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Photographie d'une interpellation par les forces de police d'un manifestant du mouvement "Occupy Wall Street", le 19 septembre 2011.Giles Clarke
"Ça monte", lit-on sur la pancarte. Et c'est vrai : "place de la Liberté", comme ils nomment le square qu'ils squattent à deux pas de la Bourse new-yorkaise, les "indignés" américains du mouvement Occupons Wall Street étaient environ 1 500, dimanche 2 octobre, soit trois fois plus que les jours précédents. Beaucoup grâce au maire, Michael Bloomberg, qui avait envoyé ses forces de police, la veille, arrêter les 600 à 700 militants partis traverser le pont de Brooklyn, situé non loin de là. Le soir même, les premières images faisaient le tour du Net. D'un coup, l'intérêt médiatique était monté de plusieurs crans. Fox News, la chaîne de télévision conservatrice, éructait contre cette "bande de fainéants".

Kyle Kneitinger, 22 ans, y était. Les policiers, raconte-t-il, les attendaient en nombre et les ont accompagnés jusqu'à ce que les manifestants, parvenus au tiers du pont, ne s'aperçoivent que d'autres forces de l'ordre avançaient vers eux à rebours. Pris au piège. "Personne n'a entendu" lorsqu'un officier a intimé l'ordre d'évacuer les lieux, assure-t-il. Les "indignés" ont-ils cherché à perturber la circulation ? "Ce n'était pas notre projet, dit Kyle, mais c'est arrivé. On ne savait plus quoi faire : certains se sont assis, d'autres se sont mis à courir. Les tabassages ont commencé."

Les brutalités n'ont pas trop duré. Quand il a compris que tous seraient raflés, il s'est approché d'un véhicule de police pour se "rendre". Menotté dans le dos, il s'est retrouvé en cellule. "On était 40, presque tous des nouveaux." Un formulaire lui a été remis : il y est accusé de "désordre sur la voie publique, entrave à la circulation et obstruction à l'action des autorités". Huit heures plus tard, il a été relâché, comme ses compagnons.

A 11 heures, dimanche, il était de retour place de la Liberté. "Ce qui se passe ici est merveilleux", dit cet étudiant en ingénierie électrique de 22 ans, venu de Buffalo, à 650 kilomètres à l'ouest de New York, qui dénonce "les lobbies qui dévoient la démocratie". Le mouvement s'est d'ailleurs trouvé un slogan unificateur symptomatique : "Nous sommes les 99 %", pour signifier que leur seul adversaire, c'est ce 1 % de "riches" et leurs lobbies. "Ils se sentent invincibles. Tous leur est bon pour faire des profits" et le quotidien des autres 99 % se détériore désespérément, proclame-t-il.

SALARIÉS, AVEC OU SANS EMPLOI, ET FUTURS DIPLÔMÉS

Aujourd'hui, le mouvement prend incontestablement de l'ampleur. Il revendique une présence de groupes d'"occupation" des quartiers d'affaires dans plus de 100 villes, dont les plus grandes : de Houston à Chicago, de Philadelphie à San Francisco. A Boston, les "indignés" campent face au bâtiment de la Réserve fédérale (Fed, la banque centrale américaine).

A New York, ils se retrouvent en assemblée générale deux fois par jour. Des commissions ont été instaurées, sur les finances, les relations avec le mouvement dans les autres cités. Une infirmerie d'urgence a été créée. Deux sites Internet centralisent la multitude des initiatives et des blogs relaient les activités du mouvement. Twitter est leur organe de connexion. Ils se sont dotés d'un journal de 4 pages : The Occupied Wall Street Journal...

Désormais, la composition du mouvement évolue également. Jeunes salariés, avec ou sans emploi, et futurs diplômés gagnent en nombre, marginalisant les premiers initiateurs, plus proches d'une mouvance anarchisante. Ils suscitent un intérêt croissant dans les milieux progressistes. A Boston, Michael Moore et le professeur de philosophie de Princeton Cornel West leur ont rendu visite. A New York, ils ont invité le Prix Nobel d'économie Joe Stiglitz et l'économiste Jeff Madrick, récent auteur du best-seller Age of Greed ("Une ère de rapacité"), à s'exprimer devant eux.

Quant à la référence à la place Tahrir du Caire et aux "indignés" espagnols, elle leur est devenue quasi identitaire.