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Le risque de corruption est présent dans de nombreux domaines de la vie des collectivités territoriales, selon le rapport 2013 du Service central de prévention de la corruption (SCPC). Particulièrement sensibles : la commande publique et l'urbanisme. Mais les risques se nichent partout, jusque dans le domaine des aides européennes, qui risquent de mettre les collectivités en relation avec la criminalité organisée. Le SCPC préconise donc un certain nombre de mesures pour réduire le risque et en faire prendre conscience aux élus locaux.

Alors que la classe politique subit un discrédit croissant, auquel les élus locaux échappent de moins en moins, le rapport 2013 du Service central de prévention de la corruption (SCPC), publié en juillet 2014, met le doigt là où cela fait mal : sur la corruption(1).

Nouvelles zones de risques

Le rapport reconnaît que les risques « ne se matérialisent pas régulièrement ». Il ne dit pas, cependant, qu'ils sont exceptionnels. S'agissant de « délits occultes », la majorité d'entre eux ne sont en effet pas connus de la justice.

Préexistante à la décentralisation, celle-ci a accru les atteintes à la probité en « multipliant les situations de face à face entre les décideurs locaux et les acteurs économiques ». Danger accru par l'importance des masses financières en jeu et par l'approfondissement de la décentralisation qui engendre de nouvelles zones de risques.

Selon le SCPC, deux domaines sont particulièrement sensibles : la commande publique et l'urbanisme. Mais, la liste des secteurs concernés peut donner le vertige : habitat et logement, gestion du patrimoine, aides aux opérateurs économiques et aux associations, gestion des sociétés relevant de l'économie mixte locale, offices HLM et régies immobilières, SDIS, formation professionnelle, gestion des programmes d'aides européens, gestion des ressources humaines, offres bancaires, parrainage et mécénat, action extérieure...

Etat de moins en moins contrôleur

Dans ce monde semé de dangers et de tentations, l'État exerce de moins en moins son rôle de contrôle alors que le poids et l'influence locale des « grands élus » s'accroissent. Contraction du périmètre du contrôle de légalité, resserrement du périmètre du contrôle budgétaire aux collectivités de très petite taille, limites posées aux contrôles du comptable public et des chambres régionales des comptes... Ainsi, les communes et EPCI de moins de 2 000 à moins de 20 000 habitants, selon les chambres, ne sont plus examinées.

D'où par exemple, de nombreux cas de prises illégales d'intérêt à l'occasion d'implantation d'éoliennes. Les satellites des collectivités sont eux aussi rarement contrôlés. Enfin, la mission interministérielle d'enquête sur les marchés et les conventions de délégation des services publics (MIEN) s'est éteinte de fait par non-renouvellement de ses effectifs, avant d'être supprimée par la loi de simplification du droit de mars 2012.

Les artifices de la commande publique

La commande publique, qui recouvre les marchés publics, les délégations de services publics, les concessions de travaux publics et les partenariats public-privé, représente environ 20% du PIB de l'Union européenne, souligne le SCPC. Union européenne qui a déjà souligné le risque de corruption en France dans ce domaine.

Le SCPC énumère un certain nombre d'artifices permettant de contourner un Code des marchés publics au formalisme excessif.
Parmi eux le fractionnement abusif, le recours non justifié aux procédures d'urgence, l'infructuosité organisée pour recourir à la négociation, les cahiers des clauses techniques particulières (CCTP) sur mesure, les critères permettant de fermer le marché, la collusion entre l'assistant à maîtrise d'ouvrage (AMO) analysant les offres avec l'un des candidats, la facturation de prestations fictives, la collusion entre l'AMO et l'entreprise retenue, l'absence de recours contre la maîtrise d'ouvrage en cas de dérive financière importante, etc. Une liste non limitative, et qui ne doit pas donner d'idées aux responsables locaux !

Les délégations de service public, non soumises au CMP, sont également un « terrain d'élection pour la corruption, associée au favoritisme ». Mise en garde également en ce qui concerne les contrats de partenariat public-privé, dont la grande complexité interdit souvent aux élus d'en comprendre toutes les stipulations et où les risques de corruption sont réels à différentes phases.

Urbanisme et urbanisme commercial : détournements de procédure

Corruption, trafic d'influence, prise illégale d'intérêt... toute la panoplie peut se déployer sur le terrain de l'urbanisme et de l'urbanisme commercial, tant la décision des élus est déterminante, le nombre des acteurs concernés nombreux et l'impact des flux économiques importants.

La compétence des communes sur le PLU leur permet ainsi de détourner des procédures pour une « finalité éloignée de l'intérêt général ». Le SCPC rappelle à ce sujet l'opposition de « l'immense majorité des communes » aux transferts de la compétence à l'intercommunalité... sans établir explicitement de lien de cause à effet.

Droit de préemption, localisation des équipements publics futurs, octroi des autorisations d'urbanisme... autant de procédures qui peuvent être détournées, manipulées, donner lieu à des pots de vin.

En ce qui concerne l'urbanisme commercial, si des réformes ont limité les tentations, « elles sont loin d'avoir évacué tout risque d'atteinte à la probité », déplore le SCPC.

