Il s'agit d'une étude pilote menée chez 40 enfants, mais ses résultats sont jugés "inquiétants" par le professeur Philippe Grandjean, épidémiologiste, spécialiste de médecine environnementale à l'Institut de santé publique du Danemark et à l'Ecole de santé publique d'Harvard (Boston, Etats-Unis).

Selon les données préliminaires de l'imagerie cérébrale recueillies chez de jeunes garçons et filles âgés de 6 à 11 ans, en effet, un pesticide organo-phosphoré très utilisé à travers le monde, le chlorpyriphos-éthyl (ou chlorpyrifos ou CPF), aurait un impact persistant sur la structure du cerveau des enfants qui, in utero, ont été exposés à des niveaux élevés de ce produit - parce que leur mère a, durant sa grossesse, inhalé cet insecticide, consommé des aliments pollués par celui-ci, voire été contaminée par l'absorption du produit à travers la peau. Le chlorpyriphos est présent dans de nombreux pesticides utilisés en agriculture, mais aussi dans des produits à usage domestique pour les pays qui n'en ont pas interdit l'usage.

Publiée en ligne, le 30 avril, dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), cette étude a été présentée, le 15 mai, lors de la conférence internationale "Programmation prénatale et toxicité" qui se tenait à Paris. L'enjeu : comprendre comment les expositions à des substances chimiques variées durant la grossesse ou les premières années de vie peuvent affecter les fonctions de l'organisme, voire occasionner des maladies (cancers, diabète, obésité...) qui surviennent parfois des années ou des dizaines d'années plus tard.

TROUBLES NEUROCOGNITIFS

"L'amincissement du cortex cérébral que nous observons chez ces enfants, notamment, n'est pas une bonne chose, souligne le professeur Virginia Rauh, principal auteur de ce travail réalisé à l'université Columbia (New York). Surtout lorsqu'on sait que l'épaisseur du cortex est également diminuée dans des affections neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer." Selon cette épidémiologiste, les anomalies cérébrales trouvées chez ces enfants pourraient être associées à des troubles neurocognitifs ou neuropsychologiques durables. Les niveaux d'exposition qui montrent ces effets neurotoxiques correspondant à des usages courants.

Pour retracer le niveau d'exposition des foetus, l'équipe new-yorkaise a regardé les taux de CPF dans le sang du cordon ombilical, qui donne une idée des taux d'exposition durant les dernières semaines de grossesse. Ces données étaient issues d'une cohorte de 369 enfants, pour lesquels étaient aussi connus les niveaux d'exposition foetale au tabac et aux hydrocarbures aromatiques polycycliques, ainsi que les résultats d'un test cognitif global effectué vers l'âge de 7 ans.

Les auteurs ont focalisé leur attention sur 20 enfants qui avaient les niveaux d'exposition foetale au CPF le plus élevé - supérieur à 4,39 picogrammes par gramme - et les ont comparé à 20 enfants moins exposés, les deux groupes ne présentant des niveaux d'exposition foetale élevés ni au tabac ni aux hydrocarbures aromatiques. Résultats : chez les enfants du premier groupe, l'imagerie par résonance magnétique montre un développement cérébral altéré.

Le cerveau des enfants soumis à un niveau d'exposition élevé au CPF semble présenter plusieurs types d'anomalies : un élargissement de certaines régions, associé à de moins bonnes performances aux tests cognitifs à l'âge de 7 ans. De plus, ces enfants présentent des modifications des différences entre sexes normalement observées dans le cerveau, ainsi qu'une diminution de l'épaisseur du cortex frontal et pariétal.

DES INTERACTIONS AVEC LE TABAC

Le nombre restreint d'enfants inclus dans cette étude est bien sûr une limite. Une extension est en cours sur 450 enfants. De même, les tests neurocognitifs devraient être affinés en vue de préciser les corrélations entre mesures cérébrales et fonctions cognitives. Mais d'autres études vont dans le même sens. "En Equateur, des enfants nés de mères travaillant dans des serres horticoles, exposées à ce pesticide durant leur grossesse, présentent un à deux ans de retard neurocognitif par rapport aux enfants dont les mères ne sont pas exposées", indique le M. Grandjean.

"Le chlorpyriphos-éthyl inhibe l'acétylcholinestérase, l'enzyme qui dégrade l'acétylcholine, un des principaux neurotransmetteurs excitateurs du cerveau. Il augmente ainsi la quantité d'acétylcholine dans le cerveau", dit le professeur Robert Barouki, directeur d'un laboratoire Inserm de pharmacologie-toxicologie à l'université Paris-Descartes. "Le CPF perturbe sans doute aussi la migration des neurones lors du développement cérébral", ajoute M. Grandjean. Autre motif de crainte, "les pesticides interagissent avec d'autres produits chimiques comme ceux du tabac", observe Virginia Rauh. Dans leur classement toxicologique, l'OMS et l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA) attribuent au CPF un niveau II, soit une dangerosité modérée.

Médecins, psychologues, enseignants observent chez l'enfant une augmentation des troubles neurocognitifs et comportementaux, notamment des déficits de l'attention. Un accroissement en partie attribuable à la plus grande vigilance accordée à ces troubles et à leur meilleur diagnostic. Mais si cette augmentation est réelle, une origine développementale liée à une exposition à des neurotoxiques pourrait-elle en être une des causes ? "C'est une hypothèse à explorer", admet Virginia Rauh.

"Vous n'avez qu'une seule chance de développer votre cerveau, et c'est pour la vie ! Certes, le cerveau est capable de plasticité, d'un certain degré de compensation, mais son efficience ne sera jamais optimale s'il a été altéré", relève Philippe Grandjean. Selon lui, "l'impact de l'exposition périnatale à divers produits chimiques est un problème de santé publique mésestimé par les pouvoirs publics".

En attendant une prise de conscience élargie, que faire ? "Laver fruits et légumes, d'autant plus s'ils sont consommés par une femme enceinte ou allaitante, ou par de jeunes enfants", conseille Virginia Rauh. Et éviter d'utiliser, en cas de grossesse, des produits phytosanitaires contenant ces produits. En France, au moins un produit contenant du CPF est autorisé dans les jardins : Dursban 5G Jardin (Dow Agrosciences SAS).