Le gouvernement chinois vient d'officialiser le lancement d'une nouvelle banque, dont l'ambition est de rivaliser avec la Banque mondiale. Cette structure financière asiatique a pour nom anglais Asian Infrastructure Investment Bank, abrégé en AIIB (un acronyme à retenir), que les rares articles en français sur le sujet on traduit en Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures. Elle complète les mesures décidées au cours du dernier sommet du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), en juillet dernier au Brésil [1].

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Un poseur d'affiche remplace le drapeau américain par le drapeau chinois
Bien que la nouvelle soit de taille, elle a été pour l'instant très peu relayée par les médias occidentaux, et encore moins par les médias francophones de référence. C'est pourquoi il nous a semblé intéressant de dresser une petite revue de presse focalisée sur cette initiative du gouvernement chinois.

La Chine voit surement dans cette initiative chinoise une manière utile et rapide d'utiliser les énormes capitaux en dollars américains à sa disposition.

La première référence publique à cette initiative fut faite il y a seulement un an, lors de la visite de Xi Jinping en Indonésie, pour le sommet de La Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (Asia-Pacific Economic Cooperation ou APEC), du 7 et 8 octobre 2013 :
Xi Jinping a surpris ses hôtes (et mêmes quelques-uns de ses propres fonctionnaires), par l'annonce d'un nouveau projet, celui d'une Banque asiatique pour les infrastructures.

Les grandes lignes en sont pour l'instant rudimentaires, c'est pourquoi quelques officiels qui travaillaient sur cette idée ont été surpris d'entendre le Président chinois la dévoiler, lors d'une rencontre avec le Président indonésien, Bambang Yudhoyono. Mais le principe de base est assez clair : utiliser les vastes ressources financières chinoises ainsi que l'expertise acquise pendant la spectaculaire modernisation de sa propre infrastructure pour améliorer celle de la région.

La banque devrait être ouverte à la participation d'autres gouvernements asiatiques. En fait, les officiels disent que son siège social devrait, dans l'idéal, se situer hors de Chine. Et qu'elle devrait plutôt chercher à coopérer que de rentrer en compétition avec les autres sources financières en particulier l'Asian Development Bank (ADB), dont la Chine est membre, au côté de la majorité des pays asiatiques et européens, ainsi que des États-Unis et du Canada. [2]
La version française d'un site chinois faisait déjà référence à ce projet, en juin 2014 :
La Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures fournira une nouvelle voie de financement pour les pays en voie de développement dans la région Asie-Pacifique, a déclaré dimanche un responsable chinois.

Les fonds de la Banque Asiatique de développement et de la Banque mondiale sont loin de satisfaire l'appétit pour de nouvelles infrastructures, a indiqué Jin Liqun, chef du groupe préparatoire de la banque sous l'égide du ministère chinois des Finances. [3]
Une tentative, vaine, de l'élargir aux pays occidentaux fut même tentée en juillet 2014 :
La Chine a de nouveau insisté sur l'importance de la Banque de Développement Asiatique pour les Infrastructures par l'intermédiaire du discours d'un haut fonctionnaire aux affaires économiques qui a clairement invité les États-Unis et l'Europe à participer à ce projet.

Selon un article du China Daily :

« Wei Jianguo, Vice-président et secrétaire général du China Center for International Economic Exchange, a dit, au cours du Forum Boao pour l'Asie, que l'AIIB prévoyait de démarrer avec un capital de 50 milliards de $ fourni par les gouvernements et un autre 50 milliards fourni par les institutions financière et le capital privé »

Wei a dit que cette banque multilatérale espérait attirer plus de 30 pays. Il a insisté sur le fait que l'AIIB est une plateforme ouverte et inclusive qui accueille non seulement les pays asiatiques mais aussi les autres, comme les Etats Unis ou les pays européens.

« Les pays membres de l'ASEAN (association des pays du sud-est asiatique) la Corée et l'Australie devraient rejoindre la plateforme, alors que le Japon n'a pas encore pris de décision » a-t-il rajouté. [4]
Mais nous verrons que les résistances seront plus fortes que les efforts d'ouverture chinois.

