Traduit par Daniel pour vineyardsaker.fr

Je sais : Israël bombarde des civils à Gaza, Kiev bombarde des civils dans l'Est de l'Ukraine, le Calife sème la pagaille au Moyen-Orient, l'Empire du Chaos joue au fripon. Mais permettez-moi d'abord de me vider le cœur. J'attendais le moment propice pour publier cette photo.


Ce moment est arrivé. Voici donc le paradis tropical classique, comme à Santo Andre, à Bahia, près du lieu où les Portugais ont « découvert » le Brésil en 1500. Le camp d'entraînement de la Mannschaft est juste derrière ces arbres sur la gauche. J'y étais au coup d'envoi de la Coupe du monde. Anna Mariani possède une superbe maison de plage juste à côté et m'y a accueilli chaleureusement.
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Le camp d'entraînement allemand - un condo jouxtant l'océan - était à l'écart et parfaitement adapté. Ce qui n'a pas empêché les joueurs d'échanger avec les habitants du petit village voisin, de visiter une école du coin, de fraterniser avec les indiens Pataxo et de faire des promenades matinales sur la plage. Ils se sont entraînés très, très fort, avec discipline, détermination et éthique professionnelle, tout en savourant chaque minute de leur coin de paradis et en adoptant les rituels de la culture brésilienne. C'est ici que le désormais (tristement) célèbre taillage en pièces du Brésil 7 à 1 s'est préparé.

Pendant ce temps, l'équipe nationale brésilienne était en plein psychodrame larmoyant tenant en haleine 200 millions de personnes. Une telenovela pitoyable sans vaillance ni discipline ; que du bling bling (regardez ma nouvelle coupe de cheveux!) accompagné de suffisance et d'arrogance. De toute façon, la victoire les attendait, car après tout, comme le veut le mythe national numéro un : « Dieu est Brésilien ».

Allons-y maintenant d'une parabole sur la mondialisation. Bien avant la Coupe du monde, le Brésil - naguère une superpuissance du football - en a été réduit, par vagues concentriques de mauvaise gestion, à un rôle mineur d'exportateur de matières premières (comme des joueurs talentueux). Il n'a jamais été question d'investir dans l'avenir. Tout ce qui comptait, c'était la vente de droits de télévision alléchants privilégiant une clique médiatique. Quant à l'Allemagne, après sa défaite de 2002 à la Coupe du monde (contre le Brésil), elle a investi dans un vaste réseau d'écoles de football, dans le cadre d'un système national d'encouragement du talent, en formant les joueurs tout en préparant les entraîneurs en conséquence.

Trois heures avant le coup d'envoi de l'humiliation du 7 à 1, on m'a demandé, chez mon barbier, de prédire l'issue du match. « Allemagne 4 à 0 », ai-je rétorqué. Tous étaient sans voix. En fait, j'ai pris l'avion de l'Asie, puis de l'Europe, pour suivre la Coupe du monde au Brésil comme si je couvrais une guerre. Ce dont je me doutais au départ s'est concrétisé dès que le dénouement du psychodrame a commencé.

Tout semblait indiquer que ce club, formé de jeunes millionnaires brésiliens instables psychologiquement, se dirigeait tout droit vers une implosion spectaculaire, qui s'est presque produite contre le Chili, puis la Colombie. C'est finalement arrivé en l'espace de six minutes seulement, quand l'Allemagne a marqué 4 buts, et que les Européens menaient déjà 5 à 0 à la 29e minute.

Surpris? Pas vraiment. Le Brésil a cessé de jouer au jogo bonito (ou jeu merveilleux) il y a des lustres, avec la superbe sélection de 1970, puis avec la meilleure sélection à n'avoir jamais rien gagné en 1982. Depuis les années 1990, le Brésil patrie du jogo bonito n'est qu'un autre mythe, un coup de marketing ingénieux (avec un coup de pouce de Nike). Quant aux Brésiliens, ils sont entrés dans la danse avec ardeur toutes ces années en drapant leurs illusions dans un nationalisme facile du genre « C'est nous les champions ».

