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© CNRS-IRHT UPR 841, ESRF, CNR-IMM Unité de NaplesUne partie de l'alphabet reconstitué depuis l'un des rouleaux de papyrus. Les lettres trouvées grâce à la tomographie X en contraste de phase sont sur la première et deuxième ligne. Sur la troisième ligne se trouvent les lettres obtenues par infrarouge à partir d'un autre papyrus. La comparaison des deux alphabets a permis l'identification du style d'écriture du rouleau. La quatrième ligne présente les caractères grecs en majuscules d'impression
Une équipe internationale comprenant des chercheurs du CNRS (Institut de recherche et d'histoire des textes), du CNR italien et de l'ESRF (synchrotron de Grenoble) a utilisé une nouvelle technique d'imagerie non invasive par rayons X pour tenter de percer les secrets des célèbres papyrus d'Herculanum. L'équipe a ainsi réussi à identifier des lettres grecques sans avoir à dérouler les rouleaux carbonisés par l'éruption du Vésuve en 79 après J.C. Ces papyrus, contenus dans la seule bibliothèque antique qui nous soit parvenue à ce jour, pourront probablement tous être décryptés grâce cette technique.

Les célèbres papyrus d'Herculanum ont été retrouvés à partir de 1752 dans l'une des villas d'Herculanum. Cette cité a été préservée pour les générations futures en même temps que celle de Pompéi en 79 après J.C. lors des éruptions du Vésuse. Nous savons aujourd'hui que ces papyrus faisaient partie de la bibliothèque de Lucius Calpurnius Piso Caesoninus, encore appelé Pison. En plus d'être le beau-père de Jules César et un politicien influant dans la Rome antique, Pison était un protecteur des arts et de la philosophie.

Sa bibliothèque, la seule de l'Antiquité qui nous soit parvenue complète, contenait notamment des textes rédigés en grec exposant les idées de Philodème de Gadara, un philosophe épicurien d'origine syrienne, mais très hellénisé. Il a en effet étudié à Athènes auprès de Zénon de Sidon, alors à la tête de l'école épicurienne avant notre ère.

Des papyrus chauffés et carbonisés à plus de 300 °C

Contrairement à Pompéi qui a été ensevelie sous des cendres, Herculanum l'a été par des coulées de boue dont les températures devaient avoisiner les 300 à 330 °C. Les papyrus que contenait la Villa dite « des Pison » ou « des Papyrus » ont donc été largement carbonisés. Mais par la suite, la boue les a protégés de l'action de l'oxygène et de l'humidité, ce qui n'a pas été le cas des écrits qui se trouvaient à Pompéi, détruits par les cendres chaudes. Les spécialistes ont rapidement essayé de lire ces papyrus mais l'entreprise s'est révélée délicate car bien des tentatives et des méthodes utilisées pour les dérouler conduisent à la dégradation, quand ce n'est pas à la destruction pure et simple des papyrus.

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© Emmanuel BrunL'un des deux rouleaux de papyrus d'Herculanum mis à disposition des physiciens par l’Institut de France. Pour les spécialistes, son petit nom est PHerc.Paris.4. Ces rouleaux avaient été donnés à Napoléon en 1802 par le roi de Naples.
Environ 400 des rouleaux exhumés ont tout de même pu être explorés. Leurs longueurs sont comprises entre 3 et 15 mètres. Plusieurs découvertes ont été faites. Les textes de Philodème contenaient en effet des fragments d'œuvres perdues appartenant au corpus de la philosophie stoïcienne mais aussi des extraits des œuvres d'Aristote et de Théophraste.

Il reste encore des centaines de rouleaux à décrypter et ils pourraient bien contenir quelques surprises, sans compter qu'une partie de la Villa des Papyrus dort encore dans la boue volcanique. Les archéologues se sont adjoint l'aide des physiciens pour tenter de lire ces rouleaux sans avoir besoin de les dérouler afin de conserver intact le plus d'informations possible.


Cette vidéo donne une idée de la performance réalisée par les physiciens de l'ESRF avec les papyrus d'Herculanum. Un rouleau carbonisé devient lisible sans être ouvert. Les lettres redeviennent visibles à l'aide de rayons X et d'algorithmes de traitement de l'image. © YouTube, Emmanuel Brun

De la tomographie X en contraste de phase pour lire Philodème

Les chercheurs ont mis à profit une idée ingénieuse afin de distinguer l'encre des lettres sur les papyrus à l'aide de rayons X. En effet, l'encre utilisée à l'époque était fabriquée à partir de carbone issu des résidus de fumée ce qui rend sa densité quasi identique à celle des feuilles de papyrus carbonisée. Mais il existe tout de même une différence d'indice de réfraction pour ces deux matériaux avec des rayons X qui ne s'y propagent donc pas à la même vitesse.

Comme ils l'expliquent dans un article publié dans Nature Communications, les chercheurs ont utilisé cette caractéristique pour faire des expériences avec l'une des lignes de lumière disponible avec l'ESRF (European Synchrotron Radiation Facility), le célèbre synchrotron de Grenoble. En outre, l'encre n'ayant pas pénétré dans les fibres végétales des papyrus, les lettres dépassent de la surface des rouleaux de quelques centaines de microns, ce qui permet d'utiliser la tomographie X en contraste de phase (XPCT) sur deux des rouleaux d'Herculanum.

Les résultats obtenus sont prometteurs. Il a été possible de reconstituer un alphabet grec presque complet et aussi de lire quelques mots. Après comparaison avec ceux déjà déchiffrés sur d'autres papyrus qui ont été déroulés, il semble que celui-ci puisse également être attribué à Philodème.

Il reste encore beaucoup de travail à faire selon les chercheurs mais il semble qu'un verrou a bel et bien sauté qui empêchait d'imaginer pouvoir lire toute la bibliothèque de Pison sans avoir à ouvrir les rouleaux qu'elle contient.