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© Wikipediachlorella regularis
Qu'un virus pathogène pour les plantes devienne également dangereux pour un insecte, c'était du jamais vu (voir le lien sur ce blog) en l'occurrence le TRSV (tobacco ring spot virus) devenant pathogène pour les abeilles, mais qu'un virus s'attaquant aux algues devienne pathogène pour l'homme ça fait peur. Et ça fait d'autant plus peur que l'algue en question se trouve un peu de partout dans les eaux douces car il s'agit de la vulgaire chlorelle, une algue unicellulaire qui est la bête noire des aquariophiles. Le virus qui la parasite est relativement gros puisque son ADN comporte pas moins de trois cent vingt mille paires de bases et code pour plus de 375 protéines ce qui est assez remarquable pour un virus. Il s'agit d'un virus appelé chlorovirus puisqu'il affectionne la chlorelle et son nom est ATCV-1 pour Acanthocystis turfacea chlorella virus 1, c'est dit mais je ne le répéterai pas.

C'est en réalisant une étude de la flore microbienne et virale de l'oropharynx d'un échantillon de 92 personnes de la région de Baltimore à l'aide de puissantes techniques de séquençage d'ADN qu'on a trouvé chez 40 % de ces personnes la présence d'ATVC-1. Pourquoi un tel échantillon a été choisi, l'article scientifique qui décrit ces travaux ne le dit pas, toujours est-il que ces personnes subissaient pour d'autres raisons des tests permettant d'évaluer leurs fonctions cognitives sans autre précision sinon que leur âge moyen était d'une trentaine d'années et qu'ils étaient apparemment en parfaite santé.

Sauf que les personnes porteuses du virus réussissaient légèrement moins bien le test bien connu consistant à relier avec des lignes tracées au crayon par ordre croissant des nombres disposés aléatoirement sur une feuille de papier. Il s'agit d'un test révélant la vitesse de reconnaissance visuelle associée à la motricité. Même si la différence était très faible et le nombre de personnes étudiées limité, il n'en fallut pourtant pas plus à l'équipe du Docteur Robert Yolken de la Johns Hopkins School of Medicine à Baltimore pour vérifier si des souris massivement infectées avec ce virus n'allaient pas présenter ce même type de symptôme plutôt inquiétant.

Il existe en effet toute une série de protocoles parfaitement bien définis pour étudier les fonctions cognitives des souris et leur évolution selon les conditions expérimentales. Deux tests montrèrent que les souris auxquelles ont avait inoculé le virus par voie orale étaient significativement plus lentes à réagir. Il s'agissait de tests de mémorisation spatiale d'un objet inconnu associé à un signal sonore ou électrique que des souris témoins reconnaissaient plus rapidement lorsqu'elles étaient soumise une deuxième fois au même test. La figure ci-dessous tirée de l'article paru dans les PNAS ( doi/10.1073/pnas.1418895111 ) montre que les performances des souris infectées avec le virus (barres pleines) sont moins bonnes que celles des souris témoins dans les deux tests de mémorisation spatiale et que les souris infectées manifestent une moins bonne attention aux objets nouveaux présentés, deux indications d'une dégradation certes légère mais significative de leurs fonctions cognitives générales.

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© Inconnu
Que se passe-t-il donc au niveau du cerveau en présence de ce virus ? Pour le savoir il y a un moyen devenu maintenant presque routinier avec les machines modernes d'analyse des acides nucléiques consistant à mesurer quelles sont les protéines, en particulier des enzymes, qui sont à un instant « t » synthétisées. Ce ne sont pas les protéines elles-mêmes dont on mesure l'abondance mais les ARN messagers en cours de traduction correspondant à ces protéines. Une fois l'échantillon de tissu préparé, une machine effectue tout le travail et on sait alors quelle voie métabolique a été altérée.

Et les résultats obtenus sont carrément inquiétants !

Six mois après l'inoculation orale du virus, l'expression de près de 1000 gènes différents était significativement modifiée au niveau de l'hippocampe, la région du cerveau impliquée dans la mémorisation spatiale. L'expression d'un gène était particulièrement altéré (Cdk5) or une mauvaise régulation de ce gène est connue pour être impliquée dans certaines maladies neurodégénératives dont en particulier la maladie d'Alzheimer. Ce même gène est impliqué dans l'excrétion des neurotransmetteurs contenus dans les vésicules au niveau des synapses dont celles des neurones dopaminergiques. Or le déficit en dopamine est l'une des caractéristiques de la maladie de Parkinson.

Pour l'instant cette étude n'a rien prouvé chez l'homme mais les résultats incontestables obtenus avec des souris au bout de six mois d'infection (on retrouve des antigènes viraux dans le sang des souris) sont alarmants dans la mesure où des chlorelles potentiellement infectées avec le virus ATVC-1 se trouvent dans n'importe quelle rivière, lac, étang ou même dans des aquariums. L'hypothèse virale de certaines perturbations cognitives et de maladies neurodégénératives n'est donc pas à exclure.

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© DCArbre philogénétique des chlorovirus (cercle grisé) rapproché d’autres virus à ADN ( en caractères gras les virus pathogènes pour l’homme). HSV 1 et 2 : virus de l’herpès, PrV : virus de l’herpès du porc, VZV : virus de la varicelle, EBV : virus d’Epstein-Barr, HCMV, cytomegalovirus, VacV : virus de la vaccine, une forme atténuée de la variole, GPCMV : cytomégalovirus du cobaye, CbEPV : virus apparenté au virus de la vaccine infestant un papillon, FPV : virus de la fièvre aviaire du canard, AcNPV, HzNPV, LdNPV et BmNPV : poxvirus infestant des insectes dont le ver à soie, LCDV : virus infestant des poissons et ASFV : virus de la fièvre porcine africaine.
Notes :

- http://jacqueshenry.wordpress.com/2014/02/02/un-virus-des-plantes-pathogene-pour-les-abeilles-du-jamais-vu/

- http://jacqueshenry.wordpress.com/2014/10/16/une-origine-intestinale-et-virale-de-la-maladie-de-parkinson/