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Après le vote du dimanche 16 mars en Crimée, une détérioration à long terme des relations entre l'Europe et la Russie semble inéluctable. Pour protester, les Européens brandissent la menace de sanctions économiques. Cependant, en matière d'utilisation de l'arme économique, les Russes ne sont pas des novices. Ils ont déjà démontré leur capacité à faire céder d'autres Etats, à commencer par l'Ukraine, en fermant le robinet du gaz.

Création de Poutine, Gazprom, la grande compagnie gazière nationale, a déjà joué un rôle majeur pour faire plier l'Ukraine en augmentant les tarifs et en réduisant l'approvisionnement. Si en 2005 et en 2009, Kiev a rendu les armes en quelques jours, la situation n'est pas la même aujourd'hui car c'est bientôt le printemps ! Les températures remontant, la question de l'énergie n'est pas aussi pressante que lorsque l'approvisionnement cesse en plein mois de janvier.

L'Europe de l'Ouest ne semble pas non plus s'inquiéter d'un arrêt des livraisons de gaz. Malgré la dépendance de l'Allemagne au gaz russe (43% de sa consommation), le ton de fermeté à l'égard de Moscou adopté par Angela Merkel, la chancelière allemande, est révélateur. Il s'agit en effet d'un jeu perdant-perdant. Si la Russie coupe le gaz, elle se prive elle-même d'une de ses principales sources de revenus. En parallèle, les conséquences du bras de fer en Crimée commencent déjà à sévèrement affecter l'économie russe qui « montre clairement des signes de crise », vient de reconnaître le ministre adjoint de l'Economie Sergueï Beliakov.

La fin de la dépendance européenne ?

Cette hausse des tensions entre l'Ouest et l'Est a au moins le mérite de rappeler que l'énergie n'est pas un bien de consommation comme un autre : elle est fondamentale. A ce titre, la France a fait le choix de diversifier ses sources d'approvisionnement en gaz (Norvège, Pays-Bas, Russie, Algérie...), échaudée par les précédents conflits gaziers entre l'Ukraine et la Russie. La prise de conscience est également européenne. Bruxelles a ainsi suspendu les négociations avec Moscou en vue de construire le gazoduc South Stream, censé alimenter une grande partie du continent.

Gazprom est elle-même dans une situation périlleuse. Certes, la compagnie russe gagne du terrain en Europe (parts de marché, acquisitions d'infrastructures), mais le gaz naturel est en pleine crise sur le vieux continent : les centrales sont en train de fermer les unes après les autres. De plus, des alternatives se développent. A moyen terme, le GNL (gaz naturel liquéfié) et les gaz de schiste (que les majors américaines aimeraient exporter vers le marché européen) pourraient contrebalancer un défaut de gaz russe. Surtout, à plus longue échéance, le risque de la dépendance constitue un bon argument en faveur du biogaz et de l'hydrogène.

Redoutée, la coupure du robinet de gaz russe pourrait finalement provoquer un retour de flamme pour Moscou. Cette menace est en effet peu efficace à court terme à cause du redoux. En outre, le simple fait que la Russie laisse planer le doute sur d'éventuelles coupures contribue à déstabiliser son économie, très dépendante des exportations d'énergie. La prise de conscience de la vulnérabilité de l'Europe devrait enfin accélérer le soutien aux solutions alternatives, susceptibles de réduire la dépendance au gaz russe.