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Ira-t-on vers une surenchère dans la censure, après l'interdiction du spectacle de Dieudonné ? Alors que le Conseil d'Etat a rendu une décision qui rend perplexe, et qui promet de mettre le feu aux poudres, l'humoriste se retourne déjà vers Internet. Et déjà, les demandes d'étendre la censure de Dieudonné à Internet commencent.

C'est une décision qui rend au minimum perplexes nombre de juristes, tant par la procédure d'une extraordinaire rapidité que par les arguments retenus par le magistrat. "Au regard du spectacle prévu, tel qu'il a été annoncé et programmé, les allégations selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la cohésion nationale relevés lors des séances tenues à Paris ne seraient pas repris à Nantes ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition républicaine", écrit le Conseil d'Etat dans sa décision d'interdire le spectacle de Dieudonné à Nantes, ce jeudi 9 janvier.

Alors que la justice dispose des moyens de condamner a posteriori les propos illicites tenus lors d'une réunion publique, elle choisit d'ouvrir la boîte de Pandore d'une condamnation a priori, par principe de précaution. C'est un précédent très dangereux pour la liberté d'expression, mais aussi et plus concrètement très dangereux pour la paix civile. Paradoxalement, la décision fondée sur la sauvegarde de l'ordre public est celle qui promet de mettre le feu à l'ordre public.

Il ne fait aucun doute que Dieudonné et ceux qui le suivent sauront retourner à leur avantage la censure du spectacle, coup dur financier pour l'artiste, mais coup de pouce inespéré au discours "antisystème", "antisioniste" ou "antisémite" (chacun choisira) qu'il porte. C'est un bidon d'essence versé sur des charbons ardents, et il n'a pas fallu attendre longtemps pour le vérifier.

Dès jeudi soir, Dieudonné a publié sur son compte Facebook un message qui, tout en appelant ses spectateurs au calme, accuse la partialité du juge en pointant du doigt ses racines familiales. En quelques minutes, ce sont des milliers de mentions "j'aime" qui ont approuvé le message.

L'humoriste, de plus en plus sérieux, a annoncé qu'il publierait une vidéo ce vendredi sur son compte YouTube. Et il est à craindre qu'elle ne participe à nouveau à alimenter l'incendie qui promet d'embraser les communautés. Censuré depuis de nombreuses années par les télévisions et les radios, désormais censuré pour ses spectacles donnés en ville, Dieudonné n'a plus qu'un seul espace de liberté pour s'exprimer, Internet. Et il sait, d'expérience, que plus il ira loin dans la provocation, plus il gagnera en popularité sur ce dernier espace à sa disposition. N'ayant plus rien à perdre, il radicalisera plus encore son discours.

C'est une spirale qui entraînera nécessairement, et peut-être plus rapidement qu'on ne l'imagine, vers des appels à censurer le web. Dès jeudi soir, sur iTélé, l'ancienne ministre aux Droits de l'Homme, Rama Yade, s'inquiétait de voir se propager sur Internet des "théories du complot" expliquant la censure de Dieudonné, et prévenait que "le combat ne fait que commencer" pour le faire taire. "Quid des gens qui regardent les vidéos de Dieudonné sur Internet ?", a-t-elle demandé.

Elle a été confortée par Bernard Henri Lévy :
Yoann Ferret @yoannferret

BHL a son couplet sur Internet et veut que les vidéos soient purement et simplement supprimées du net, même chez hébergeurs hors de France

8:49 PM - 9 Janv 2014
Le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, a également évoqué Internet, jusque dans les arguments pour obtenir la censure du spectacle.

L'occasion est inouïe pour le Gouvernement d'obtenir la censure du web par l'auto-régulation forcée, en demandant que les règles du CSA contre les quenelles et autres expressions jugées impropres soient appliquées par tous les diffuseurs de vidéos, YouTube en tête.

Il est certain que les appels à bloquer le compte YouTube de Dieudonné, à fermer ses réseaux sociaux et à le réduire définitivement au silence médiatique se multiplient, le contraignant à se réfugier vers des plateformes moins susceptibles de céder aux demandes de l'Etat ou de la justice française. Ce sera alors la surenchère sur les moyens de filtrer ces plateformes et d'empêcher que les internautes puissent y avoir accès.