Récemment, un court article d'Oliver Burkeman est paru dans le Guardian. Il y réfléchit à la question du libre-arbitre dans le contexte de certaines études réalisées ces dernières années. Il existe des preuves nettes que nos choix ne sont pas aussi libres que ce que nous suggérerait notre expérience consciente. Nos états corporels - comme le fait d'avoir faim, d'être fatigué, ou d'avoir envie de sexe - peuvent affecter nos croyances fondamentales et nos processus de prise de décision, nous rendant alors beaucoup plus enclins à une pensée biaisée, surtout lorsque ces conditions sont en déséquilibre.

Food Addiction
© Poznyakov/Shutterstock Les aliments addictifs, comme le gluten, limitent nos choix et notre libre-arbitre par le biais d'effets neurochimiques qui nous font préférer certains types de comportements.

Burkeman déclare :
Il s'agit probablement de l'énigme la plus étrange de la philosophie : les êtres humains ont-ils réellement un libre-arbitre ? (Attention, spoiler : je ne résoudrai pas la question ici.) Assurément, nous avons l'impression que tel est bien le cas : au supermarché, lorsque je prends du cheddar, il m'appartient de changer subitement d'avis et de prendre à la place du wensleydale. Pourtant, cela semble violer les lois de la science : tout ce qui se produit, y compris dans notre cerveau, est dû à des événements antérieurs, eux-mêmes dus à d'autres événements antérieurs, et ainsi de suite jusqu'à l'aube de la nuit des temps. Il n'y pas de place pour les choix spontanés, qu'ils soient liés au fromage ou autre. Ce problème a de grandes implications : si nous n'avons pas de libre-arbitre, par exemple, cela signifie-t-il que l'on ne devrait pas punir les meurtriers ? Il fut donc troublant d'apprendre qu'une étude suggère que les croyances des gens sur le sujet changent lorsqu'ils sont fatigués, excités sexuellement ou lorsqu'ils ont envie d'uriner. Ces trois conditions, concluent les psychologues Roy Baumeister et Michael Ent, nous rendent moins susceptibles de croire à la réalité du libre-arbitre.
Il est bon de garder à l'esprit que le déterminisme dur et la vision du monde matérialiste comportent de grosses lacunes. Cela saute au visage du bon sens, comme le déclare le philosophe Thomas Nagel dans son livre Mind and Cosmos. Il semble pourtant que notre libre-arbitre soit quelque peu limité. De récentes études en sciences cognitives ont éclairci cette question et amélioré la compréhension du fonctionnement de notre esprit.

Notre esprit fonctionne à de multiples niveaux différents. Il y a l'esprit conscient (système 2) et l'esprit inconscient (système 1). Nous avons l'impression que tout ce dont nous sommes conscients est tout ce qui existe, pourtant la partie consciente n'est que le sommet de l'iceberg. La plupart des informations sont traitées bien en dessous du radar de notre conscience de soi. Le système 1 apporte des impressions, des impulsions et des émotions automatiques constantes, sans contrôle de notre conscience de soi. Cette pensée rapide est là pour jauger des situations et en faire le point.

Le système 2, c'est notre conscience de veille, il est lent et paresseux. Son travail consiste à chercher de nouvelles informations manquantes et prendre des décisions. La plupart du temps, il approuve sans évaluer et considère que les messages et les informations du système 1 vont de soi parce que ces processus mentaux contrôlés demandent un effort et utilisent davantage de ressources. Cette hiérarchie a évolué dans un environnement où la survie dépendait de décisions rapides ; Grok n'avait pas le temps d'évaluer rationnellement pourquoi ce lion crépu fonçait sur lui.

Ceci est facile à comprendre lorsqu'on observe le cerveau. Nous sommes dotés de zones communes à d'autres animaux, comme le système limbique et les noyaux gris centraux, qui traitent les émotions et modulent les systèmes avec différents processus neurochimiques. Ensuite nous avons la région du néocortex qui traite nos fonctions cognitives supérieures. Il y a donc ces différents systèmes complexes qui créent ou rendent possible la réalité psychologique des êtres humains.

L'article poursuit :
En un sens, c'est logique. Ressentir n'importe quelle envie physique désespérée - de dormir, de sexe, ou de faire pipi - c'est nous rappeler que nous sommes esclaves de nos corps, ce qui peut naturellement nous donner l'impression d'être moins libres. (Kingsley Amis, paraphrasant Platon, aurait décrit la libido masculine comme d'« être enchaîné à un idiot ».) En outre, il existe pléthore d'autres preuves de « cognition incarnée », l'idée que nos états corporels influencent notre façon de penser. Apparemment, on peut stimuler sa volonté en serrant le poing ; on donnera des réponses plus « pesantes » à des questions lorsque le porte-bloc sur lequel elles se trouvent paraît plus lourd. Baumeister et Ent ne sont même pas les premiers à explorer les effets psychologiques du besoin d'aller aux toilettes : selon une étude controversée, déjà citée ici, nous prenons moins de décisions impulsives lorsque nous ressentons une « plus grande urgence à uriner ». Selon la théorie, en exerçant un contrôle sur notre vessie, on contrôle également d'autres impulsions.
Une quantité importante de différents biais cognitifs sont présents dans notre vie quotidienne. Par exemple, dans le biais de normalité, les gens sous-estiment la survenue d'une situation catastrophique imminente en minimisant la gravité de l'événement et en prétendant que tout est toujours normal pour diminuer l'anxiété. Ceci amènera les gens à rester tranquillement assis dans un avion en flammes qui vient juste de s'écraser lors d'une tentative de décollage ou à rester chez eux alors même qu'ils ont été avertis de l'inévitable destruction qu'une tornade de force 5 est sur le point d'infliger à leur quartier. Cette nouvelle information soudaine surcharge la capacité à penser et fige les gens alors qu'ils devraient bouger. Les gens mentalement prêts à ce type de situations sont plus susceptibles d'éviter le biais de normalité et peuvent agir pendant le désastre. Ils ont donc davantage de libre-arbitre.

