semble permettre une culture d'auto-censure car cela prive encore plus de leurs droits les groupes minoritaires. Et il est difficile de protéger et renforcer les droits de ces populations vulnérables si leurs voix ne font pas partie de la discussion. La Démocratie se nourrit de la diversité des idées, et l'auto-censure l'affame. » déclare-t-elle. « Il est nécessaire de lancer publiquement cette discussion, afin que les Américains comprennent que les libertés publiques sont aussi fondamentales pour le bien-être à long terme du pays que de repousser les très rares attaques terroristes. »
Elizabeth Stoycheff a écrit à propos de la capacité des outils de partage en ligne à inspirer des changements démocratiques. Mais les résultats de cette étude l'ont amenée à changer son opinion. « L'adoption de techniques de surveillance par le gouvernement et le secteur privé sabote la capacité d'Internet à servir de plateforme neutre pour une discussion ouverte et honnête. Cela commence à priver Internet de sa capacité à être un espace d'expression pour toutes les voix, et à la place [Internet] tend à valoriser les plus dominantes. », dit-elle. Elle précise n'avoir reçu aucune subvention extérieure pour la recherche ou la publication de cette étude.