Traduit par Lawrence Desforges

Duterte
© Manman Dejeto / AFP Philippine President Rodrigo Duterte.
Alors que les Philippines entament sous la direction du nouveau Président Rodrigo Duterte un pivot qui les éloignent des USA, ceux-ci intensifient leur campagne médiatique dépeignant fallacieusement sa politique de lutte contre la drogue dans le but de l'affubler tout aussi trompeusement de l'image d'un « dictateur ». Cela ressemble à la mise en place d'un scénario de guerre hybride ayant pour objectif le renversement du gouvernement de Duterte, et qui comme en Syrie pourrait impliquer l'emploi de terroristes « djihadistes ».

Rodrigo Duterte s'était engagé à mener une Guerre contre les Drogues et à rendre aux Philippines leur fierté si son peuple l'élisait Président, et moins de trois mois après avoir pris ses fonctions il réalise déjà des progrès impressionnants sur ces deux fronts interconnectés. Plus de 70 000 toxicomanes et dealers se sont rendus aux autorités, et autour de 3 000 d'entre eux ont été tués du fait d'avoir résisté et mis en danger la vie des officiers de police venus les arrêter.

Ce n'est donc évidemment pas pour rien que Duterte a acquis le surnom de « The Punisher » [le « Punisseur », NdT] au cours de ses deux décennies de service en tant que Maire de la ville de Davao, période pendant laquelle il transforma la ville qui était l'un des lieux les plus dangereux d'Asie et qui en est aujourd'hui l'un des plus sûrs.

Sur le registre de la politique étrangère, Duterte a résisté aux USA sous les applaudissements mondiaux, traitant Obama de « fils de chienne » et l'Ambassadeur US de « fils de pute pédé« .

En outre, son Ministre des Affaires Étrangères a puissamment rappelé aux USA que les Philippines ne sont pas le « petit frère brun » des États-Unis, dans une émouvante déclaration évocatrice de l'anti-impérialisme de la Guerre Froide.

D'eux-mêmes et en eux-mêmes, ces mots n'auraient guère d'importance pour les USA et pourraient facilement être ignorés tant que l'hégémonie de Washington était laissée intacte. Cependant, le fait est que Duterte accompagne ses paroles d'actes concrets, et oriente rapidement les Philippines hors de la mainmise unipolaire des USA vers les bras ouverts et accueillants du monde multipolaire.

En l'espace d'une seule semaine le gouvernement de Duterte a courageusement annoncé sa volonté que les USA retirent leurs Forces Spéciales de l'île méridionale de Mindanao, que les Philippines n'allaient plus conduire de patrouilles conjointes avec les USA dans la Mer de Chine Méridionale, et que Manille tourne désormais les yeux vers Beijing et vers Moscou pour l'acquisition future de ses équipements militaires.

Pendant tout ce temps-là, les Philippines ont « officiellement » rassuré les USA qu'ils n'étaient pas en train de « rompre leurs liens » et que les autorités allaient respecter l'accord de l'EDCA [Enhanced Defense Cooperation Agreement, Accord de Coopération de Défense Renforcée, NdT], qui avait été signé par le prédécesseur de Duterte.

Ce que désire vraiment le pays est un « changement de paradigme » dans ses relations avec Washington. En fait les Philippines s'éloignent des USA à un rythme encore plus rapide que je l'avais anticipé dans un article antérieur pour The Duran en mai dernier, et le soi-disant « Pivot vers l'Asie » des USA s'en trouve gravement menacé.

Pour leur part, les USA ont avancé dans leurs plans de Guerre Hybride contre les Philippines, initiant une sale guerre de l'information qui cherche à dépeindre Duterte comme un dictateur à cause de la manière dont son pays résiste aux narco-terroristes.

J'ai parlé de tout cela dans une récente édition de mon émission de radio Context Countdown qui a été retranscrite en véritable article par GPolit.

Seulement l'autre jour un prétendu « informateur » a même allégué que le Président avait ordonné et pris part en personne à des assassinats pendant l'époque où il était Maire. Cet individu a depuis été dévoilé comme fraude mais l'intention est évidente - les USA cherchent par tous les moyens à salir Duterte, en tant que « dictateur renégat du Tiers-Monde », comme première étape de conditionnement du public à l'idée de son éviction soutenue par les USA, par n'importe quel moyen.

Toutefois, le « problème » est que Duterte est immensément populaire au sein de son propre pays, et a pu afficher avec fierté un taux d'approbation stratosphérique de 91% dans le dernier sondage national conduit en juillet - dépassant même le Président Vladimir Poutine pour devenir le dirigeant le mieux et le plus aimé de son peuple.

De toute évidence, les USA ne vont pas réussir à provoquer une Révolution de Couleur aux Philippines.

Cependant, les USA n'ont jamais laissé la « démocratie » et le « choix populaire » empêcher leurs changements de régime jusqu'ici, et par conséquent ils dépassent actuellement le seuil de la simple Révolution de Couleur pour atteindre celui de la Guerre Non-Conventionnelle.

Le groupe terroriste affilié à Da'esh Abou Sayyaf s'est livré à un attentat à petite échelle dans la ville de Davao au même moment où Duterte y effectuait une visite, avec l'intention évidente de lui envoyer le message qu'il figure sur leur liste de cibles. Cet acte audacieux poussa le Président à déclarer un état d'urgence pour permettre aux militaires de travailler plus étroitement avec les organes locaux des forces de l'ordre afin de protéger le pays du terrorisme.