Finalement l'accord consacrant la finalisation effective du projet fut signé hier, le 24 octobre :
L'Inde et 20 autres pays ont signé aujourd'hui un accord pour devenir les membres fondateurs de l'AIIB, d'initiative chinoise, dont le but est d'aider au développement des infrastructures en Asie et réduire la dépendance envers la Banque Mondiale et le FMI, dominés par les occidentaux.

La banque, dont le siège social se situera à Pékin, devrait être opérationnelle l'année prochaine.

L'accord de principe spécifie un capital autorisé de 100 milliards de dollars, avec un capital de départ de 50 milliards. Le ratio de capital libéré sera de 20 %.

Les droits de vote seront décidés après consultations entre les membres pour décider des critères, qui devraient être un mélange de PIB et de parité de pouvoir d'achat

Selon cette formule, l'Inde serait le deuxième plus grand actionnaire après la Chine.
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Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Hua Chua Chunying, a chaleureusement accueilli la participation indienne à cette nouvelle banque.


La Chine envisage l'aide indienne comme un élan majeur pour mettre la banque en place, pour élargir son capital et réduire la dépendance des pays d'Asie envers la Banque asiatique de développement et autres institutions financières occidentales, comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. [5]
banque asiatique
Création de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures
Ce 24 octobre 2014, ce sont finalement 21 pays qui signent le pacte fondateur de l'AIIB.
Chine, Inde, Thaïlande, Malaisie, Singapour, Philippines, Pakistan, Bangladesh, Brunei, Cambodge, Kazakhstan, Koweït, Laos, Myanmar, Mongolie, Népal, Oman, Qatar, Sri Lanka, Ouzbékistan, et Vietnam. [6]
Sous la pression américaine, quatre pays majeurs de la région ont snobé la cérémonie : Le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et l'Indonésie. Les prétextes mis en avant ( à ce stade-là, on peut même dire les procès d'intention) sont le manque de transparence, les risques de mauvaise gouvernance et de mauvaise évaluation des risques écologiques :
L'Australie, l'Indonésie et la Corée du Sud n'ont pas participé au lancement de l'AIIB chinoise vendredi, car les États-Unis ont dit être inquiets à propos de cette nouvelle rivale aux institutions financières dominées par les occidentaux.

Le Japon, le principal rival de la Chine, et pays qui domine, aux côtés des États-Unis, la Banque asiatique de développement au capital de 175 milliards de $, n'était pas non plus présent, même si personne ne s'attendait à sa présence.

Les médias ont rapporté que le secrétaire d'État John Kerry a mis la pression sur l'Australie, pour qu'elle reste à l'écart de l'AIIB.

La porte-parole du Département d'État américain, Jen Psaki, a déclaré : « le secrétaire Kerry a directement et clairement déclaré aux chinois, ainsi qu'aux autres partenaires, qu'il accueillait l'idée d'une banque asiatique pour les infrastructures, mais nous insistons fortement pour qu'elle atteigne les niveaux internationaux de gouvernance et de transparence. Nous avons quelques inquiétudes à propos de la nature ambiguë des propositions actuelles de l'AIIB, que nous avons aussi publiquement exprimées. »

Dans un discours aux délégués à la suite de l'inauguration, le président Chinois, Xi Jinping, a dit que la nouvelle banque utiliserait les meilleures pratiques de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement : « Quant à l'AIIB, ses opérations devront suivre les règles et procédures multilatérales », a annoncé Xi Jinping. « Nous devons apprendre de la Banque mondiale, de la Banque asiatique de développement et des autres institutions financières internationales, leurs meilleurs pratiques et leur expériences utiles. »

L'Australian Financial Review a écrit que Kerry avait personnellement demandé au Premier ministre australien, Tony Abbott, de laisser l'Australie en dehors de l'AIIB. « Depuis quelques temps, l'Australie a été sous la pression américaine pour ne pas devenir un membre fondateur de la banque, et il est admis que Mr Kerry a présenté directement ce cas au Premier ministre, lorsqu'ils se sont rencontrés à Jakarta, lundi, à la suite de la cérémonie d'investiture du nouveau président indonésien, Joko Widodo », dit l'article.

