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Un peu moins de 89 ans après sa première publication (le 18 juillet 1925), le pamphlet antisémite d'Adolf Hitler, «Mein Kampf», figure parmi les meilleures ventes de livres sur internet. Sur Amazon.com, qui concentre les ventes émanant du monde entier, il est 20ème dans la catégorie «politique et sciences sociales», 7ème de la rubrique «politique et gouvernance», 4ème du rayon «idéologie et doctrines» et... 1er de l'onglet «fascisme».

La version est toujours la même : un e-book, ou livre en ligne, à 0,99 $ (0,75€), édité en anglais par Montecristo Editora, une entreprise brésilienne basée à Sao Paolo. «Nous avons commencé à commercialiser "Mein Kampf" fin 2011. Jusqu'en novembre dernier, nous vendions entre 50 et 60 exemplaires par mois seulement sur Amazon.com, mais les ventes ont explosé depuis et nous en sommes à environ 500 exemplaires écoulés rien que pour les 10 premiers jours de janvier 2014 !», assure le patron de Montecristo Editora, Alexandre Pires, contacté par LeParisien.fr, précisant que les acheteurs sont principalement américains et européens. «Nous n'avons pas encore les chiffres définitifs de décembre, mais nous savons qu'il y a eu un pic de ventes autour de Noël», ajoute-t-il, assurant être «le premier étonné par ce soudain succès».

Succès aussi chez Apple

«Je ne comprends vraiment pas ce qui a pu provoquer une telle hausse des ventes. Nous n'avons rien fait pour les booster», assure l'éditeur brésilien, qui a été pris de court après la publication de l'article de Chris Faraone sur le site d'information américian Vocativ, le premier à s'être intéressé à ce phénomène le 7 janvier dernier. M. Pires se demande «si cela ne vient pas d'un algorythme d'Amazon qui aurait donné plus de visibilité à ce livre, ou quelque chose du genre». Le service de communication d'Amazon n'était pas disponible pour étayer cette hypothèse.

Chez Apple aussi, le «Mein Kampf» de Montecristo a la cote, malgré son prix plus élevé (2,99 $). Il est numéro 16 des meilleures ventes d'i-books dans la catégorie «politique et actualité» sur iTunes.apple.com. «Les ventes ont augmenté, mais beaucoup moins que sur Amazon.com. Elles oscillaient entre 20 et 30 exemplaires par mois jusqu'en novembre, et on en compte déjà 60 pour début janvier», précise Alexandre Pires, que cette évolution laisse toujours aussi perplexe.

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«Ce n'est pas pour faire de la propagande nazie, bien au contraire»

«Ce succès me met un peu mal à l'aise», confie-t-il, craignant que la popularité de son e-book ne le fasse «passer pour un fasciste». «Si j'ai décidé d'éditer ce texte, ce n'est pas pour faire de la propagande nazie, bien au contraire, poursuit-il. Je considère que ce texte a une valeur historique extrêmement importante et que les gens doivent pouvoir y avoir accès pour comprendre ce qui s'est passé lors de la Seconde guerre mondiale. En le censurant, on ne ferait qu'exciter ceux qui luttent pour la propagation de ces idées.»

La description du livre sur Amazon ou ITunes, écrite par l'éditeur brésilien et faisant penser à la mise en garde de Bertold Brecht («Le ventre est toujours fécond, d'où a surgi la bête immonde»), tient lieu d'avertissement. «Ce livre contient le programme raciste d'Hitler et sa glorification de la race aryenne (...) Si le livre avait été pris au sérieux au moment de sa publication, le 20ème siècle aurait peut-être été différent. C'est un livre extrêmement important. Il serait naïf de croire que l'Holocauste ne pourra jamais se reproduire, surtout si l'on oublie la Seconde Guerre mondiale et ses horreurs.»

Une contrefaçon ?

Alexandre Pires avait-il le droit d'éditer ce texte regorgeant d'idées racistes et antisémites ? Sa version de «Mein Kampf» est une traduction anglaise de James Murphy datant de 1939, la seule traduction dans la langue de Shakespeare approuvée par le IIIème Reich, éditée à l'origine par la maison d'édition britannique Hurst & Blackett, devenue aujourd'hui Random House. C'est elle qui détient les droits de publication de la traduction anglaise. Alejandre Pires assure avoir le droit de reproduire cette version sans verser de droits d'auteur puisqu'elle a été mise en ligne en libre service par le «Gutenberg Project Australia», qui ne recense que des œuvres «tombées dans le domaine public».

«Mein Kampf» ne tombera pourtant pas dans le domaine public avant le 30 avril 2015* soit 70 ans après la mort de son auteur, comme le prévoient les conventions de Berne et de Genève sur la propriété intellectuelle, auxquelles le Brésil a adhéré. Pour que M. Pires ait le droit de publier cette version de «Mon combat», «il faudrait que les ayant droits (société d'édition, descendants...) de James Vincent Murphy, mort en 1946, aient expressément - et contractuellement - renoncé au dit-droit de traduction anglaise au profit de cet éditeur brésilien pour que celui-ci puisse s'en prévaloir», note l'avocat Simon Christiaën, docteur en droit et spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, interrogé par LeParisien.fr.

Interdit en Allemagne et en Autriche

Et même si les droits de traduction n'appartenaient plus à James Murphy ou à sa société d'édition, «ils appartiendraient au seul légataire universel des œuvres d'Adolf Hitler, qui n'est autre que le Land de Bavière», précise Simon Christiaën. Tous les biens, y compris intellectuels d'Adolf Hitler ont en effet été dévolus à ce Land, censé contrôler toutes les publications de «Mein Kampf» en Allemagne et à l'étranger.

Pour l'heure, «il est impossible d'acheter l'e-book de Montecristo depuis l'Allemagne ou l'Autriche, mais pas d'ailleurs», assure M. Pires. «Je suis prêt à stopper l'édition de ce livre si jamais il s'avère qu'elle n'est pas conforme au droit dans les autres pays», s'empresse-t-il d'indiquer, avouant n'avoir «pas regardé de très près la règlementation».

Nécessité de mettre en place des garde-fous

«Ce qui fait peur aujourd'hui, c'est de voir à quel point la diffusion de cette œuvre se banalise. Les éditeurs sont motivés avant tout par l'appât du gain et ont de moins en moins de scrupules à rééditer cet ouvrage auprès d'une jeune génération malheureusement moins informée qu'avant sur les horreurs de la Seconde Guerre mondiale», commente Simon Christiaën. «Comme le redoute depuis longtemps Philippe Coen, de l'association Hate Prevention Initiative (HIP), la situation risque de s'aggraver une fois que l'œuvre sera tombée dans le domaine public», ajoute le spécialiste.

Jusqu'ici, seule une dizaine de traductions officielles (un traducteur = un pays) sont autorisées dans le monde, par des contrats qui ont été signés dans les années 1930-1940. En France par exemple, Les nouvelles éditions latines se présentent comme l'éditeur officiel. «Il est déjà très difficile de lutter contre les contrefaçons et les éditions clandestines à l'heure actuelle, je n'ose imaginer ce que cela sera après 2015, lorsque tout éditeur aura le droit de publier sa propre version de "Mein Kampf", ajoute l'avocat. Il faudra mettre en place des garde-fous, en obligeant notamment chaque éditeur à mettre des avertissements aux lecteurs.»

*voire le 1er janvier 2016, selon certains spécialistes, selon qui il faut tenir compte des prolongations de guerre