Cela l'amena également à déclarer, avec sa gouaille habituelle, qu'il allait les « manger tout crus ».

À ce stade, il faut relever que des rumeurs persistantes existent de liens entre les services militaires et de renseignements US et Abou Sayyaf, des rapports ayant commencé à émerger au début du millénaire.

L'expérience de Duterte, dans la gouvernance de la plus grande ville de l'île infestée de violence et riche en minéraux de Mindanao, a pu l'exposer à des informations confidentielles qui sont venues confirmer ces allégations, ce qui expliquerait pourquoi il a accusé avec tant d'aplomb les USA d'avoir « exporté le terrorisme » au Moyen-Orient, et pourquoi il veut que les forces armées US quittent incessamment les régions du Sud infestées par Abou Sayyaf.

Les craintes de Duterte au sujet d'une explosion du terrorisme dans cette zone périphérique au pays ne sont pas sans fondement. Un expert des Philippines a parlé, au cours du forum sur la sécurité du Dialogue de Shangri-La à Singapour en 2015, des dangers de l'initiation par Da'esh d'une crise régionale par la formation d'un califat franchisé dans l'Arc de Mindanao-Sulawesi.

J'ai élaboré sur ce scénario dans mes « prévisions de tendances pour 2016 » [2016 Trends Forecast] pour le site de The Saker à la fin de l'année dernière, dans une évaluation des vulnérabilités face aux Guerres Hybrides détaillée que j'ai écrite pour Oriental Review cet été, et dans l'un des derniers épisodes de Context Countdown dans lequel j'ai expliqué qu'il existe un risque réel que les Philippines, la Malaisie et l'Indonésie puissent être attirées dans un complexe conflit maritime et terrestre si les terroristes ne sont pas éradiqués assez rapidement.

C'est exactement le genre de scénario qu'espèrent engendrer les USA, projetant qu'il fournisse au Pentagone une « justification » « anti-terroriste » convenable pour donner un soubassement idéologique à son « Pivot vers l'Asie ».

En cherchant à rentabiliser au maximum cette éventualité, les médias grand public en Occident commencent déjà à tisser un récit séducteur au reste du monde, insinuant que toute montée future du terrorisme pourrait être attribuée à des « démocrates désespérés » luttant contre un « dictateur irrécupérable ». Ainsi, les terroristes salafistes sont dépeints comme des « combattants de la liberté » contre Duterte tout comme ils l'avaient été contre le Président Bachar al-Assad en Syrie, en 2011.

À l'intérieur des Philippines elles-mêmes, la guerre de l'information en vue d'une Révolution de Couleur a échoué. Mais la raison pour laquelle elle est encore vicieusement menée dans les médias mondiaux est de convaincre l'audience publique internationale que la Guerre contre les Drogues « despotique » de Duterte engendre une résistance « démocratique » armée, « légitimant » ainsi l'usage de la terreur et leurrant délibérément l'audience étrangère ciblée vers un soutien à la Guerre Hybride en préparation.

Les USA déchaînent Abou Sayyaf comme punition contre « The Punisher« , mais une Guerre de Terreur menée contre les Philippines ne suffira pas à défaire Duterte, s'il continue à conserver le soutien de son peuple exactement comme le Président Assad a pu le faire en Syrie.

En dépit de l'échec abyssal de la campagne US de changement de régime en Syrie, la zizanie et la destruction qu'elle a déclenchées pourraient, cyniquement, expliquer pourquoi certains stratèges endoctrinés par Brzezinski flirtent avec l'idée de l'importer aux Philippines.

Tout comme avec le « terrorisme exporté » par les USA au Moyen-Orient ils pourraient chercher à faire la même chose en Asie du Sud-Est, et c'est pourquoi Duterte doit être prêt à briser ce schéma et à défendre son pays de l'assaut qui s'annonce tant qu'il en a encore le temps.

À l'heure actuelle les patrouilles anti-piraterie conjointes des Philippines, de la Malaisie et de l'Indonésie sont un premier pas ferme pour empêcher la maturation de l'Arc de Mindanao-Sulawesi en brûlant terreau transnational de terreur, tel qu'il fut présenté pour la première fois au cours du Dialogue Shangri-La en 2015. Cette initiative multilatérale sert aussi le double objectif de protection contre les infiltrations terroristes transfrontalières, dans l'une des zones d'Asie jusqu'ici les plus vides de présence policière.

Le tout récent état d'urgence est aussi un geste qui aide à augmenter les capacités de Duterte pour combattre cette menace.

Enfin, il est inévitable que la prochaine étape doive être à terme l'expulsion de l'ensemble des forces militaires US des Philippines et la révocation de l'EDCA pour toute raison plausiblement réaliste - comme par exemple le comportement singulièrement excessif du personnel militaire US, ou un autre scandale de ce genre.

Les USA ont vu l'écriture sur le mur et redoutent sa réalisation plus tôt que plus tard. D'où les quantités de boue jetées sur Duterte par les médias grand public. Cependant, leurs auteurs ne s'aperçoivent pas que c'est précisément cette activité de Guerre Hybride qui accélère incidemment le scénario qu'il essayent si désespérément d'éviter.