Secteurs sensibles

La liste des secteurs sensibles est encore longue. Elle va de l'attribution des logements sociaux aux autorisations temporaires d'occupation du domaine public avec les différentes techniques de corruption des agents publics, des acquisitions et cessions de biens du domaine privé à des élus dissimulés derrière des structures-écran aux subventions aux associations insuffisamment contrôlées, du mécénat et ses invitations d'« hospitalité commerciale » aux soutiens aux entreprises à l'étranger dans le cadre de l'action extérieure des collectivités.

Criminalité organisée et aides européennes

Avec la gestion par les régions des programmes d'aide européens, le SCPC évoque carrément « le risque d'entrée en contact avec la criminalité organisée, spécialisée dans le détournement de fonds européens ». Le rapport recommande donc la mise en place de mesures de contrôle pour prévenir les détournements de fonds.

Prévention et fonctions électives

Après la description de la situation, le SCPC préconise un certain nombre de mesures préventives concernant l'État et les collectivités locales et, en particulier les fonctions électives.

Il demande ainsi de conditionner la validation d'une candidature à des fonctions électives à la production d'un casier judiciaire vierge de tout délit d'atteinte à la probité.

Le SCPC se livre à une critique en règle du cumul des mandats et de fonctions « diverses et variées », allant au-delà du cumul des mandats nationaux et locaux. Le SCPC dénonce ainsi la « vision "accumulative" de la carrière politique locale », qui amène « à la constitution de fiefs électoraux quasi inexpugnables en limitant l'émergence d'une offre politique concurrente », qui revient à surcharger les emplois du temps, à rendre impossible la connaissance approfondie des dossiers ou le développement d'approches intellectuelles nouvelles et à donner « un poids considérable aux collaborateurs et techniciens non-élus dans le processus décisionnel ». Le SCPC recommande donc que la fonction de maire soit exclusive de toute présidence d'un autre exécutif local, y compris celle d'une EPCI.

Le rapport s'en prend également au cumul des mandats dans le temps, constatant que les atteintes à la probité par les élus « ont lieu majoritairement après un premier mandat ». Il recommande donc de limiter le cumul des mandats locaux à deux mandats successifs.

Le SCPC recommande l'extension des obligations de déclaration d'intérêts et de situation patrimoniale à l'ensemble des maires, de leurs adjoints, des présidents d'EPCI et de leurs vice-présidents, ainsi qu'aux directeurs et directeurs généraux adjoints de la fonction publique territoriale non assujettis à ces obligations à ce jour. Les limites actuelles reviennent en effet à exclure du périmètre d'application de la loi du 11 octobre 2013 la très grande majorité des élus locaux. Alors que les atteintes à la probité font fi des seuils de population des collectivités.

Il est recommandé de clarifier les délégations de fonctions et de signature et d'améliorer la transparence et la traçabilité dans le processus de décision des collectivités territoriales.

Charte de déontologie

Le rapport aborde également la question de la gestion des collectivités et de leur groupement. Il préconise ainsi l'élaboration concertée et la mise en place de chartes de déontologie, tout en reconnaissant qu'elles ne constituent pas une panacée. Elles permettent cependant une prise de conscience par les élus du fait que les impératifs déontologiques ne doivent pas être relégués au second rang de leurs préoccupations.

Pour être efficace, la charte doit prévoir des sanctions en cas de transgression de celle-ci. Une charte type de déontologie, instituée au niveau national, pourrait être déclinée par les collectivités.

Pour éviter le clientélisme, le SCPC demande la transparence dans le recrutement et la promotion de la FPT, avec un portail national unique de l'emploi public. Les agents ainsi que les nouveaux élus devraient être formés à la prévention de la corruption.

La commande publique, qui fait l'objet d'un certain nombre de recommandations, devrait elle aussi être dotée d'une charte de déontologie de l'acheteur public, opposable et avec mention de sanctions disciplinaires, et les collectivités devraient se doter de logiciels de gestion permettant la traçabilité des conditions de passation des marchés publics.

Quant à l'urbanisme, le SCPC estime que sa législation et sa réglementation devraient faire l'objet d'un réexamen systématique sous l'angle de la prévention des atteintes à la probité. En attendant, il recommande d'améliorer la transparence de la modification des PLU et de rendre obligatoire la publicité de l'identité des personnes physiques et morales concernées par les modifications de zonage ; de soumettre les décisions d'urbanisme à délibération du conseil municipal ou communautaire afin de réduire les risques de prise illégale d'intérêt et d'imposer la règle du déport en cas de conflit d'intérêts à toutes les étapes de la décision.

Note :

1. Selon la loi, la corruption peut se définir comme l'agissement par lequel une personne investie d'une fonction déterminée, publique ou privée, sollicite ou accepte un don, une offre ou une promesse en vue d'accomplir, retarder ou omettre d'accomplir un acte entrant, d'une façon directe ou indirecte, dans le cadre de ses fonctions, dans les collectivités locales. La corruption peut être passive et active. Le trafic d'influence, infraction proche, implique que la personne monnaye sa qualité, son influence réelle ou supposée sur un tiers, afin que celui-ci prenne une décision. - Retourner au texte