Les économistes observant la dégradation rapide du rouble sur les marchés des changes, attribuent cette situation à des mouvements spéculatifs, de type incontrôlé, comme il s'en produit régulièrement dans des marchés globalisés. La Russie pourrait être tentée alors d'attendre quelques semaines pour que la situation se rétablisse.

banque centrale russe
Le fronton de la Banque centrale de Russie
Ainsi la baisse des prix du pétrole et du gaz orchestrée par l'Arabie saoudite, et soutenue en sous-mains par Washington, ne pourrait se poursuivre indéfiniment. Malgré ses réserves, l'Arabie finirait par se lasser. Quant à la baisse des prix du gaz, elle affecte durement les producteurs de gaz de schiste américains.

Mais attendre que la spéculation s'apaise serait méconnaître complètement les causes profondes de la crise dont souffre actuellement la Russie en général et plus directement son président Vladimir Poutine. Il s'agit en fait d'une offensive de type militaire, bien que ne faisant pas encore appel pour le moment aux forces armées. Elle émane des Etats-Unis. Comme nous l'avions (avec de nombreux autres chroniqueurs) fait remarquer précédemment, Washington veut faire tomber Poutine et provoquer un regime change, dont il a le secret, peut-être en suscitant des (révolutions oranges), dont il a également le secret. Ainsi disparaîtrait le seul concurrent sérieux de l'Empire américain, concurrent dont le grand tort, rappelons le, est de disposer de l'arme nucléaire et d'une armée en voie de rajeunissement.

L'offensive, menée depuis déjà plusieurs mois, vise d'abord à provoquer une baisse des prix de vente du gaz, entrainant une dégradation de la balance commerciale russe, comme rappelé ci-dessus. Mais elle a pris depuis quelques mois, comme nul n'en ignore, la forme des sanctions imposées par l'Amérique à la Russie (comme d'ailleurs à ses partenaires commerciaux, au premier rang desquels se trouve l'Europe). Ces sanctions sont présentées comme destinées à punir la Russie de ses agressions en Ukraine, alors que le conflit en Ukraine a été très largement provoqué par la diplomatie américaine dite des services spéciaux et du dollar, afin d'obliger Poutine à se mettre dans son tort, aux yeux d'une opinion internationale largement conditionné par la diplomatie américaine.

Plus subtilement, la diplomatie américaine, relayée par Wall Street, a encouragé les entreprises russes à s'endetter en dollars, ce qui les met désormais à la merci de la hausse du dollar par rapport au rouble. Elle a également encouragé les nouveaux riches à investir et dépenser en Europe et dans d'autres parties du monde soumises à l'influence américaine. La baisse du rouble, et celle de leur pouvoir d'achat en résultant, fait aujourd'hui de ces élites des alliés, dans la lutte entreprise pour renverser Poutine.

Qu'attend la Russie pour se défendre efficacement ?

La Russie, ces dernières années, avait eu le plus grand tort, et son gouvernement avec elle, de laisser s'établir des dépendances à l'égard de l'Occident, qui en faisait une victime prévisible de la guerre économique : tout miser sur le pétrole au lieu de lancer des investissements indispensables qu'elle aurait pu mener tranquillement depuis quelques années, laisser se dégrader son domaine de la recherche fondamentale et appliquée, ne pas nouer de relations suffisantes, malgré une volonté affichée, avec les pays du BRICS, dans le but d'accélérer la dédollarisation annoncée à grands cris.

Elle a laissé, mais pouvait-elle faire autrement, une caste d'anciens apparatchiks corrompus et incompétents tenir les leviers de commande, dans l'économie comme dans l'administration (alors que, dans le même temps, des milliers de jeunes étudiants, ingénieurs et chercheurs restaient à la marge de la société, sans pouvoir accéder aux responsabilités).

Cela étant, le mal est fait et il ne se réparera pas en quelques mois, à supposer que le pouvoir en ait la volonté. Par contre, dans l'immédiat, des mesures énergiques pourraient être prises, certes à l'encontre des dogmes de l'économie libérale, mais que la spéculation internationale saurait parfaitement comprendre.

Il s'agirait de mettre en place des mesures de contrôle des capitaux, éventuellement temporaires, mais indispensables face à un marché qui est l'objet de mouvements spéculatifs. La spéculation se traduit par des mouvements de capitaux importants, parfaitement identifiables et qui peuvent être interdits ou donner lieu à des pénalités dissuasives. Par ailleurs, comme l'indique l'économiste Jacques Sapir [1], un contrôle des capitaux a pour effet de déconnecter les taux d'intérêts internes de ceux des marchés internationaux.

Il devient possible de baisser les taux d'intérêts, ce qui est profitable pour l'industrie et les entrepreneurs. De telles mesures ont été appliquées dans de nombreux pays, et même recommandées par le Fonds monétaire international. Voulant montrer sa bonne volonté néo-libérale, La Banque centrale de Russie les avait exclus. A l'extrême, l'obligation faite aux acheteurs de produits russes de s'acquitter de leurs factures en rouble, accompagnée d'un contrôle général des changes, pourrait montrer au reste du monde que la Russie prend au sérieux la guerre qui lui est faite. Dans sa chronique, publiée depuis Moscou, où il réside, Luc Brunet suggère des mesures plus radicales, par exemple mettre la Banque centrale de Russie (BCR) sous contrôle de l'État, nationaliser les banques réfractaires et adosser officiellement le rouble à l'or [2].

Nous pensons que Moscou va devoir s'y résoudre, sans renoncer, pour le plus long terme, à des accords avec Pékin pour mettre en place une parité rouble - yuan, comme annoncé lors des précédentes réunions du BRICS. Mais il faudra avant cela que la Banque centrale de Russie redresse la situation. La Chine ne s'associera pas avec un canard boiteux.

Notes :

[1] Spéculations sur le Rouble

[2] Poutine et son entourage auront-ils le courage d'imposer le silence a l'oligarchie néolibérale russe ?