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Les chiffres officiels publiés par Pékin sont globalement gobés sans trop de difficultés. Il existe cependant et heureusement quelques observateurs avertis comme Pierre Sabatier ou Olivier Delamarche. C'est un coup de gueule de ce dernier sur BFM Business (cela ne lui arrive pourtant jamais de perdre son calme) qui m'a incité à me documenter sur le sujet.

Electricité

Fin mai 2012, les associés fondateurs du cabinet PrimeView publiaient un essai s'intitulant La Chine, une bombe à retardement. Ils y soulignaient la manipulation par Pékin des PIB communiqués, sachant que les chiffres n'ont pas toujours été modifiés à la hausse : « en 2006 et 2007, par exemple, la progression du PIB de l'Empire du Milieu a été sous-estimée. Le compteur officiel affichait un niveau de 10 ou 11% alors qu'en réalité, la croissance atteignait sans doute 15%, un chiffre extraordinairement élevé. »

Depuis la crise des subprimes cependant, les chiffres ont été trafiqués à la baisse. De nombreux indicateurs permettent d'appréhender l'écart entre les annonces officielles chinoises et la réalité économique. En premier lieu, comparons l'augmentation annuelle de la consommation d'électricité (source : CEC, Conseil de l'Electricité de Chine) avec la croissance économique :



Croissance de la consommation d'électricité Croissance économique
2011 11,7 % 9,2 %
2012 5,6 % 7,8 %
2013 7,5 % 7,7 %


Le CEC anticipe une baisse de la consommation en 2014. Sachant que les trois quarts de l'électricité sont consommés par l'industrie et que l'électricité ne se stocke pas, il y a eu en 2011 et 2012 des écarts trop importants par rapport à la croissance du pays. Peut-être que les organismes officiels, prenant acte des soupçons émis sur ces écarts, ont décidé d'aligner les chiffres de production d'électricité et de croissance en 2013.

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Consommation électrique en Chine par secteur 2012-2013
Matières premières, rentabilité, bourse

Les prix des matières premières constituent un autre indicateur du différentiel entre croissance officielle et croissance réelle : « en 2012, le prix du zinc et de l'acier ont baissé. Or c'est clairement la Chine qui fait la tendance sur ces deux marchés puisqu'elle représente à elle seule 40% de la demande mondiale ».

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Acier
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Zinc
L'effondrement des marges d'entreprises ne milite pas non plus pour une croissance aussi élevée. Foxconn, le fameux sous-traitant informatique d'Apple, a vu ses profits passer de 8% à 2%, tandis que le fabriquant de panneaux solaires Suntech a encaissé de lourdes pertes. La descente quasi-continue de l'indice composte de Shanghai depuis 2009 complète une liste d'indicateurs économique défavorables.

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Keynésianisme à outrance

En plus des indicateurs précédents, les investissements massifs de l'Etat chinois se conjuguent à une consommation des ménages qui ne prend pas le relais. Concrètement, cette tendance structurelle engendre une surproduction que l'on peut constater dans deux secteurs en particulier : l'immobilier et l'énergie.

Des villes entières ont été construites sans qu'il y ait un réel besoin. Le cas d'Ordos, cette ville fantôme peuplée d'habitations désertes, a fait le tour du monde, mais il n'est pas isolé. Hu Xingdou, professeur d'économie à l'Institut technologique de Pékin, évoquait dans les colonnes du Figaro en octobre dernier la destruction massive d'immeubles dans le seul et unique but de reconstruire et contribuer ainsi à une « culture de la croissance du PIB ».

Sur le plan énergétique, la Chine a pour ambition de doubler d'ici à 2030 ses capacités de production d'électricité. Cela représente des investissements à hauteur de 3000 milliards d'euros sur les deux prochaines décennies. Les énergies renouvelables contribueront à la moitié des capacités. Sur ce segment, la Chine dépasse d'ailleurs largement déjà les Etats-Unis. Même si la démographie justifie officiellement ce boom, celui-ci devrait logiquement s'accompagner d'une augmentation de la demande intérieure.

