Traduction : Jean-Jacques pour Vineyardsaker

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Finie l'époque du fascisme flamboyant, masses hypnotisées défilant à la lumière vacillante des torches lors des grandes messes sombres de Nüremberg, ou de Rome, peuple reconnaissant extasié par sa résurrection, la communication.
Alors, c'était ça : voir photo en-tête.

Aujourd'hui, comme l'a bien montré Noam Chomsky dans La Fabrique du Consentement, les choses ont spectaculairement changé. Prenez le mot spectaculaire au sens propre, car, dans le dogme [l'étymologie du mot est « opinion qui apparaît »], le décor est essentiel.


Et c'est devenu ça, à la une de The Economist :

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Qu'est-ce-qui a changé ?

Norman Pollack est un écrivain américain écorché vif, il ressent physiquement sur sa nuque l'haleine de la bête immonde, et il écrit comme ça, traqué, haletant, conscient de l'urgence : le style, c'est l'homme, non ?

Je pense que le fond de son discours, même ardu, vaut la peine d'être connu; après tout, nous les gueux, on n'a rien sans rien.

Il nous change des analyses géopolitiques convenues, en prenant le problème par la pathologie mentale, et la question de notre propre culpabilité. Je pense comme lui que c'est peut-être, et même certainement, de ce côté-là que l'on trouvera des solutions.

« Zeus rend fou ceux qu'il veut perdre » : la folie a gagné notre monde, il faut l'analyser en elle-même et en nous-mêmes.

Attachez vos ceintures, il y aura des turbulences.

Jean-Jacques Hector.


La psychiatrie s'occupe des individus, mais pourquoi n'y aurait-il pas une psychiatrie sociale qui s'occuperait des comportements, valeurs, et mentalités collectifs, ceux d'une nation avec son histoire propre, ses structures sociales, son comportement, dans ce cas mesuré à partir des guerres, des interventions, des politiques d'assassinats ciblés par des drones, de la torture et de la sous-traitance de la torture, de l'opposition à la démocratie dans le monde et chez soi, des différenciations de classe considérables par la disparité des revenus et du pouvoir, de la dérégulation du système financier, commercial et industriel, de la surveillance massive pour étouffer la dissidence et la résistance ? En bref, pourquoi n'y aurait-il pas une psychiatrie sociale pour traiter une société fasciste émergente ?

La psychiatrie sociale (à la différence de la psychologie sociale) peut bien ne pas être une discipline académique et médicale reconnue. Mais comment appréhender autrement la conscience politique et même l'Inconscient réprimé d'un peuple lié, activement ou par complicité, à un ensemble commun d'institutions et à un cadre cohérent de pouvoir (par rapport auquel aucune résistance ne semble émerger ou même en voie d'émerger) ?

Les questions sont faciles à formuler, mais les réponses plus difficiles. Pourtant le dossier est sous nos yeux, avec les menaces politiques actuelles, visibles en Irak, en Afghanistan, en Ukraine, à Gaza, qui font partie d'une posture militaro-économique globale de contre-révolution dirigée en fin de compte contre la Russie et la Chine, une posture dirigée au passage contre l'industrialisation et la modernisation croissante du tiers-monde (dont le Brésil, devenu une acteur intermédiaire du pouvoir mondial).

La domination est effrayante, particulièrement lorsqu'elle agit de façon si institutionnalisée à fabriquer le système social, qu'elle en devient une seconde nature, indiscutée, au point que les politiques américaines sont dans toutes leurs intentions et objectifs bonnet blanc et blanc bonnet : c'est une fuite en avant consensuelle du capitalisme avancé, en tant que fondation de l'ordre social domestique américain et de ses métastases à l'étranger, unilatéral, en vue de de gouverner l'ordre politico-économique mondial. Nouvelles du jour : Obama et Clinton provoquent des étincelles dans un bocal hermétiquement fermé, chacun surpassant l'autre pour développer une confrontation, comme élément d'une nouvelle Guerre froide, afin de stopper le déclin de l'Amérique impériale. Les opposants républicains, novices dans le jeu, bredouillant leur belligérance, ne font pas le poids face au « droitdel'hommisme libéral », en tant qu'instrument de conquête.

