Traduction : SOTT

Alors que je me préparais à écrire sur le manque de contacts amicaux dans la vie des hommes, j'ai tout de suite pensé : « Je suis convaincu que je peux faire preuve de contacts sans arrières pensés, mais je ne fais pas nécessairement confiance aux autres hommes pour qu'ils fassent de même. Il y en a un qui va avoir un geste déplacé. C'est toujours ce qui se passe. ». Suivant le cheminement de cette pensée, je me demandais : « Attends un peu, pourquoi est-ce que je me méfie des hommes en particulier ? ». La petite voix dans ma tête n'a pas dit : « Ce n'est pas forcément des gens dont je me méfie », elle a dit : « Je me méfie des hommes ».
Lonely man at beach
© Inconnu
Dans la culture étasunienne, nous croyons qu'on ne peut jamais totalement faire confiance aux hommes pour ce qui est du contact physique. Nous suspectons collectivement que, à la moindre occasion, les hommes vont se vautrer dans la luxure sans prévenir. Que les hommes ne savent pas comment établir un lien physique d'une autre manière. Que les hommes ne peuvent pas se contrôler. Que les hommes sont des chiens.

Il n'existe pas de préjugé correspondant pour les femmes.

En conséquence, chaque homme a l'obligation de prouver qu'il est digne de confiance, dans chaque interaction, jour après jour et au cas par cas, en partie à cause du fait que tant d'hommes se soient mal comporté. Et, dans un contexte dans lequel le moindre doute sur nos intentions pourrait survenir, nous manifestons alors notre intégrité en renonçant complètement au contact physique. Ce qui, malheureusement, se produit à peu près, quel que soit le contexte dans lequel nous nous rencontrons.

Et où cela conduit-il les hommes ? À être physiquement et émotionnellement isolés. Coupés du contact physique fondamentalement humain dont il est prouvé qu'il réduit le stress, favorise l'estime de soi et la sociabilité. En lieu et place, nous marchons au milieu des vastes foules de nos villes, isolés dans un désert de déconnexion. Affamés de connexions physiques.

Nous aspirons au contact physique. Nous sommes coupés de lui. Le résultat est l'isolement physique.

Combien de fois les hommes trouvent-ils réellement la possibilité d'exprimer de l'affection par un long contact physique platonique ? Combien de fois cela arrive-t-il entre les hommes ? Ou entre les hommes et les femmes ? Pas une poignée de main ou une accolade, mais un long contact physique entre deux personnes, qui soit réconfortant et personnel, mais pas sexuel. Entre des personnes qui ne sont pas amants et ne le seront jamais. Pensez-y, se tenir par la main. Ou s'appuyer l'un sur l'autre. Assis ensemble. Ce genre de choses. Un simple contact réconfortant. Et si vous êtes un homme, imaginez un contact de cinq minutes avec un autre homme. Combien de temps avant que cette idée ne soulève le spectre hideux de l'homophobie ? Et pourquoi ?

Alors que les femmes sont beaucoup plus libres de s'engager dans un contact physique avec chacun, les hommes restent suspects quand ils touchent d'autres individus. Dans notre culture, il n'existe qu'un seul espace où le long contact physique platonique est toléré pour les hommes, et on le trouve dans la relation entre les pères et leurs très jeunes enfants.

J'ai découvert ce type de connexion physique lorsque mon fils est né. Puisque j'étais un papa qui restait à la maison, j'ai passé des années avec mon fils. Jour après jour, il s'est assis dans le creux de mon bras, son petit bras sur mon épaule, sa main sur ma nuque. Comme il arpentait le monde d'en haut, j'appris à connaître un niveau de contentement et de calme qui avait jusqu'ici fait défaut dans ma vie. La connexion physique entre nous était si transformatrice qu'elle a changé ma vision de qui je suis et de mon rôle dans le monde. Pourtant, et parce que si peu d'autres possibilités sont possibles pour enseigner aux hommes la valeur et la puissance d'un long contact physique platonique, il m'a fallu devenir père pour que mon enfant m'apporte cette expérience apaisante.