Or, la relative stagnation de la demande se constate à plusieurs niveaux. A nouveau dans la consommation électrique des ménages (cf. graphique Fig 1. Power Consumption structure 2012 & 2013 plus haut), ces derniers étant déjà équipés de l'électroménager de base. De plus, le niveau des prix de l'immobilier neuf explose depuis début 2013 avec un taux supérieur à 8% tandis que l'inflation oscille entre 2 et 3% annuellement. Ces éléments compensent l'augmentation de 10% du salaire moyen entre 2012 et 2013. On voit concrètement l'effet dans les volumes de transactions immobilières qui ont baissé de 26% en ce début d'année par rapport à 2013.

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Investissements des pays du G20 en énergies vertes 2013
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Index des prix à la construction d’une année sur l’autre
Le chômage le plus constant jamais vu

Un autre indicateur ressemblant comme deux gouttes d'eau à un pipo national est celui du chômage. Avez-vous déjà vu dans un pays, quel qu'il soit, un taux chômage à l'allure d'électrocardiogramme plat ou presque ? Observez plutôt :

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La crise des subprimes n'a engendré qu'une hausse de 0,3% du taux de chômage ! Superman n'a qu'à retourner d'où il vient, il fait pâle figure à côté des autorités économiques chinoises.

Fléchissement du commerce extérieur

Plus récemment, nous avons eu la grande surprise de constater une baisse officielle surprise des chiffres du commerce extérieur chinois, de pas moins de 18,1% au mois de février après un recul de 6,6% en mars sur un an glissant. Les importations ont quant à elles reculé de 11,3% en mars. Les chiffres du commerce extérieurs étant plus difficilement manipulables du fait qu'il y a la contrepartie de celui qui envoie ou reçoit, cette chute reflète peut-être partiellement l'écart pouvant exister entre les chiffres officiels de la croissance et la réalité.

Les risques pour l'économie mondiale

Après l'examen de ces données, il paraît bien difficile de croire les agences officielles chinoises. La croissance réelle se situe donc bien en-deçà de 7,4%. A quel niveau exactement ? Difficile de se prononcer vu l'opacité régnant à l'intérieur de la muraille de Chine. Etant donné que la confiance des investisseurs repose aujourd'hui grandement sur la croissance chinoise d'une part, sur le gaz de schiste américain d'autre part, quelles pourraient être les conséquences d'un retour à la réalité des chiffres ?

Il convient d'avoir à l'esprit que la Chine possède des réserves de change considérables, elles se sont envolées récemment à près de 4000 milliards de dollars. Cela n'est d'ailleurs pas du goût des américains qui en veulent déjà pas mal à la Chine d'avoir un Yuan sous-évalué. Avec une telle somme, il y a de quoi amortir un choc considérable. Une plus grande transparence ne nuirait donc pas forcément à la Chine. Elle se prépare d'ailleurs à mettre en œuvre des mesures libérales - sûrement parce que le keynésianisme à outrance atteint ses limites en termes d'inégalités - qui tôt ou tard feront voler en éclat l'opacité ambiante.

La Chine a les moyens de faire face à une prochaine crise, ce qui n'est pas le cas des pays développés surendettés. Poussons un peu plus loin le raisonnement. L'absence de transparence chinoise fait peut-être partie de sa stratégie, car elle est bien consciente d'être le moteur principal de la croissance mondiale. Vu la fragilité des pays développés, elle ne peut afficher ses taux de croissance réels au risque de mettre complètement à genoux ces derniers. Or, elle a tout de même besoin d'eux un minimum pour acheter les produits qu'elle fabrique. Elle attend donc probablement qu'il y ait suffisamment de reprise pour mettre en place des réformes plus libérales et pouvoir afficher de manière plus transparente les chiffres de son économie.