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© Muniz Uz Zaman / AFPLes enfants sont particulièrement vulnérables dans les pays en voie de developpement. A l'instar de ce petit garçon travaillant dans une usine de Ballon au Bangladesh.
Le rapport publié le 17 novembre par une organisation de défense des droits de l'Homme fait les comptes : en 2014, près de 36 millions de personnes sont victimes de travail forcé, d'exploitation sexuelle, de traite d'êtres humains ou de servitude pour dette ou de mariage forcé/arrangé. Dans ce rapport, la fondation Walk Free montre que les pays occidentaux y sont aussi impliqués.

Des crevettes pêchées par des esclaves asiatiques sont vendues dans les supermarchés occidentaux. C'est ce que révélait, en juin dernier, une enquête du quotidien britannique The Gardian. Le reportage avait choqué tout le monde: les lecteurs, les consommateurs et les acheteurs de l'entreprise visée, Charoen Pokphand (CP) Foods. Ce producteur de crevettes basé en Thaïlande est en effet le principal fournisseur mondial des géants de la grande distribution comme Walmart, Costco, Aldi et Carrefour. Il est accusé d'acheter de la nourriture pour ses élevages à des fournisseurs impliqués dans un vaste réseau d'esclavage de migrants venus de Birmanie ou du Cambodge... Après les révélations du Guardian, certains distributeurs comme Carrefour avaient alors suspendu toute relation commerciale avec l'entreprise.

Mais ce cas est loin d'être isolé. En Thaïlande, près de 300 000 esclaves travaillent dans l'industrie de la pêche, selon les propres chiffres du gouvernement. Et le nouveau rapport "the global slavery Index 2014" publié ce 17novembre par une organisation non gouvernementale (ONG) mondiale, Walk Free, estime à 35,8 millions le nombre de personnes qui, dans le monde, sont victimes d'esclavage moderne (travail forcé, d'exploitation sexuelle, de traite d'êtres humains, ou de servitude pour dette ou de mariage forcé/arrangé) (1).

Un esclavage d'Etat

Parmi les pays les plus touchés par l'esclavage on trouve l'Inde, la Chine, le Qatar, l'Ouzbékistan, le Bangladesh, la Thaïlande ou la République démocratique du Congo. Mais c'est la Mauritanie qui occupe le haut du classement. Dans ce pays, 4% de la population (soit 155 600 personnes) serait réduite en esclavage, en particulier dans l'agriculture, par un système perpétué de génération en génération.

En Ouzbékistan, c'est une sorte d'esclavage d'État qui est institué, souligne l'ONG. Chaque année, près de 1,2million d'Ouzbeks, notamment des enfants (les collégiens de 15 à 18 ans) sont réquisitionnés pour la récolte de coton. Le pays fournit 7% du coton mondial.

Quant à la République du Congo, l'esclavage moderne y est intimement lié aux guerres intestines qui ravagent le pays. Il permet d'extraire à faible coût et dans des conditions déplorables ce que l'on appelle les "minerais des conflits": l'or, le tantale ou le coltan, ces minerais recherchés pour la fabrication des téléphones portables. On estime à plus de 300 000 le nombre d'enfants travaillant dans ces mines...

En France aussi

En France, l'ONG estime à 8600 personnes le nombre de victimes d'esclavage moderne. En avril 2014, le gérant d'une société d'appâts de pêche a ainsi été condamné à cinq ans de prison, dont trois avec sursis par le tribunal correctionnel d'Evry. Il a été reconnu coupable de "traite d'êtres humains" pour avoir soumis deux personnes pendant 20 et 40 ans à des conditions de vie et de travail indignes. Ce cas, terrible, reste "atypique": la plupart des victimes de ces pratiques sont des femmes étrangères à qui l'on a fait miroiter une vie meilleure en France, expliquait alors le journal La Croix.

Ce type de crime de réduction en esclavage est sanctionné, en France, selon quatre niveaux de gravité: le "travail forcé" (7 ans de prison), la "réduction en servitude" (10 ans), la "réduction en esclavage" et "l'exploitation d'une personne réduite en esclavage" (jusqu'à 30 ans de prison). Un crime inscrit dans le droit pénal depuis le 25 juillet 2013.

Des lois à application variable

D'ailleurs , mis à part la Corée du Nord, tous les pays (sur les 167 examinés par l'étude) disposent d'une législation qui sanctionne au moins certaines formes d'esclavage. Mais celles-ci sont plus ou moins appliquées. L'ONG souligne surtout que les États dotés d'un bon cadre législatif en la matière sont plus que rares. Il cite notamment les États-Unis et le Brésil, dont les gouvernements font des efforts pour prévenir le travail forcé ou l'esclavage dans leurs marchés publics et dans les chaînes d'approvisionnement des entreprises opérant dans leurs pays.

Aux États-Unis, en 2012, Obama a pris des mesures pour renforcer le cadre déjà existant d'une tolérance zéro vis-à-vis du trafic d'êtres humains dans la politique d'achats fédérale. Le Brésil, lui, s'appuie notamment sur une politique de "name and shame". Une "dirty list", la liste des entreprises "sales" ayant profité de l'esclavage est rendue publique. Les compagnies visées (petites ou grandes) y restent inscrites deux ans, durée pendant laquelle elles doivent prouver qu'elles prennent des mesures pour éradiquer l'esclavage de leur chaîne d'approvisionnement.

Le Royaume-Uni, de son côté, examine en ce moment un projet de loi contre l'esclavage moderne. En 2013, la National Crime Agency a identifié 2744 "victimes potentielles" (enquêtes en cours) de l'esclavagisme moderne (exploitation sexuelle ou économique), soit une augmentation de 22% par rapport à 2012.

Notes :

(1) L'esclavage moderne est défini par l'Organisation internationale du travail comme "tout travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de plein gré".