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Zones d'ombre. Une enquête journalistique à paraître révèle un nouveau détail troublant dans l'affaire Merah.

Près de trois mois après la série de meurtres commis dans la région de Toulouse-Montauban, les interrogations se multiplient. Alors que les juges d'instruction viennent de demander auprès du gouvernement la levée du secret-défense, un livre à paraître le 14 juin révèle de nouveaux éléments à propos de l'enquête relative aux crimes imputés à Mohamed Merah. Deux journalistes de l'Express, Eric Pelletier et Jean-Marie Pontaut, rapportent ce qui constitue, à leurs yeux, un "mystère" qui "demeure entier" : la police judiciaire a découvert le 21 mars un document inattendu dans un local loué par l'homme encerclé alors par le RAID. Extrait de l'ouvrage :

Que faisait cette petite carte de visite, pliée en deux, sur le sol du box de l'avenue de Grande-Bretagne? Le parking souterrain où l'assassin cachait son scooter est un endroit où l'on ne s'attend pas à trouver les coordonnées d'un collègue chargé de la protection... du chef de l'Etat. Sur le morceau de bristol figurent pourtant une identité, un numéro direct au palais de l'Elysée, ainsi que la mention d'un service: le GSPR (Groupe de sécurité de la présidence de la République).

Le fonctionnaire, un quinquagénaire considéré comme un excellent pro, travaille depuis près de vingt ans au sein de l'unité: il a notamment protégé Jacques Chirac, et ensuite Nicolas Sarkozy pendant son quinquennat. Ce membre du GSPR pouvait-il être un agent traitant? Son unité n'a aucune compétence en matière antiterroriste, et ses membres ne sont pas habilités à traiter des sources, ce qui rend l'hypothèse peu crédible.

Alors pouvait-il être une cible du tueur ou l'une de ses connaissances?

L'homme répond sans détour: "Je tombe des nues. Lors de nos missions, nous distribuons nos cartes de visite à de nombreux responsables, des collègues, des gendarmes et des personnalités locales. Peut-être l'une de mes cartes a-t-elle été perdue ? A part cela, je ne vois aucune explication, car je n'ai accompagné le chef de l'Etat ni dans son déplacement à Toulouse, ni dans celui de Montauban. Et je n'ai jamais suivi l'affaire Merah."

Contrairement au gilet pare-balles appartenant à la police et découvert sur le corps de Mohamed Merah, une carte de visite produite par un policier d'élite basé à l'Elysée n'est probablement pas l'objet d'une éventuelle transaction sur un marché noir. Curieusement, cette anomalie rappelle la découverte fortuite en 2006, lors du procès de Zacarias Moussaoui- incarcéré pour sa participation à la préparation du 11-Septembre, d'un contact téléphonique du terroriste Franco-Marocain renvoyant directement à Blackwater, groupe paramilitaire américain proche de l'Administration Bush et de la CIA. Une anomalie pour laquelle aucun expert classique n'a trouvé depuis d'explication rationnelle.

Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, s'est engagé à "comprendre" ce qui a "dysfonctionné" dans le maillage policier autour de Mohamed Merah. La transparence gouvernementale se vérifiera dans l'autorisation, accordée -ou non- aux juges d'instruction par la Commission consultative du secret de la défense nationale, de consulter les renseignements accumulés par la DCRI sur l'auteur présumé de sept crimes. En avril, le député Guy Teissier, ancien membre d'extrême droite et proche du clan Sarkozy, avait fait savoir, en sa qualité de président de la délégation parlementaire au renseignement, qu'il n'y avait eu, depuis le repérage jusqu'à la surveillance de Mohamed Merah, "aucune faille" dans le fonctionnement des services secrets français. Comprendre "Circulez, y'a rien à voir", en langage familier.

Quant au dépôt de plainte contre le RAID annoncé fin mars par le père de Mohamed Merah, le mystère, lui aussi, s'épaissit : contactée par Oumma, l'avocate Isabelle Coutant-Peyre, en charge du dossier côté français, nous a indiqué qu'elle attendait toujours la venue de ses confrères algériens, censés disposer de vidéos comportant des éléments contraires à la version officielle. Un imbroglio administratif franco-algérien et relatif aux visas des avocats aurait retardé la procédure judiciaire. Afghanistan, Pakistan, Israël, Algérie, France : nimbée de mystères, l'affaire Merah s'apparente de plus en plus à une affaire d'Etats.