Jusque-là, l'arrogance prévalait. Il a fallu que les Allemands reprennent le vrai jogo bonito à leur compte, avec leurs passes étincelantes, leurs finitions enlevantes et leur maîtrise du jeu en triangle digne des Bulls de Chicago dans leurs belles années.

L'équipe du Brésil s'est transformée en boule de nerf en premier lieu pour des raisons tactiques et techniques : cette équipe sans milieu de terrain jouait contre le meilleur milieu de terrain de la planète. Le blâme revient aux responsables de l'équipe, à la fédération de football brésilienne et à la « commission technique » qu'elle a nommée, formée de gens sans talent, arrogants et ignorants, le miroir parfait de l'arrogance et de l'ignorance des élites politiques et économiques brésiliennes, anciennes et nouvelles. La police du Brésil a beau avoir démantelé (fort ironiquement) un trafic de revente de billets dirigé par un membre de la FIFA, rien de moins qu'à Rio (Scotland Yard n'y arrive pas), un autre trafic lui a glissé entre les doigts, celui du sous-produit des tractations qui se font dans les couloirs sombres du football brésilien.

La commission technique, lors de sa conférence de presse post-traumatique, le jour même ou l'Argentine et les Pays-Bas ont joué comme des adultes pendant 120 minutes interminables sans pouvoir marquer (ça s'est réglé à la séance de tirs au but), me faisait penser au Pentagone déniant toute importance à Abou Ghraib : « Oh, c'était juste un accident de parcours. » Non, ce ne l'était pas. Les mauviettes brésiliennes aux commandes ne voulaient tout simplement pas admettre que l'effondrement était systémique.

Les répercussions politiques de cette raclée 7 à 1 seront sans fin. Elles dépassent largement le cadre de ces spectateurs bien nantis (blancs) qui peuvent se permettre d'acheter des billets de la FIFA tout en méprisant la présidente Dilma Rousseff pour ses dépenses de protection sociale. Elles auront sûrement quelque chose à voir avec le joli profit que la FIFA retire de ses propres festivités auprès de la population locale (4 milliards de dollars US, libres d'impôt) ainsi qu'avec la facture globale (rien de moins que 13,6 milliards de dollars US). Rien de comparable aux investissements pitoyables en éducation, dans les services publics, en « mobilité urbaine » et dans l'infrastructure encore déficiente - la corruption prévaut et tous les coups sont permis.

La plus grande humiliation dont on se souvienne dans le monde du sport à l'échelle internationale est directement liée au syndrome d'ignorance et d'arrogance (et à la suffisance) dont souffrent les élites brésiliennes. Parallèlement, on ne peut aspirer à devenir une « superpuissance » du BRICS lorsque la propre identité tourne autour d'un sport - le football - avili par des escrocs.

Les dieux du football ont fort heureusement annoncé la fin du psychodrame affectant 200 millions de personnes. J'éprouve vraiment de la tristesse pour les perdants, la très grande majorité de ces 200 millions de partisans, des travailleurs manuels honnêtes pour qui le football est un maigre exutoire à leur douleur et à leur lutte. On leur a monté un bateau et constamment menti.

Le Brésil pourrait encore jouir d'une réserve sans fin de pouvoir discret partout dans le monde, mais pour ce faire, il doit remédier à sa corruption et à son inefficacité. Si le football demeure le seul élément rassembleur de cette superpuissance en devenir, il vaudrait mieux réfléchir sérieusement, comprendre d'où vient l'humiliation, se débarrasser des parasites suffisants, faire preuve d'un peu d'humilité et travailler très fort. Tirez des leçons du modèle sportif allemand, qui n'a absolument rien à voir avec les plans d'austérité de l'UE, et vous regagnerez le paradis.