Hasard de calendrier ou désagréable coïncidence ? Alors que l'attention du monde est sciemment concentrée par la propagande occidentale sur la crise ukrainienne, c'est aussi l'occasion de commémorer trois tristes anniversaires, de trois tragédies contemporaines, qui durent depuis trois ans maintenant et dont le nombre de victimes augmente inexorablement.


Le premier drame porte sur la catastrophe de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima qui continue de déverser depuis trois ans des tonnes d'eaux radioactives dans un silence de mort annoncée. Son réacteur en fusion s'enfonce dans l'écorce terrestre se transformant en une véritable bombe nucléaire à retardement. Plusieurs milliers de personne, en majorité sous-payées et peu formées, sont sacrifiées en tentant l'impossible défi de réparer les réservoirs pour stocker les énormes quantités d'eau utilisées pour refroidir les réacteurs endommagés. Les travaux de décontamination devraient prendre plusieurs décennies mais l'on n'a même pas encore commencé à démanteler les réacteurs détruits et les piscines de combustible. Sans compter l'impact sur la faune et la flore sous-marine que l'on ne peut encore jauger, contrairement au nombre de cancers foudroyants que l'on commence à recenser.

Seconde catastrophe non commémorée : l'invasion de la Libye. C'est en effet en 2011 que les troupes de l'OTAN, outrepassant le mandat conféré par l'ONU de protéger les populations civiles d'éventuelles attaques de la part des autorités, ont allègrement bombardé, puis détruit le pays le plus prospère de l'Afrique, en le morcelant pour y installer un gouvernement fantoche devant traiter avec des milices religieuses et ethniques. Trois ans après, la situation est toujours tendue depuis la chute de Mouammar Kadhafi, abattu au nom de la démocratie. La Libye est maintenant un pays où règnent le chaos et l'anarchie. Les factions actrices de son renversement et armées par les Occidentaux, se battent toujours entre elles pour le contrôle de certaines régions. A l'est du pays, des rebelles autonomistes ont pris le contrôle des ports pétroliers afin d'écouler eux même le précieux or noir. Un pétrolier battant pavillon Nord‑Coréen et ayant chargé pour 30 millions de dollars de pétrole brut a ainsi été arraisonné par les autorités de Tripoli considérant ce chargement comme "illégal". Cette vente de pétrole sans précédent dirigée par les autonomistes risque de déclencher une opération militaire de grande envergure pour reprendre les ports. Trois ans plus tard, la guerre voulue par l'oligarchie occidentale et dont la France s'est faite le porte-glaive, n'est pas prête d'être terminée.

Troisième anniversaire, consécutif au précédent et sans doute le plus sanglant, c'est celui de la souffrance du peuple syrien. Vingt trois millions de personnes ont vu leur pays déchiré au cours de l'un des conflits civils prolongés les plus brutaux depuis la Seconde Guerre mondiale. Pourtant si les combats en Syrie ont quasiment disparu des gros titres, semblant être, au mieux, relégués à la rubrique des faits-divers, les crimes les plus abjects continuent d'y être commis par des milices religieuses étrangères, tandis que des opérations militaires se poursuivent sans relâche pour libérer le pays de l'ingérence étrangère. Pôle d'opposition à l'hégémonie impériale, le peuple syrien paye le prix de son opposition à la politique expansionniste israélienne et au refus de s'engager aux côtés des puissances atlantistes, contre l'Iran, au nom bien sûr de la lutte contre le terrorisme. Comme le déclare le philosophe et universitaire américain, Noam Chomsky : "Si vous voulez vraiment mettre fin au terrorisme, arrêtez d'y participer."

Contrairement aux révolutions du "printemps arabe" fabriquées de toutes pièces par l'Occident, ou aux révolutions de couleur comme en Ukraine aujourd'hui, le soulèvement de masse n'a pas eu lieu en Syrie et l'Occident n'a pas pu y intervenir militairement. La population syrienne s'est regroupée autour des autorités de Damas, contraignant les démocraties occidentales et les pétromonarchies du golfe persique à recourir à l'utilisation de mercenaires étrangers. Les Syriens sont redevenus alors, aux yeux des grandes consciences occidentales, au pire des pions que l'on sacrifie, au mieux des indigènes ou des barbares faisant obstacle à la grande marche du progrès civilisateur. L'Irak "émancipée et libérée" est d'ailleurs là pour en témoigner. En effet, à ce jour, des millions d'Irakiens ont été tués, mutilés, déplacés et ont vu leurs vies devenir un enfer quotidien. Avec 120 000 morts et plus de 9 millions de personnes déplacées - plus de 2 millions d'entre eux ont franchi les frontières de la Syrie à la recherche d'un sanctuaire - il semble n'y avoir aucune fin en vue.

La nature de ces guerres, dans lesquelles des atrocités sont commises à une échelle quasi industrielle, reflète les enjeux en cours. Le martyr du peuple syrien pourrait se rapprocher de celui du peuple palestinien. L'absence de progrès, en essayant de parvenir à une solution politique à Genève II ou des pourparlers avec l'Etat Hébreu, n'est pas surprenante. La diplomatie et le respect du droit international n'ont plus place dans la politique hégémonique que l'Occident veut imposer par sa brutalité et ses bombes. S'il est facile d'envahir des pays pauvres, il est difficile de conquérir les peuples qui y vivent. A moins de les chasser ou de les faire disparaître. Un poète palestinien Mahmoud Darwish, avait écrit que ceux que l'on avait changé en exilés, s'était transformés en bombes portant le chant de la mort dans les rues du monde. Les crimes répétés des dirigeants occidentaux dans les guerres qu'ils provoquent sont autant de bombes à retardement qu'ils ont eux-mêmes amorcées et dont les conséquences seront aussi catastrophiques et durables que les radiations de Fukushima. Dans un discours qu'il avait tenu à l'ONU en 2006, le président vénézuelien Hugo Chavez qui avait réussi à échapper à une tentative de coup d'Etat 2 ans plus tôt, se déclarait pourtant optimiste, je cite : " Au-delà et au-dessus de tout cela, je pense que nous avons des raisons d'être optimistes. Un poète aurait dit désespérément optimistes, parce qu'au-dessus et au-delà des guerres et des bombes et de la guerre agressive et préventive et la destruction de peuples entiers, on peut voir qu'une nouvelle ère se dessine." Fin de citation. Il est vrai que c'était un combattant qui considérait que tant que le combat était mené on n'était pas vaincu.