La Corée du Sud, un de ses plus proches alliés diplomatiques en Asie, n'a pas encore annoncé son intention formelle de participer à la banque. Son ministre des Finances a dit la semaine dernière qu'il était en train de discuter avec la Chine et qu'il avait demandé plus de précisions sur la gouvernance et les principes opérationnels au sein de l'AIIB. « Nous avons continué à demander une certaine rationalité dans les domaines de gouvernance et de sécurité, mais il n'y a pas de raisons pour la Corée de ne pas s'y joindre », a déclaré le ministre des Finances coréen, Choi Kyung-hwan, jeudi, à Pékin, après avoir assisté à une autre réunion régionale. Le journal coréen JoongAng Daily a transmis les propos d'un diplomate sud-coréen, disant que « même si la Corée n'a pour l'instant pas été mise sur la liste des membres fondateurs de l'AIIB, c'est encore un profond dilemme pour nous de savoir quel choix stratégique faire, alors que la Chine est en train de remettre en question l'ordre international sous dominance américaine ».

Quant au Japon, il s'exprime via le directeur japonais de la Banque asiatique de développement. Takehiko Nakao, le président de la Banque asiatique de développement, basée à Manille, a dit que l'AIIB devrait fonctionner en suivant les règles internationales de gouvernance, de travail et les standard environnementaux : « J'espère que la nouvelle banque adhérera à ces standards », a-t-il dit à Reuters dans une interview par téléphone. Il a reconnu un double emploi entre le rôle de l'AIIB et celui de la Banque asiatique de développement. Mais, à cause des immenses besoins en financement de la région, il est compréhensible d'avoir l'idée d'établir une nouvelle banque. Nous considérerons la collaboration appropriée lorsque cette banque aura été établie. » [7]
Alors quel est la réponse de la Chine face à ces méfiances ?
La Chine a repoussé les critiques américaines prétendant que l'AIIB manque de transparence en rappelant que 20 pays participent à la structure multilatérale de cette toute nouvelle institution. « Je veux insister sur le fait que pendant tout la mise en place de l'AIIB, la Chine a maintenu la communication avec le Japon, les Etats Unis, l'Indonésie et les autres pays. Nous accueillons toujours la participation des autres pays à ce processus » à rappelé la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying. [8]
Et, pas fine bouche, elle annonce son ouverture totale à toute coopération future :
Selon l'agence de presse de l'État chinois Xinhua, Pekin ne fermera pas la porte à la Corée, l'Indonésie ou l'Australie, même si elle a insisté pour finaliser l'accord dès la semaine dernière. « L'AIIB est une institution ouverte et inclusive. Tous les pays attachés au développement régional de l'Asie et au développement économique global peuvent rejoindre l'ADB », selon le ministre des finances chinois, Lou Jiwei. « Nous pensons que d'autres pays nous rejoindrons bientôt. » [9]
Quant à l'Indonésie, elle n'a pas fait de déclaration officielle, mais il semble que le président sortant, Yudhoyono, a passé la patate chaude diplomatique à son successeur, tout nouvellement élu, Joko Widodo. Il va donc falloir attendre pour connaitre sa décision. Mais pourra-t-il continuer à bouder un tel projet, alors que l'Indonésie est justement un des pays de la région ayant les plus grands besoins financiers en infrastructure ? Ce sera un test pour connaitre le niveau d'allégeance aux États-Unis du nouveau président, dont le programme de politique étrangère, pendant sa campagne électorale, s'est fait discret face aux problèmes domestiques.