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En tant que jeune enfant et plus tard en tant qu'adolescent, les contacts entre moi et les autres n'ont tout simplement pas existé à moins qu'ils n'aient pris la forme de bagarres ou d'intimidations inopportunes. Ma mère s'est tenue à distance de tout contact physique avec moi très tôt, en partie, je pense, en raison de son éducation. Je peux seulement supposer que dans la maison de ses parents, le contact physique était quelque chose pour les tout-petits, mais pas pour les enfants après un certain âge. Ajoutez à cela le fait que mon père était absent pour cause de divorce avec ma mère et plusieurs années de travail à l'étranger, ce qui signifie que j'ai grandi sans être tenu ou touché.

Cela m'a laissé avec une sensation d'énorme insécurité à propos du contact humain en général. Ma vingtaine était bien entamée avant que je puisse mettre mon bras autour d'une fille avec qui je sortais sans avoir d'abord besoin de me saouler. À ce jour, je reste incertain sur où et comment initier le contact avec les gens, même avec ceux que je considère comme des amis proches. Ce n'est pas que je ne peux pas le faire, c'est juste que cela reste maladroit, bizarre. Comme si nous sentions tous que nous faisons quelque chose de légèrement... mauvais ?

Le contact avec les amis de sexe masculin est toujours bref, une poignée de main ou une tape dans le dos. Les étreintes avec les hommes ou les femmes sont un ballet embarrassé, une chorégraphie comique dans laquelle nous tournons nos cuisses comme ceci ou comme cela. Épaules rentrées et fessiers sortis, nous cherchons à faire comprendre, à quiconque se trouve dans notre champ de vision, que nous ne souhaitons pas de relation sexuelle. Nous travaillons tellement dur pour être considérés comme sexuellement neutres que nous n'éprouvons aucune joie dans ces moments de connexions physiques.

Non seulement nous, les hommes, nous méfions des autres dans ce domaine confus qu'est le contact physique, mais des années de honte et de jugement nous ont laissés méfiants envers nous-mêmes. Ai-je trop aimé cela ? Ai-je des pensées taboues ? Cette méfiance nous laisse incertains quant à l'idée de toucher un autre être humain, sauf si nous avons établi des règles très claires d'engagement. Souvent, nous abandonnons et réduisons simplement ces règles pour pouvoir vivre une relation. Nous nous permettons de longs moments de touchers réconfortants avec nos compagnes ou compagnons. Le vaste univers du contact humain platonique est soudainement réduit au domaine exclusif d'une seule personne et se trouve être mélangé avec le sexe. C'est beaucoup de besoins primaires qui sont mis sur les épaules d'une seule personne, tout aimante et généreuse puisse-t-elle être.

Ce qui conduit à la question : comment pouvons-nous enseigner à nos fils à comprendre comment fonctionne le contact physique ? Comment distinguer le sexuel du platonique ? Le plaisir du contact humain est-il intrinsèquement sexuel dans une certaine mesure ? Je doute que cela soit une question que l'Italien moyen se pose. Mais ici, aux États-Unis, des générations d'humiliations sexuelles puritaines en ont fait une question centrale. Puisque nous avons mis la crainte de la sexualité en première ligne dans toutes nos interactions, nous avons jeté le bébé avec l'eau du bain en évitant tout contact plutôt que de risquer même le soupçon d'un contact sexuel non désiré.

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Beaucoup de parents se tiennent à distance de leurs garçons dès que ces derniers approchent de la puberté. Le contact que ces garçons recherchent est souvent jugé confus ou même sexuellement suspect. Et, le plus incroyable de tout, toute possibilité d'un potentiel contact physique est brusquement transmis des jeunes garçons à leurs pairs féminines, qui sont soudainement censées agir comme les gardiennes du toucher ; des jeunes filles qui ne sont pas plus prêtes à assumer cette responsabilité que les garçons ne le sont à la transmettre.

