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Le scénario était bien rodé. Chaque lundi, de jeunes et jolies jeunes femmes rêvant de célébrité étaient invitées à « s'amuser » avec le chef de l'État et ses amis. L'alcool coulait à flots. L'important personnage « dansait parfois sur la table » et, la plupart du temps, ces créatures féminines quittaient leur petite tenue pour mieux « sauter sur les genoux » des messieurs et les laisser succomber à leurs élans. Les festivités se déroulaient sur un bateau, ou bien à la campagne, à la montagne... Mais elles avaient souvent lieu dans un club privé de la capitale, qui avait l'avantage d'être équipé d'un ­Jacuzzi et d'être tenu par un propriétaire forcément peu bavard, car lié à la mafia. Ces situations seraient presque banales si le chef d'Etat en question était Silvio ­Berlusconi. Seulement voilà, la ­cible de ces révélations est Carl XVI Gustaf, roi de Suède, à qui l'on ne connaissait jusqu'alors que trois faiblesses : le scoutisme, la chasse à l'élan et les voitures de sport.

Le scandale est parti d'un ­livre, « Carl XVI Gustaf, Den motvillige monarken » (« Carl XVI ­Gustaf. Souverain malgré lui »), écrit par trois journalistes sérieux, Thomas Sjöberg, Tove Meyer et Deanne Rauscher. Sorti en Suède jeudi 4 novembre, le livre est déjà à la limite de la rupture de stock : il s'en vendrait deux par minute sur le site Adlibris, l'équivalent suédois d'Amazon. Les révélations s'appuient principalement sur des sources anonymes (les femmes disant avoir eu une aventure d'un soir avec le roi sont appelées A, B, C, etc.) et sur le propriétaire du club privé, Mille Markovic, gangster à la gueule de l'emploi, regard torve et sourire de travers inclus. Mais l'absence de démenti formel de la cour et l'annonce que le roi n'a pas l'intention d'engager des poursuites donnent à penser que les aventures décrites ont au moins un fond de vérité.

Pas de démenti officiel

Au fil de ses 380 pages, le livre regorge de détails plus croustillants qu'un Krisprolls. L'un d'eux concerne une visite à un club de strip-tease d'Atlanta, en 1996, où Carl Gustaf aurait royalement laissé 10 000 dollars de pourboire. Il nous apprend son goût modéré pour les femmes « de la haute » et leurs « sourires suffisants ». Surtout, nous sommes plongés dans sa liaison prolongée (un an) avec ­Camilla Henemark, une sublime métisse sulfureuse, chanteuse dans le groupe pop Army of Lovers, à la fin des années 80. « La Camilla » a conquis la célébrité grâce à ses ­décolletés vertigineux, sa personnalité allumée et ses provocations (elle a notamment animé une émission érotique à la télévision). Les Suédois n'en reviennent pas : c'est un peu comme si la France apprenait que Jean-Pierre Raffarin avait entretenu une liaison passionnée avec Lady Gaga.

Le Tout-Stockholm avait déjà entendu les rumeurs disant que le roi aimait « faire la fête ». Dans un pays où boire à en rouler par terre le samedi soir est considéré comme un droit de l'homme, personne n'y prêtait attention. Mais dans le livre la « fête » n'est pas si joyeuse. Les ­auteurs accusent principalement l'entourage de Carl XVI Gustaf : des messieurs de bonne famille qui attiraient les jeunes femmes dans leurs orgies en leur faisant miroiter un avenir pailleté, avant de cesser de les appeler une fois qu'elles avaient perdu de leur « fraîcheur ». Les ­auteurs insistent sur les risques que faisait courir le roi à son pays : « En se rendant dans ce genre d'endroits, il mettait en danger sa sécurité », souligne Thomas Sjöberg. Sans compter les possibilités de chantage : Mille Markovic, qui a déjà été condamné pour avoir fait chanter un autre seigneur, le ­super champion de tennis Björn Borg, confie aujourd'hui à qui veut l'entendre qu'il est en possession de « vidéos » prises dans son club. Certaines femmes qui témoignent dans le livre accusent la Säpo, les services de sécurité, d'avoir fait pression sur elles pour récupérer des photos compromettantes, en leur adressant un message menaçant : « Si les pellicules, les tirages et les négatifs ne nous parviennent pas, il pourrait t'arriver des choses peu agréables. »

Les Suédois, traumatisés par ces révélations chocs, peuvent toujours, pour se remonter le moral, se plonger dans le première partie du livre. Elle trace le portrait du roi qu'ils connaissaient, un personnage attachant. Le père de Carl Gustaf est mort dans un accident d'avion quand il n'avait que quelques mois. Elevé sous le règne de son grand-père, dans une atmosphère froide et sévère, le petit garçon n'est heureux qu'à la campagne, et confie à sa sœur Christina : « Plus tard, je veux être un travailleur ! » Il monte sur le trône à 27 ans, par sens du devoir plutôt que par goût. En 2004, il sait, mieux que tous ses ministres, trouver les mots justes pour s'adresser aux orphelins du tsunami. Monarque plutôt conservateur, il s'acquitte de sa tâche avec conscience, mais sans briller. Handicapé par une dyslexie mal soignée, à chaque discours il vit un calvaire.