Gaza symbolise où nous en sommes : l'éradication des aspirations humaines par des forces de procuration, ici Israël, là l'Ukraine, résidus fascistes de la Seconde Guerre mondiale, ou bien en Amérique latine, les lauréats avec « mention bien » de Fort Benning's School of the Americas [1], des gens expérimentés dans les techniques sadiques d'assassinat. Le fait est là. Où que l'on regarde, on ne voit que les destructions et les souffrances humaines dues à ceux que nous soutenons, alors que, pendant ce temps, les USA agissent, de leur côté, pour mettre en place l'architecture militaire d'un modèle global dévoué au commerce, à la finance, et au pouvoir, avec son industrie de guerre fonctionnant à plein régime. L'Irak et l'Afghanistan ne sont pas des événements accidentels par rapport au grand dessein, ni, en l'espèce, des incidents, car l'Amérique, insatisfaite de son influence prépondérante en Europe, cherche une tête de pont et une sphère d'influence au Moyen-Orient (déjà aidée par les liens les plus proches possibles avec le renseignement militaire israélien). Bien que le pétrole soit une évidente super-priorité dans la région, une priorité géopolitique et géostratégique potentiellement aussi importante est à l'œuvre en Asie (marquée là-bas par la stratégie d'Obama orientée en priorité vers le Pacifique d'abord et son partenariat Trans-Pacifique) pour contenir, isoler et affaiblir la Chine. On a du boulot, non ? La domination n'en exige pas moins.

La froideur, ce par quoi je nomme la bulle solipsiste [2] qui entoure et engaine l'Amérique, avec ses caractères respectivement associés de xénophobie et d'ethnocentrisme, la peur de l'étranger, la relation dichotomique du nous-eux fondant l'idéologie de l'Exceptionnalisme. Et ses conséquences : un autoritarisme prépondérant, structurellement enraciné dans la personnalité américaine, ayant beaucoup à voir avec la rigidité, qui unifie et intègre l'élaboration de la politique actuelle du gouvernement des USA ; la communauté du monde des affaires toujours à portée de sa main droite, bien que, elle aussi, avec ses conseillers à la sécurité nationale exprimant une dimension de pureté idéologique, anticommunisme réifié d'une époque apparemment disparue (bien qu'infectant encore les processus de pensée contingents aux aspirations hégémoniques).

Nous sommes devenus figés dans notre comportement de défense-réaction, de manière compréhensible, sachant que le projet américain de concentration de la richesse, cantonné dans une élite infinitésimale, se répercute directement, par exemple, sur la pauvreté domestique et sur la politique étrangère globale de stabilisation du monde, dans l'intérêt des USA. La nature inéquitable, telle qu'elle se diffuse, de tous ces groupes dirigeants en Amérique, reliant directement, par exemple, la Maison-Blanche aux enfants ensevelis sous les ruines de Gaza, ou les salles de marché de Morgan, Chase ou Godman Sachs aux récessions, au chômage, aux saisies immobilières, qui en cascade créent des sans-abris, de la malnutrition, des problèmes de santé sur une échelle globale. Tout cela devrait être suffisant pour provoquer un sentiment collectif de CULPABILITÉ. Pourtant, froideur et rigidité, nous sommes au-delà de ça, protégés culturellement, institutionnellement, et politiquement de toute introspection (du retour sur soi) sur les faits que nous commettons ou omettons.

Une preuve par l'absurde : l'Amérique est elle-même sui-generis [par essence] , bien que nécessitant beaucoup d'énergie psychique et d'efforts pour s'y maintenir, la plus grande démocratie que le monde ait connue.

La psychiatrie sociale que j'évoque (à ne pas confondre avec les analyses du caractère national à la mode au milieu du XXe siècle) réside dans la matrice institutionnelle d'une étape avancée du capitalisme, tel qu'il est apparu à l'origine aux USA , un capitalisme qui cherche et promeut la création d'une uniformité politico-culturelle de la personne humaine nécessaire à l'installation de la discipline sociale. Cette uniformité est constamment reproduite et renforcée dans la vie quotidienne par l'entremise de toutes les ressources et de tous les mécanismes sociaux (éducation/endoctrinement, consumérisme, religion, patriotisme, propagande officielle, média, et même le sport comme apprentissage des valeurs de compétition, de victoire, d'esprit martial, et c'est pas tout...) amenés à converger par des signaux subtils de supériorité et d'infériorité présents dans la structure de classes et dans l'affichage de la richesse. Et tout cela en continuant par ailleurs de battre le tambour de la guerre, des interventions, de la supériorité et de l'infériorité dans la hiérarchie des nations.