Et donc les garçons sont laissés seuls, à la dérive, avec deux non-dits :
  1. Tout contact physique est sexuellement suspect.
  2. Trouver une petite amie ou abandonner le contact humain.
Un message particulièrement accablant pour les garçons qui sont gays.

La culture étasunienne ne laisse que peu d'options aux garçons. Alors que l'agression sur le terrain de basket ou l'intimidation dans le vestiaire se traduit souvent par des moments sporadiques de contact humain, la douceur est improbable. Et les jeunes hommes, dont le besoin de contact est canalisé dans des interactions physiques rudes avec d'autres garçons ou des contacts sexuels maladroits avec des filles, perdent la conscience de ce qu'était la douce sensation du contact platonique de leur propre enfance. Parfois, ce n'est que lorsque leurs enfants naissent qu'ils redécouvrent la douceur du contact platonique ; un contact chaleureux libéré de la pulsion sexuelle, le sexe, le sexe qui imprègne notre culture alors même que, simultanément, nous le condamnons.

Dans notre culture, est-il étonnant que les relations sexuelles soient tellement chargées de colère et de peur ? Les garçons sont abandonnés sur une île déserte d'isolement physique, et le seul moyen qu'ils aient de pouvoir trouver un quelconque réconfort est d'entrer dans l'espace mixte du contact sexuel pour obtenir la connexion dont ils ont besoin. Ce qui transforme les relations sexuelles en une expérience aux enjeux beaucoup plus élevés que ce qu'elles devraient être. Alors même que nous attendons d'eux qu'ils pratiquent une certaine forme de plus grande douceur sexuelle dans leurs vies romantiques, nous encourageons le contact physique agressif comme mode approprié de contact pour les garçons et nous fermons les yeux sur l'intimidation.

Si les hommes pouvaient diffuser leur besoin de connexion physique à travers un ensemble beaucoup plus large de relations platoniques, cela ferait des merveilles quand à notre sentiment de connexion avec le monde. En l'état, nous ne pouvons même pas gérer un bon câlin parce que nous ne pouvons pas modéliser ce qui n'a jamais été modélisé pour nous.

Nous avons des personnes âgées dans les maisons de retraite qui sont visitées par des chiens qu'ils peuvent tenir et chérir. Ceci fait des merveilles pour leur santé et leur état d'esprit émotionnel. C'est dû à la puissance du contact entre êtres vivants. Pourquoi des personnes généreuses parcourent la ville, et ramènent des chiens dans les maisons de retraite ? Parce que personne ne touche ces personnes âgées. Elles devraient avoir des petits-enfants dans leur entourage chaque jour, ou une main humaine chaleureuse à tenir, pas des Poméraniens [race de petit chien aussi appelé « spitz nain » ou « loulou de Poméranie » - NdT] qui ne viennent qu'une fois par semaine. Et pourtant, nous plaçons des chiens dans leur entourage au lieu de leur offrir un toucher humain, parce que nous demeurons dans une culture qui considère le contact humain comme hautement suspect. Nous connaissons la valeur du toucher, même si nous faisons tout notre possible pour nous en protéger.

Nous, les hommes étasuniens, avons une longue liste de raisons pour lesquelles nous ne sommes pas à l'aise avec le contact physique :
  1. Nous avons peur d'être étiquetés comme sexuellement inappropriés par les femmes.
  2. Nous vivons dans une culture âprement homophobe, donc tout contact entre les hommes est suspect.
  3. Nous ne voulons risquer aucun soupçon de pédophilie.
  4. Nous ne voulons pas risquer nos statuts de machos ou d'hommes autoritaires en étant physiquement doux.
  5. Nous ne voulons plus jamais faire face à un rejet lorsque nous tendons la main. (Et dans notre culture qui répugne au contact physique, c'est pourtant le résultat le plus probable.)
Mais à la racine de toutes ces rationalisations boiteuses, réside le fait que la plupart des hommes aux États-Unis ne se voient jamais enseigner comment faire des contacts amicaux non sexualisés. Nous ne sommes généralement pas instruits du fait que nous pouvons toucher et être touchés dans une expression platonique d'un joyeux contact humain. En conséquence, le très inapproprié contact trop sexualisé dont notre société a peur, se répand, renforçant la prophétie auto-réalisatrice de notre culture entre les hommes et le toucher physique. En attendant, cette incapacité à se connecter confortablement par le toucher a laissé les hommes isolés émotionnellement, contribuant à des taux endémiques d'alcoolisme, de dépression et d'abus.

