Le mouvement contre la politique gouvernementale s'amplifie et prend des allures de révolte populaire. Du jamais vu depuis 1992, quand la population avait gagné les rues pour demander le départ de l'ex-président Fernando Collor de Mello, accusé de corruption. Les manifestants, durement réprimés par la police, ont à leur côté une armée virtuelle, qui s'organise sur les réseaux sociaux et dénonce les abus des policiers.


Samedi 15 juin, peu avant le début du match Brésil-Japon comptant pour la Coupe des Confédérations à Brasília, l'ambiance était loin d'être festive, comme on pourrait l'imaginer au pays de la samba, du football et du carnaval. Quelques jours après les violentes manifestations à Sao Paulo, qui ont fait des dizaines de blessés, la mobilisation, qui s'étend à presque toutes les régions, ne faiblit pas. Cette fois, des milliers de personnes se sont retrouvées devant le stade Mané-Garrincha, flambant neuf, pour protester contre les 1,2 milliards de reals dépensés pour sa construction, au détriment des programmes sociaux pour la population.

Sao Paulo a été le fer de lance de la contestation, menée par le mouvement Passe Livre, qui défend la gratuité des transports publics. Après l'annonce du gouvernement d'augmenter le tarif de 0,20 centimes de real au-delà de l'inflation, ses militants ont lancé un appel sur Facebook pour protester dans l'avenue Paulista, en plein centre-ville. Ce qui s'est passé ensuite était digne d'une guerre civile : la police brésilienne et son unité d'élite, habituées à mener la guerre urbaine dans la banlieue, ont attaqué la foule à coups de matraques, de tirs de balle en caoutchouc et de gaz lacrymogène. A Paris, pendant une conférence de presse, le gouverneur de l'état de Sao Paulo, Geraldo Alckmin, a justifié l'action de la police, accusant les manifestants de « vandalisme ».

Les images de violence ont ensuite été relayées sur les réseaux sociaux et incité les cyber-activistes, dont la branche brésilienne des Anonymous, à rejoindre les protestations. La photo d'un jeune tenant une pancarte avec la phrase « Quitte ton Facebook et descend dans la rue », publiée sur le réseau Instagram, résume bien l'esprit du mouvement et met en évidence le rôle des réseaux sociaux dans la volonté d'instaurer le débat et de relayer les abus commis par la police.

Que cherchent exactement ces jeunes qui descendent dans la rue partout dans le pays ? Les revendications se mélangent dans cette vague de contestation qui déferle sur le Brésil : prix du transport, augmentation du coût de la vie, mauvaise gestion des ressources publiques, corruption...

Le journaliste Daniel Guimaraes, l'un des répresentants du Passe Livre, rappelle qu'il est important de ne pas uniformiser la contestation. Même s'il existe une solidarité entre la lutte pour le transport et les abus de la Fifa et du gouvernement par rapport à la Coupe du Monde, chaque revendication a sa spécificité, et n'est pas liée à cette idée assez vague de combat contre la corruption, explique-t-il. Il ajoute que des secteurs plus conservateurs essaient de s'approprier le mouvement.

15 journalistes détenus pour le quatrième jour de manifestations

Le quatrième jour de manifestation, ce 13 juin, a été le plus violent : au total, 200 personnes ont été emprisonnées, dont 15 journalistes. Parmi eux, 7 ont été blessés. Giuliana Vallone, un jeune reporter du quotidien Folha de Sao Paulo, a été hospitalisée après avoir reçu un tir de balle en caoutchouc dans le visage alors qu'elle était déjà loin de la foule. Dans cette vidéo diffusée par son quotidien et partagé sur You Tube, elle raconte que le policier qui lui a tiré dessus était dans une voiture. « Il m'a visé, mais je ne croyais pas qu'il allait appuyer sur la gachette », a expliqué la journaliste.

Après ces agressions, le mouvement a pris un tournant : d'autres catégories de la population, jusqu'alors neutres, se sont mobilisées sur internet pour soutenir les manifestants. A titre d'exemple, la manifestation de jeudi a gagné un chapitre sur Wikipédia. De plus, des centaines des photos et de vidéos montrant la brutalité de la police ont été partagées sur les réseaux sociaux, et des dizaines des témoignages ont circulé sur la toile.

Sur Facebook, les internautes ont également créé la page Occupy Sao Paulo, qui propose des conseils pratiques à ceux qui envisagent de participer aux manifestations. A Berlin, Paris, et dans d'autres capitales, les communautés brésiliennes à l'étranger ont aussi organisé sur internet des manifestations de soutien.

Une mobilisation inédite en 20 ans

Un sondage publié dimanche par le quotidien Folha de Sao Paulo montre que 55% de la population soutient le mouvement. « Depuis 1992, quand la population est descendue dans la rue pour demander la mise en accusation de l'ex-président Fernando Collor de Mello, on n'avait pas vu une telle mobilisation. Je pense qu'il faut stimuler ce comportement, il faut se battre pour ses droits, c'est comme ça qu'on construit une démocratie. Si la société se sent opprimée, elle doit crier pour être entendue », déclare l'activiste Joao Carvalho.

« Au Brésil, on avait oublié que l'on avait une force mobilisatrice. On est habitués au discours qui a été construit pendant la dictature du pays (1964-1985), du Brésilien cordial, pacifique, quand en réalité notre histoire est violente, ponctuée de rébellions », remarque le spécialiste des médias numériques, Zander Catta Preta. Ce lundi, une nouvelle manifestation est prévue à Sao Paulo. En moins de 24 heures, plus de 200 000 personnes ont confirmé leur présence sur Facebook.