Pour finir, la vision russe de l'affaire, écrite en français sur La Voix de la Russie :
« Les Etats-Unis et la Chine se battent pour le partage des zones d'influence dans la région Asie-Pacifique. Et la création de l'AIIB, c'est la poursuite de cette lutte. Les États-Unis n'ont pas besoin d'un concurrent redoutable dans cette région. Donc, ils essaient de l'affaiblir par tous les moyens, économiques et politiques. Je suppose que les troubles qui ont éclaté à Hong Kong ont été provoqués par les Etats-Unis, dans ce même but. La Chine fait sortir par Hong-Kong jusqu'à 70 % de ses investissements sur le marché mondial et c'est aussi par cette région administrative spéciale qu'elle reçoit les investissements étrangers. Cette région joue le rôle de plateforme boursière, portuaire et bancaire pour la République populaire de Chine. Les États-Unis ont tenté de la déstabiliser, privant ainsi la Chine de ses avantages en ce qui concerne la sortie des capitaux à l'étranger ». [10]
À l'année prochaine donc, pour la naissance de cette banque, qui va surtout permettre au pays de la région dont le développement est le plus en retard (Le Laos, le Cambodge, Les Philippines, le Myanmar et bien d'autres) de pouvoir enfin se développer sans passer sous les fourches caudines politiques du Fonds monétaire internationale ou de la Banque asiatique de développement.

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Christian Noyer et Zhou Xiaochuan lors de la signature du mémorandum, fin juin 2014 (extrait à 52′ de la vidéo de cncnews)
Pour conclure, mentionnons encore un article, qui, même s'il n'est pas relié directement au sujet de l'AIIB, montre que la Chine continue à développer son réseau financier international, lequel va finir par surpasser le réseau occidental à pas de géant... économique (comme le craignent maintenant beaucoup de pays) :
La Banque populaire de Chine (BPC) a déclaré dimanche [29 juin, NdT] avoir signé deux mémorandums d'entente (memorandum of understanding ou MoU en anglais) avec les banques centrales luxembourgeoise et française. Zhou Xiaochuan, gouverneur de la BPC, et Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, ont signé samedi [28 juin 2014, NdT]un mémorandum afin d'établir bientôt un système de paiement en renminbi à Paris. La signature de ce mémorandum est une première étape vers la création d'une infrastructure de compensation et de règlement des transactions en renminbi à Paris. Ce système de paiement s'appuiera sur une banque de règlement désignée par la BPC, a indiqué la Banque centrale de France sur son site Internet. [11] [12]
En avez-vous entendu parler dans la presse française ? Ou bien le gouvernement français préfère se faire discret sur ce genre de relation avec son homologue chinois ?

Notes :

[1] L es BRICS fondent leur banque mondiale pour se libérer du monopole occidental en ce domaine (vineyardsaker, français, 19-07-2014)

[2] An Asian infrastructure bank- Only Connect (economist.com, anglais, 04-10-2013)

[3] La Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures aidera les pays en voie de développement (french.peopledaily.com.cn, français, 30-06-2014)

[4] China Invites U.S., Europe To Join The Asian Infrastructure Investment Bank, Have South Korea And Australia Already Joined? (larouchepac.com, anglais, 01-07-2014)

[5] India, 20 others set up Asian Infrastructure Investment Bank (indianexpress.com, anglais, 24-10-2014)

[6] Chinese finance minister says AIIB open to countries committed to Asian, global development (news.xinhuanet.com, anglais, 24-10-2014)

[7] Three major nations absent as China launches World Bank rival in Asia (reuters.com, anglais, 24-10-2014)

[8] China refutes US' criticism on AIIB (business-standard.com, anglais, 24-10-2014)

[9] Aust given time on China bank (businessspectator.com, anglais, 27-10-2014)

[10] La Chine établit une banque régionale en Asie avant le sommet de l'APEC (french.ruvr.ru, français, 24-10-2014)

[11] La banque centrale signe deux MoUs avec des banques centrales européennes (french.peopledaily.com.cn, français, 30-06-2014)

[12] [Vidéo] RMB globalized further (en.cncnews.cn, anglais, 01-07-2014)