« La dimension sonore est depuis toujours un moyen très efficace de toucher les gens émotionnellement », commence Julian Treasure, le business sound expert britannique. « En utilisant intelligemment l'audio, vous prenez une longueur d'avance sur vos concurrents. » Alors, vous êtes tout ouïe ?

Sound Waves
© Inconnu
Pourquoi un tel intérêt pour le son ?

Julian Treasure : Le son affecte directement nos émotions. Notre cerveau réagit par exemple très différemment au bruit d'un robinet qui fuit par rapport au son d'un petit ruisseau. Les images visuelles sont essentiellement conscientes, car nous sommes habitués à observer notre environnement. Les sons, par contre, touchent davantage l'inconscient. Quand nous écoutons attentivement notre interlocuteur, le brouhaha autour de nous est tamisé par le cerveau.

Quand on travaille, on n'entend plus la musique de fond. Du moins, c'est ce que nous pensons. C'est Précisément en raison de cette perception inconsciente que les sons environnants ont un tel impact sur notre cortex. Ce domaine - les émotions inconscientes - recèle un formidable potentiel inexploité. Notamment pour influencer le comportement du consommateur.

L'expert en branding Robert Passikoff affirme que le processus de choix d'une marque et de fidélité à cette marque est émotionnel à 70 %. Or, le sonore est un plus grand vecteur d'émotions que le visuel. Pourtant, 80 % des budgets marketing sont investis dans la communication visuelle.

L'audio en général, et donc la radio, aurait alors plus d'importance qu'on ne croit ?

Julian Treasure : La radio est une des plus puissantes sources sonores de notre vie et elle le restera encore pendant très longtemps. Nous sommes actuellement submergés de musique, par exemple via Internet. Au point que les gens ne savent plus quoi écouter. Ils s'en réfèrent donc volontiers à un guide, qui leur propose de la musique qui leur plaît, tout en leur réservant de temps en temps une petite découverte. La radio est idéale pour jouer ce rôle et pour nouer une relation avec son public cible. Le streaming audio est parfois appelé radio, mais à tort. Sur Spotify, par exemple, vous choisissez vous-même les titres que vous écoutez et vous finissez donc par n'entendre que la musique que vous connaissez déjà. Les gens souhaitent élargir leur horizon musical, ce qui n'est possible qu'en écoutant la radio. Je m'empresserai d'ajouter que le moment est sans doute venu pour la radio de ne plus se cantonner à l'éther, mais de franchir le pas vers Internet. Ces deux médias sont parfaitement complémentaires.

Vous distinguez quatre influences du son sur notre comportement. Quelles sont-elles ?

Julian Treasure : Il y a tout d'abord une influence physique. Lorsqu'on est exposé au vacarme d'un marteau-piqueur, par exemple, l'organisme produit du cortisol, l'hormone qui accroît notre capacité à combattre et à fuir. La seconde influence est psychologique, comme le bruit des vagues sur la plage. Ce son est apaisant, car sa fréquence correspond au rythme respiratoire d'une personne endormie. Citons aussi le chant des oiseaux, que nous associons depuis toujours à la sécurité. Vient ensuite l'influence cognitive.

Lorsqu'on entend plusieurs voix simultanément, il faut consentir un effort constant pour filtrer la voix que l'on souhaite écouter. Dans cet ordre d'idées, il est prouvé scientifiquement qu'un bureau paysager fait baisser la productivité de 66 %. Enfin, les sons influencent notre comportement. Les êtres humains fuient les bruits désagréables et recherchent les sons harmonieux.

Plusieurs études prouvent que le volume d'achat dans un magasin baisse significativement lorsque les clients sont exposés à des bruits dérangeants ou à une musique irritante.

Autrement dit, on prend une longueur d'avance sur la concurrence en profilant soigneusement la dimension sonore d'une marque ?

Julian Treasure : Effectivement, une nette longueur d'avance. J'irais jusqu'à dire que la perception sonore d'une marque est plus importante que son image visuelle.

Les entreprises devraient réfléchir très sérieusement à cette dimension. La voix de leurs spots est-elle jeune ou vieille ? Féminine ou masculine ? Suscite-t-elle la confiance ou est-elle plutôt audacieuse ? Un jour, en embarquant sur un vol Virgin Airlines, une hôtesse m'a lancé un joyeux 'Hi, sexy!' J'espère que ce n'était pas seulement une formule d'accueil standard, mais toujours est-il que cet accueil était parfaitement en phase avec l'image un peu impertinente de Virgin.

Une dimension sonore souvent négligée est l'habillage audio des points de vente. De la mauvaise musique diffusée par des haut-parleurs nasillards, entrecoupée de bruyantes annonces promotionnelles, le 'bip-bip' d'un Clark qui voudrait vous dépasser, le vrombissement sourd d'un airco... les clients ne remarquent pas ces bruits consciemment, mais ils les fuient. De très nombreux magasins font attention à tout, sauf à leur environnement sonore. Grave erreur.

Comment faire ?

Julian Treasure : Pour créer un environnement sonore optimal, il faut respecter les quatre règles d'or de l'audio commerciale. Primo, soyez conséquent. Si vous êtes attentif à votre identité visuelle, soyez-le aussi pour votre présence auditive. La musique des spots TV n'est souvent choisie qu'à la fin du processus créatif et varie parfois considérablement d'une campagne à l'autre. Or, l'unité de ton entre la présentation visuelle et sonore est essentielle au bon profilage de votre marque. Secundo, adaptez votre audio à la situation.

Ne confiez surtout pas le choix de l'ambiance musicale du magasin à votre personnel. Vos vendeurs ne sont pas votre groupe cible. Tertio, donnez une valeur ajoutée à votre audio.

De nombreux magasins diffusent la radio « pour faire comme tout le monde ». Comme si le silence était un péché.

Si vous désirez à tout prix une dimension sonore, veillez à ce que cet habillage génère une vraie plus-value pour vos clients. Traduit en pub radio : veillez à ce que les gens trouvent votre spot cool, amusant ou émouvant. Dernière règle d'or, probablement la plus importante : testez, testez et testez encore. Vous avez sans doute une idée précise de l'environnement audio qui devrait plaire, mais en êtes-vous sûr à 100 % ? Pour en avoir la certitude, faites par exemple écouter votre nouveau logo sonore à un vaste panel d'auditeurs et demandez-leur ce qu'ils en pensent. Idem pour la musique.

Adaptez-la à votre public cible. Ce que certains adorent, les autres peuvent l'avoir en horreur.

Julian Treasure dirige The Sound Agency, une agence-conseil en dimension audio et sonore. Il est également l'auteur du livre Sound Business et du blog éponyme. Ses exposés donnés lors des célèbres conférences TED sont disponibles sur YouTube, sous 'Julian Treasure'.