Et si le manque de contact platonique était à l'origine chez certains hommes d'une plus grande agressivité envers les femmes, qui, comme les gardiennes exclusives de la douceur du contact physique, transportent un fardeau qu'elles ne pourront jamais espérer gérer complètement ? Les femmes, qui sont sans doute à la fois les victimes des hommes et, en partenariat avec eux, sont-elles responsables de l'application de l'interdiction du toucher platonique dans la culture étasunienne ? L'impact de notre phobie collective du contact physique se fait sentir dans notre société en chaque homme, femme et enfant.

Dans son innovante présentation intitulée « Le pouvoir de la vulnérabilité », Brené Brown parle longuement des limites que les hommes éprouvent lorsqu'ils tentent d'exprimer la vulnérabilité dans notre culture. Elle prend note de la mesure dans laquelle les hommes sont piégés par les attentes de notre culture à propos de ce qu'un homme est autorisé à faire ou pas. Je dirais que les restrictions imposées aux hommes s'étendent à leur expression physique du toucher. Et sont tout aussi dommageables dans ce domaine.

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Mais voici la bonne nouvelle.

Il y a pléthore de raisons pour lesquelles être papa à temps plein s'avère être une force si transformatrice dans la culture étasunienne. Une raison puissante est l'éveil du contact. En tant que pères à temps plein, nous sommes confrontés à la nécessité absolue de porter nos merveilleux enfants. Nous apprenons le contact physique de la manière la plus puissante qui soit dans une affirmation de la vie. Par des moyens que les générations précédentes d'hommes n'ont tout simplement pas connus. Une fois que vous avez surveillé le sommeil de vos enfants nuit après nuit ou que vous avez marché pendant des années avec leurs mains dans la vôtre, vous êtes une personne changée. Vous acquérez une aisance et une confiance dans le contact physique que vous ne perdrez jamais. C'est un cadeau de nos enfants pour nous les hommes qui a littéralement la capacité de transformer la culture étasunienne.

Par conséquent, maintenant, quand je suis avec un ami, je tends la main. Je rentre en contact physique. Et je le fais avec joie et confiance. Et face à moi, la voie est illuminée.

Les tendances de ma vie peuvent être quelque peu déjà décidées, mais j'ai l'intention de faire tout mon possible pour rester en contact avec mon fils dans l'espoir qu'il ait une vision différente de la réalité. Je lui fais des câlins et je l'embrasse. Nous nous tenons les mains ou je mets mon bras autour de lui quand nous regardons la télévision ou quand nous marchons dans la rue. Je ne vais pas faire marche arrière parce que quelqu'un, quelque part, pourrait s'offusquer de notre connexion physique. Je ne vais pas faire marche arrière parce que, d'une certaine façon, il y a une règle tacite qui dit que nous devons desserrer les liens afin qu'il se débrouille par lui-même dans le monde. J'espère que nous pourrons nous tenir les mains, même quand il sera un homme. J'espère que nous continuerons à nous tenir les mains jusqu'au jour de ma mort.

En fin de compte, nous allons désapprendre notre peur du toucher dans le cadre de nos vies personnelles et dans nos interactions de tous les jours. Apprendre à exprimer l'amour platonique et l'affection par le toucher est un vaste et remarquable changement qui se doit d'être vécu. Et il est tellement important que nous le fassions. Parce que c'est primordial pour avoir une vie riche et remplie.

Le toucher est la vie.