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Alors que le mouvement s'est étendu ce mardi à une vingtaine de villes en province, la place de la République était pour la sixième fois consécutive occupée par des milliers de "révoltés" ce 5 avril. "Marianne" les a accompagnés toute la soirée. Récit.Des milliers de personnes ont occupé la place de la République ce mardi soir. - Sipa

Pour la sixième fois consécutive, des milliers de personnes ont occupé la place de la République mardi 5 avril, réunis sous l'étendard de la "Nuit Debout". Vers 17 heures, ils étaient des centaines. Entre l'infirmerie et autres stands montés par le rassemblement, des jeunes - et quelques moins jeunes - échangent, la plupart assis, une bouteille de bière ou de soda à la main. Des discussions rythmées au son des guitares et des cuivres qui animent cette fin d'après-midi ensoleillée.

Un "printemps français", comme aiment à le dire certains visiteurs, qui s'organise. A mesure que l'affluence et la diversité des pancartes croissent, la réunion "Assemblée et modération" se presse de définir l'ordre du jour de l'AG qui débute dans moins d'une heure. Ici, la parole de l'un ne vaut pas plus que celle de l'autre. Malgré les inconvénients chroniques de la démocratie directe, les délais sont étonnamment respectés ce mardi soir.

La "plus grande AG" tenue jusque-làUne fois la réunion achevée vers 18h15, les désormais milliers de personnes rassemblées place de la République assistent à la "plus grande assemblée générale" tenue jusque-là. Une AG qui débute par le témoignage d'un étudiant qui a participé à la manifestation lycéenne contre la loi Travail plus tôt dans la journée. Le jeune homme raconte les "violences policières" qui ont émaillé la marche, et informe que plus d'une centaine de lycéens sont retenus au commissariat de police du cinquième arrondissement. Suivant l'appel de la modératrice de l'AG, des centaines d'occupants quitteront progressivement la place pour réclamer devant ce poste de police, et à coup de barricades, la libération des jeunes interpellés.

Une légère interruption qui permet la désignation spontanée d'une "assistance" technique. Des preneurs de notes, une régulatrice des prises de parole, et même des interprètes en langue des signes prennent place à la tribune improvisée. Et les témoignages peuvent reprendre. Malika, sans emploi, explique son désespoir d'élever ses enfants "avec moins de 800 euros par mois", et presse la foule à "obtenir le retrait de la loi Travail" pour que "cette précarité ne se généralise pas".

Des orateurs hétéroclites

De la loi Travail, il n'en sera presque plus question ce soir. La "Nuit Debout" ne défend pas une cause parmi d'autres, mais rassemble des personnes qui veulent "la mort d'un système". Une convergence des luttes qui amène de nombreux orateurs à se succéder à la tribune. Des réfugiés et des sans-papiers racontent leur histoire et leurs combats pour un "accueil digne sur le territoire français" et "une régularisation massive". Des personnes sourdes s'expriment elles-aussi, réclamant "l'inclusion de la langue des signes dans la Constitution".


La première séquence "Témoignages" passée, les différentes commissions de la "Nuit Debout" sont présentées. Des dizaines de volontaires animent depuis jeudi dernier les commissions "communication", "sérénité", "coordination", "logistique", "actions"... Des actions, il en sera question. Deux femmes d'une quarantaine d'années proposent ainsi de "déménager l'AG en banlieue" ou d'avoir recours "à des assemblées populaires dans chaque quartier".

Jean Lassalle prié de quitté la place

Alors que les idées d'actions se succèdent et que la noirceur de la nuit emplit la place de la République, François Ruffin se rapproche de la tribune. Le réalisateur de "Merci Patron" prend ensuite la parole, sous les sifflets de quelques-uns regrettant "la promotion opportuniste du film". Mais le journaliste passé au long-métrage conserve son aura auprès d'une bonne partie de l'assistance, qui refuse toute incarnation personnelle. Un rejet du "chef" et du "représentatif" dont le député Jean Lassalle, candidat déclaré à la présidentielle, a fait les frais. Présent ce mardi soir, le Béarnais a été hué et prié de quitter les lieux après l'évocation de son nom par l'un de ses sympathisants. "Qu'ils soient de gauche ou de droite, les hommes politiques ne sont pas les bienvenus ici", conclut un intervenant.


Passé l'accroc, les témoignages peuvent à nouveau reprendre. Dans la fraîcheur de la nuit, les paroles et les larmes d'une femme proche d'une victime de violences policières, "ne sachant plus quoi faire" après le vote ce mardi au Sénat d'un "permis de tuer" pour les policiers, émeuvent l'auditoire. Avant d'être réchauffé par le show donné par un eurodéputé de Podemos, appelant à un "printemps français et européen". Les occupants de la place de la République, nouveaux "indignés" ? Non, "révoltés" : "l'indignation ne suffit pas, il faut agir", explique un jeune homme.

Passées 22 heures, on discute cause animale, OGM, "scandale vaccinatoire"... Tous les thèmes peuvent être abordés à "Nuit Debout", à la condition néanmoins de ne pas déborder sur le programme. Car à 23 heures, l'AG prend fin et le film Comme des lions est projeté. Les près de 400 personnes qui ont bloqué le boulevard Saint-Germain, pour réclamer la libération des lycéens retenus dans le commissariat du cinquième arrondissement, reviendront dans la nuit. Et, comme des milliers de personnes, sans doute ces prochains soirs...