Étrangement, l'expression « poètes de guerre » a pu évoquer au cours de l'histoire des poètes, engagés dans des unités de combat ou non, dont l'œuvre a été en partie consacrée à la guerre à laquelle ils prirent part, et ce, depuis l'Antiquité jusqu'à la guerre américaine du Vietnam en passant par la guerre de Sécession (Walt Whitman), la guerre de Crimée (ah, la Charge de la brigade légère de Tennyson...), la guerre des Boers (Rudyard Kipling, Thomas Hardy, Swinburne) la guerre civile espagnole (Garcia Lorca, Antonio Machado) et d'autres encore en Perse, en Albanie, en Irlande, en Russie, en Grèce (qui ne se souvient des vers de Lord Byron héroïque parmi les révolutionnaires luttant pour leur indépendance (1821-1830) ?).
jiku
Cimetière de Verdun
Mais en France, malgré Apollinaire, Péguy, Cendrars, il n'y a guère de traces d'une fratrie de poètes sous les drapeaux qui ait durablement marqué les esprits ou même l'histoire littéraire en tant que groupe

. Alors qu'en face, en Angleterre, les War Poets qui se sont illustrés durant la Première Guerre mondiale, ont reçu de longue date et ès qualités leurs lettres de noblesse. Il existe même une « War Poets Association » qui organise régulièrement des manifestations, tient à jour un site et édite la War Poetry Review.

Les Carnets de Siefried (« Benediction » est le titre original), un film de Terence Davies sorti en France le 6 mars, leur rend hommage même s'il s'attache avant tout à la personnalité de Siegfried Sassoon (1886-1967) et à celle de son ami Wilfred Owen, se contentant d'évoquer au passage ou de citer Robert Graves (ses souvenirs publiés sous le titre Adieu à tout cela livre exceptionnel sur la Première Guerre mondiale), Ivor Gurney, Rupert Brooke, Isaac Rosenberg, Richard Aldington notamment. Mais nul doute que dans la mémoire des Britanniques, ils soient tous collectivement identifiés comme des War Poets. Ou plus précisément, comme on peut le lire sur l'affiche du film : « combattant, pacifiste, poète », dans cet ordre.

zsrt
juyh
Siegfried Sassoon
Officier au sein du Royal Welsh Fusiliers, ébranlé par les horreurs qu'il avait vécues auprès de ses amis les plus proches « déchiquetés » lors de la bataille de la Somme (juillet 1916) et de la bataille d'Arras (avril 1917), objecteur de conscience ostracisé par sa hiérarchie militaire en raison de ses pamphlets pacifistes, Siegfried Sassoon fut reconnu pour son génie poétique grâce à cette soudaine notoriété politique.

Aux antipodes d'un Kipling, son œuvre fit la guerre à la guerre. Descendant d'une illustre et richissime famille juive venue d'Irak, homosexuel affiché, il se laissa peu à peu happer par la spirale de la mondanité littéraire et artistique. Auréolé de son comportement héroïque au combat, ce qui lui avait valu la Military Cross, son défi publiquement lancé à l'autorité militaire qu'il accusait de prolonger la guerre délibérément, provoqua un scandale amplifié par la presse et des débats au Parlement.

Plutôt que de le traduire en cour martiale, l'Armée préféra finalement le faire interner à l'hôpital militaire de Craiglockhart, près d'Edimbourg, mettant sa colère sur le compte d'un stress post-traumatique. Cette vaine tentative de le réduire au silence ne fit que stimuler sa rébellion animée par une profonde quête de rédemption. Après quelques mois passés dans la Palestine du mandat britannique, le capitaine Sassoon fut blessé à la tête à Saint-Venant (Pas-de-Calais) à l'automne 1917.

Le film est mis en scène avec cette BBC's touch qui est la marque de la qualité anglaise. Mais aussi brillants soient-ils, les dialogues souffrent de la comparaison avec ce que l'on entend en voix off tout au long du récit : des poèmes de Siegfried Sassoon. Des vers d'une beauté dont la puissance et la violence ne sont en rien datées. Leur résonance avec les guerres d'aujourd'hui est frappante, et pour cause. Puissent les poètes dissuader les hommes de céder à la séduction funeste de ce fléau.