Vision post apocalyptique
© Inconnu

Un chercheur affirme que les États-Unis et l'Europe traversent une étape similaire à celle précédant la chute de tous les grands empires, et qu'il est possible de prévoir ce qui va se passer.

Déclin économique, révolte sociale, violence politique... Pouvait-on voir venir cette crise grâce à des calculs mathématiques ? Oui, affirme Peter Turchin, professeur au département d'écologie et de biologie de l'évolution à l'université du Connecticut, aux États-Unis. Ce chercheur est un adepte de la « cliodynamique », une méthode scientifique qui permettrait d'anticiper ce genre d'événements. D'après lui, tous les grands conflits politiques et sociaux suivent un même schéma à travers l'histoire : une série de cycles échelonnés sur trois siècles. Les États-Unis sont actuellement à un point d'étape, affirme P. Turchin, et risquent de s'effondrer si rien n'est fait pour changer de cap.

La spécificité de sa méthode est d'être entièrement chiffrée. Contrairement aux chercheurs en sciences humaines - attachant de l'importance aux acteurs d'une époque, au ressenti des populations... - lui focalise sur les données économiques, sociales et surtout calculables d'un système politique. Il a ainsi créé un modèle mathématique qui rendrait compte de l'histoire de trois empires : la Rome antique, l'Europe médiévale et la Russie tsariste. Ce schéma s'appliquerait également au monde contemporain et pour le prouver, il suffit de faire des prédictions et de voir si elles se réalisent. Depuis 2010, P. Turchin publie donc des articles où il annonce ce qui devrait arriver d'ici à 2020.

Surproduction d'élites


Dans les grandes lignes, le modèle est le suivant : toute société est constituée d'une majorité d'employés et d'une petite minorité d'employeurs - ou équivalent, selon les époques. Lorsque la population augmente, ce qui est sa tendance naturelle, il y a de moins en moins d'emplois par personne. Du coup, les salaires baissent, mais pas la richesse produite, puisque la quantité de travail fourni reste égale ou supérieure à ce qu'elle était. Les employeurs s'enrichissent, donc, tandis que les employés s'appauvrissent ; les inégalités se creusent. C'est ce qui explique, par exemple, que les salaires moyens ont stagné aux États-Unis depuis 1970, alors que le produit intérieur brut n'a cessé d'augmenter.

Cet enrichissement global permet néanmoins à une partie des travailleurs de se joindre au plus riches, grâce notamment au développement des systèmes d'éducation, d'enseignement et de formation. Le problème, c'est qu'il y a alors une « surproduction d'élites » : trop de personnes sont formées pour prendre des responsabilités de premier plan, compte tenu des rares places disponibles. Là encore, les chiffres de l'économie américaine confirment. Le résultat, poursuit P. Turchin, c'est que la concurrence devient féroce, chacun jouant des coudes et usant de tous les moyens possibles pour l'emporter. C'est par exemple ce qui s'est passé avec la récente crise américaine du shutdown : une minorité politique au Congrès a bloqué le vote du budget pour une raison qui n'avait rien à voir avec les comptes publics, obligeant provisoirement le gouvernement à cesser de rémunérer son administration.

Violence politique

C'est, selon P. Turchin, un nouveau signe que la lutte pour la survie au sein de l'élite a commencé : il y a certes des différences idéologiques entre les partis politiques, mais l'absence totale de volonté de compromis chez les conservateurs montre que la société est entrée dans le cycle de violence précédant la chute de tous les grands empires, d'autant que cette lutte se retrouve dans bien d'autres domaines. Si rien n'est fait pour lutter contre les inégalités, conclut P. Turchin, l'État perdra peu à peu le contrôle de la population et l'anarchie s'installera, jusqu'à ce qu'une faction victorieuse reprenne le pouvoir et se constitue en une nouvelle élite. Puis le cycle recommencera. Ce modèle cliodynamique ne dit cependant pas s'il est possible de sortir de l'engrenage ou si, comme le dirait Jean Cocteau, les politiques ne peuvent que feindre d'être les organisateurs d'événements qui les dépassent.

Peter Turchin, « A structural-demografic analysis of american history », 30 août 2013. http://cliodynamics.info/PDF/SDAAS_Sep17.pdf