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© Craig Cunningham/AP/The Daily MailPrès de Charleston, des habitants font la queue pour se fournir en eau potable
De notre correspondante à Washington, Hélène Vissière

Cela fait cinq jours que ça dure. Cinq jours que plus de 300 000 habitants de Virginie occidentale ne peuvent pas boire l'eau du robinet, cuire des pâtes, se doucher ou faire une lessive. Cinq jours que des sacs en plastique condamnent tous les lavabos des lieux publics avec des pancartes "Eau impropre à la consommation". Six jours que la population doit faire la queue pour s'approvisionner en eau potable à des camions-citernes. Tout ça dans une certaine indifférence, alors pourtant qu'il s'agit d'une gigantesque catastrophe environnementale.

Jeudi matin au réveil, les habitants ont noté une forte odeur de réglisse qui flottait dans l'air. Un réservoir contenant du methylcyclohexane méthanol ou MCHM utilisé pour le nettoyage du charbon avait une fuite et le produit chimique s'est répandu dans la rivière qui alimente en eau la région et notamment Charleston, la capitale de l'État. Plusieurs heures plus tard, la compagnie des eaux a donné l'alerte et interdit à la population de se servir de l'eau du robinet. Ce qui a paniqué les habitants furieux qu'on ne les ait pas prévenus avant. Près de 170 personnes se sont rendues aux urgences se plaignant d'irritations de la peau, de la gorge et de maux d'estomac. Une dizaine d'entre elles ont été hospitalisées mais aucune d'entre elles dans un état grave. Les écoles, crèches et restaurants ont été fermés. Quant à la population, elle a dévalisé les magasins en eau, lingettes et plats préparés et beaucoup font des heures de voiture pour se rendre dans d'autres coins non affectés.

"Nous avons besoin de ces emplois"

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Freedom Industries, la société chimique à qui appartiennent les réservoirs, a d'abord minimisé la fuite. "Nous ne croyons pas qu'une grande quantité de produit se soit écoulée du réservoir", a affirmé le directeur. Mais les autorités estiment que près de 28 000 litres se sont échappés dans la rivière. L'entreprise a aussi juré que le produit n'était pas toxique. Mais le centre antipoison a déclaré que le MCHM pouvait être nocif si on l'avalait ou on le respirait et pouvait causer des irritations des yeux, de la peau, des nausées et des vomissements.

Bizarrement, les manifestations de protestation restent rares. La Virginie occidentale, l'un des États les plus pauvres de l'Amérique, dépend totalement de l'industrie du charbon qui est le principal employeur. "J'espère que [cet incident] ne va pas faire de mal au charbon. Trop d'habitants dépendent du charbon et de l'industrie chimique. Nous avons besoin de ces emplois", résume Bonnie Wireman, veuve d'un mineur.

Ce n'est pas la première fois qu'il y a des catastrophes dans la Kanawha Valley que l'on surnomme la "Chemical Valley". En 2008 une explosion a tué deux personnes dans une usine du groupe Bayer qui produisait le même type de produit chimique qui a créé une énorme explosion en 1985 à Bophal en Inde. L'usine a refusé pendant plusieurs heures de dire aux autorités quelle était la cause de l'explosion et s'il y avait eu contamination. En 2009, 29 mineurs sont morts dans une explosion d'une mine qui ne respectait pas les règles de sécurité. Et l'on ne compte plus les violations en matière de pollution notamment des mines à ciel ouvert.

Une catastrophe pour l'environnement

Depuis près de 30 ans, les producteurs de charbon délaissent l'extraction souterraine pour le "mountain top removal", (MTR), l'arasement des montagnes. On commence par déboiser le site, puis on le dynamite à l'aide d'énormes charges d'explosifs afin de mettre au jour les veines de minerai tout en balançant dans les vallées en contrebas la terre et les gravats. Une technique très efficace qui permet de récupérer 100 % du charbon au lieu de 40 à 60 % dans l'extraction souterraine, et bien moins coûteuse, car elle demande au plus une vingtaine de mineurs. Mais le MTR est une catastrophe pour l'environnement. Il détruit non seulement les plus vieilles montagnes du monde, mais aussi l'écosystème des vallées, les torrents, les villages... Selon les écologistes, plus de 500 pics ont déjà été décapités dans la région. Dans son livre Coal River, Michael Shnayerson raconte comment l'ex-patron de Massey, un opérateur de mine, viole tous les règlements, bafoue les droits des mineurs, achète juges et élus. "[Une telle dévastation] n'arriverait jamais dans le Connecticut, le Maine, le nord de la Californie"... Cela "susciterait un tollé... Mais les Appalaches sont un territoire à part, isolé par ses montagnes... Ses habitants sont pour la plupart trop pauvres et trop intimidés après un siècle d'exploitation impitoyable par King Coal...", écrit-il.

Le lobby houiller très puissant lutte activement contre la mise en place de réglementations plus contraignantes en matière d'environnement et de santé publique. Les réservoirs de Freedom Industries étaient très anciens et stockés près de la rivière tout près d'une usine de traitement des eaux de l'État. Le site n'a pas été inspecté depuis 1991 et l'État de toutes façons n'oblige pas à des inspections sur les réservoirs de stockage de produits chimiques.

Lundi, le niveau de toxicité de l'eau a commencé à baisser, quelques magasins et administrations ont été autorisés à rouvrir, mais personne ne sait quand l'eau sera autorisée de nouveau à la consommation. Le produit chimique a envahi tout le système de distribution, de l'usine aux conduites, ce qui oblige à une gigantesque opération de nettoyage. "Nous voyons la lumière au bout du tunnel", a annoncé dimanche le gouverneur. Jusqu'à la prochaine catastrophe...