On n'a pas besoin de l'apport freudien pour explorer l'étiologie de l'esprit malade. Irak, Afghanistan, Ukraine, Gaza, tout exhibe une arrogance systématique, qui fournit une couverture utile à ce que je considère être une carence morale, imperméable à la souffrance humaine, jouissant de l'auto-indulgence de la nation. Cette carence morale contamine le peuple (dont la majeure partie, incapable d'adhérer, apprend à s'ajuster en s'auto-incriminant), enclin à organiser la violence, comme quand on change un régime ou que l'on vient au secours « d'amis et alliés », en maîtrisant les forces sociales et les voies vers la modernisation, parce qu'on pense qu'ils peuvent porter tort, pas seulement aux intérêts américains, mais aussi aux protections qui assurent que nous ne prenions pas conscience de nous-mêmes et de nos crimes dans le monde.

Ci-après, mes commentaires du New York Times ( tous deux d'août 2014 ), qui ont indirectement inspiré cet article, l'un faisant allusion à la querelle Obama-Clinton, l'autre sur la musique américaine, me rappelant une autre époque, lorsque l'Amérique avait une vision anti-fasciste, tout à fait propre, à mon avis, à justifier une fierté nationale. Les articles servant de point de départ sont les suivants : (I) Michael Shear, et. al., « Is This Island Big Enough [Martha's Vineyard] for Clinton and Obama? », et (II) Anthony Tommasini, « They Heard America Playing: Copland, Thomson and Others in a Fantasy Music Festival ». Commentaires aussi du même jour :

- Pas de plus grand témoignage sur l'étroitesse du spectre idéologique américain. Obama et Clinton favorisent tous deux la guerre, les interventions, la dérégulation, le soutien des grandes banques, la résistance à la démocratisation en Amérique (pour preuve l'écart grandissant des revenus, de la richesse et du pouvoir), Clinton essayant de se créer un espace politique en surpassant Obama dans les politiques pro-guerre et pro-multinationales. Et pourquoi pas ? Son mari nous a donné la politique économique de Rubin [3] et la fin du Glass-Steagall [ fin de la séparation des activités entre banque de dépôts et banque d'affaires, NdT]. La banqueroute morale du Parti démocrate depuis l'époque de FDR [Franklin Delano Roosevelt, NdT] [4] et du New Deal ? Eh oui ! La confrontation avec la Russie et la Chine a remplacé l'élévation du niveau de vie des américains pauvres. Le Vineyard [5] semble un endroit idéal pour l'élite américaine. Cela n'a pas toujours été comme ça.

- Exclu ? Au début des années 70, j'ai accueilli une festivité pour l'Orchestre de chambre anglais qui s'exécuta sur le campus. Après une année à Londres, ayant écouté Peter Maxwell Davies, Harrison Birtwistle..., j'étais assis sur la terrasse, me plaignant de l'état de la musique contemporaine américaine avec Emanuel Hurwitz, lorsqu'il a proprement éreinté notre Elliot Carter. Et il avait raison. [Session (masturbatoire ???), Piston (pompeux ???), sûrement, mais Carter doit aussi recevoir son dû, précisément parce qu'il n'est pas assimilable par une oreille américaine.

Mais je veux faire un appel spécial pour la troisième symphonie de Copland, que, en tant que radical depuis mes plus jeunes années, jusqu'à ce jour, je considère dans son inspiration comme la grande symphonie anti-fasciste, elle-même écrite en temps de guerre et fusionnant l'ambiance du courage et de la solennité. J'aurais souhaité pouvoir remercier Copland. Quelques heures avant d'aller à mes examens généraux (examen de doctorat en civilisation américaine), à Harvard, je marchais (presque défilais) autour de la cour, intégrant la musique, jusqu'à atteindre le summum de l'intensité, lorsque j'entrai dans la pièce à Holyoke House, pour l'examen.

Oui, non seulement la musique peut élever l'esprit humain, mais elle peut, avec la Troisième de Copland, convoquer, depuis les profondeurs, une clarté de la pensée et instiller un esprit de résistance encore plus fort (heureusement) qu'il y a un quart de siècle. Puis-je aussi ajouter la Seconde de Hanson ?