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© U.S Air ForceImaginez-vous assis dans un avion en flammes qui vient de s'écraser. Allez-vous rester sagement à votre place jusqu'à ce que quelqu'un « dépositaire de l'autorité » vous dise de partir ou vous précipiterez-vous de vous-même vers la sortie la plus proche aussi vite que possible ?
Consultez le livre de Timothy Wilson, Strangers To Ourselves, pour davantage d'informations relatives au domaine des sciences cognitives. Burkeman poursuit son article :
Il y a pourtant quelque chose de singulièrement déconcertant dans l'idée que nos croyances les plus fondamentales à propos de l'existence, telle que notre position vis-à-vis du libre-arbitre, puissent être aussi fragiles pour être balayées de la sorte. Les questions profondes - nos principes éthiques de bases, nos convictions politiques - sont censées émerger d'une réflexion paisible. Nous nous plaisons à penser que nous avons soupesé les preuves puis choisi notre position parce que celle-ci est juste. Mais Baumeister et Ent montrent que ce n'est pas le cas. Nos croyances se basent sur des fondations branlantes. Si vous êtes un chrétien britannique, né et élevé dans cette culture, n'est-il pas troublant de réaliser que si vous étiez né en Somalie, vous penseriez que c'est l'Islam, et non le christianisme, qui a raison ? Certains athées adorent cet argument, mais il peut aussi être utilisé contre l'athéisme. Au bout du compte, aucun de nous ne peut être sûr que nos vues ne sont pas fortement influencées par des facteurs aléatoires.
Notre environnement nous conditionne à certains types de comportements. L'étude de la psychologie des foules a montré que les êtres humains peuvent être manipulés par l'intermédiaire de leurs désirs inconscients. Il est plus facile de déceler de la propagande lorsqu'on ne fait pas partie du système en jeu ou qu'on n'y a pas d'investissement émotionnel. De nombreuses personnes suivent les autorités avec une mentalité infantile, projetant toutes les qualités positives qu'ils souhaitaient de leurs parents sur des individus pathologiques qui méritent le moins d'être suivis et aimés, tandis que toute pensée déplaisante est fourrée sous le tapis. Ce sont les facteurs qui nous rendent aussi crédules aux mensonges au lieu de la vérité.

L'article se termine par :
Cela pourrait ne pas importer si les croyances philosophiques n'avaient pas d'impact sur le monde réel. Mais elles en ont : les études montrent que si vous doutez du libre-arbitre, vous êtes plus enclins à tricher et moins à aider les personnes dans le besoin. Où cela s'arrête-t-il ? Si vous êtes fatigué ou d'humeur libidineuse le jour des élections, pourriez-vous voter différemment ? Parfois, la psychologie me terrorise. Ou peut-être que cette pensée aussi ne résulte que du fait d'avoir bu autant de café aujourd'hui. Je serai dans le coin si vous avez besoin de moi, figé par la confusion existentielle.
L'humanité se trouve sur une échelle d'évolution où au moins certains d'entre nous ont le choix d'étendre leurs connaissances, leur conscience et leur être. C'est ce que nous disent certains enseignements ésotériques. Nos choix individuels ou collectifs nous font gravir ou redescendre cette échelle. La vision du monde matérialiste domine la science depuis des siècles mais récemment cette idéologie a été contestée par plusieurs auteurs renommés. Si nous croyons qu'il n'y a pas de libre-arbitre, nous accepterons la vision psychopathique que l'univers n'est qu'une horloge mécanique et que nous ne sommes que des robots biologiques, tout comme les psychopathes.

Les personnes infantiles, endormies, ont très peu de libre-arbitre ; elles en ont juste assez pour maintenir leur propre illusion d'être libre. Elles répètent ce que les médias leur disent de penser. Mais toute personne qui souhaite développer son « libre-arbitre » doit acquérir la connaissance primordiale pour comprendre la conscience et l'intégralité du système vivant. Plus nous comprenons la réalité objective, plus nous disposons de possibilités de faire des choix informés qui nous seront bénéfiques et créeront pour nous un rôle utile au sein du système vivant. Ce n'est pas que nous manquons de libre-arbitre, il est simplement difficile de travailler pour dépasser toutes les influences biologiques, sociales et idéologiques émotionnellement biaisées qui nous affectent à tout moment. Nous pouvons changer notre esprit, nous avons simplement besoin d'en faire l'effort en nous informant avec autant de connaissances que possible.